Compte Search Menu

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l’utilisation de cookies permettant d’améliorer le contenu de notre site, la réalisation de statistiques de visites, le choix de vos préférences et/ou la gestion de votre compte utilisateur. En savoir plus

Accepter
Focus

François Liénard découpe et recolle nos histoires de l’art

Maison de la culture d'Ath - François Liénard : "L'Espace pictural"
La Maison de la culture d’Ath expose les collages poétiques de François Liénard et réalise, tous les jours, des visites actives sur l’histoire de l’art, pour les petits et les grands. Ludique et intelligent. Sérieux et décalé à la fois. En tout cas, salutaire.

Sommaire

Ce sont des images connues ou qui évoquent des iconographies déjà vues, de près ou de loin. Elles exemplifient, en quelque sorte, une sorte de patrimoine commun, appartenant à un imaginaire collectif, même si c’est en partie inconsciemment ou sous forme de vagues réminiscences. Elles – ou d’autres qui leur sont proches par le style – sont souvent utilisées, citées, détournées. Elles illustrent des moments charnières de l’histoire de l’art, de la manière dont, au fil de l’aventure humaine, des artistes ont représenté le monde, les paysages, les animaux, les humains, l’inerte et le vivant, les relations entre les choses, les techniques du vivre. Elles sont exposées sous forme de copies « industrielles », des photos découpées, imprimées.

Un premier regard suffit à déceler des intrus, anomalies et subtiles altérations. Ces œuvres ont été modifiées, retouchées. Des corps étrangers y ont été inoculés. À la manière dont on trace quelques traits irrévérencieux sur un tableau de maître pour en révéler, peut-être, quelques non-dits discutables, souligner un double-sens savoureux, une intention transgressive imperceptible. Ici, cet art potache est élevé lui-même au niveau des beaux-arts, tant il semble pratiqué de l’intérieur, depuis la dynamique la plus intime de chaque œuvre. Et d’ailleurs, plus d’une fois, l’intervention se fond presque dans ce que représente le tableau, à la manière d’une actualisation naturelle. « Ah tiens, je n’avais jamais vu ce détail, cette tente près des baigneuses, mais maintenant que vous le dites… »

Les collages de François Liénard procèdent d’une observation patiente, d’une familiarité active et prospective avec les œuvres, de contemplations sans fin, d’identification avec leurs climats, leurs atmosphères, leurs techniques, de controverses vives, raffinées et musclées, quelques fois, avec leur raison d’être. Un véritable discours intérieur, métabolisé, sur l’art. — Pierre Hemptinne

L’histoire de l’art échappe au linéaire

Les interventions de François Liénard – plutôt des commentaires – perturbent la vision linéaire de l’histoire. Puisque, par le choix de ce qu’il conjoint, en recourant aux ciseaux et à la colle, il fait se rencontrer des époques différentes, des typologies issues de temporalités multiples, il croise des traces et rémanences de cultures différentes, il confronte des manières de vivre l’art convergentes à travers les siècles, et parfois antinomiques, productrices de collisions explosives. Prenez la jeune fille à la perle de Vermeer découpée sur fond de ruines antiques, le tout réuni sous l’intitulé L’Éternelle Jeunesse, et faisant apparaître, par la force de ce mariage paradoxal entre la fragilité à l’avant-plan et les décombres sublimes à l’arrière-plan, ce qui dans la création d’art et de culture, à travers les siècles, de génération en génération, régénère le beau, l’espoir de formes qui donne sens à la vie.

Regardez le collage Les Ravages de la modernité où, à la manière de certaines irruptions destructives dans les séries Z – par exemple L’Attaque de la moussaka géante –, la forme d’une vague énergique, elliptique, bien représentative d’une figuration moderne, bouleverse une scène breughélienne. Mais perturbe à peine, tant les personnages semblent, dès la peinture originale du peintre flamand, être foudroyés par ce genre de catastrophe naturelle, tel un fléau du ciel. À tel point que, si le titre peut laisser entendre une vision conflictuelle des relations entre anciens et modernes, ils se trouvent, par la grâce de ce collage, parfaitement réunis, le trait calligraphique, ondulatoire, étant un trait d’union qui relie les temps. Et, en rapprochant la grande vague d’Hokusai et les coureuses de Picasso, c’est encore ce genre de continuité vivifiante dans les contraires qui est célébré. Tsunami dentelé, magnifique, fascinant dans sa force pétrifiante, emportant de frêles embarcations qui évoquent les barges qui portent les morts vers l’au-delà, il en surgit, plus fortes que tout, deux femmes en fuite, deux semeuses d’alerte qui ne seront pas rattrapées, continueront à courir devant l’effroi, de sorte que le tableau devient l’image puissante des marées qui rythment la vie et la mort, des flux et reflux entre vitalité débordante et raz de marée du froid éternel.

Quand les enfants croisent Bob et Bobette chez Vélasquez

Autant dire qu’avec ces images, l’histoire de l’art est ouverte, mobile, accueillante, support idéal pour des animations avec des enfants. C’est ce que le Centre culturel d’Ath a bien compris et met en pratique avec de nombreuses visites de l’exposition pour le public scolaire. Comme ce mercredi 13 novembre où Éloïse Blyau accueille une classe de deuxième primaire. Ça démarre assis sur des coussins en arc de cercle. Quelques gestes rituels de passage, pour signifier que l’on quitte le cours ordinaire des choses et qu’on entre dans celui d’une expérience qui requiert toute l’attention de chacun·e. Ensuite, c’est la lecture d’un livre et la rencontre avec Marcel le rêveur d’Anthony Brown. Marcel est un amoureux d’art. Il a la tête remplie de souvenirs de toiles de grands peintres et quand il rêve, elles s’animent, leurs éléments se libèrent, circulent, se marient avec d’autres éléments de sa vie, il devient ces peintures, il vit dedans. Merveilleuse introduction à ce qu’est avoir une relation aux œuvres d’art. La médiatrice présente alors François Liénard. Pour chaque artiste exposé au Centre culturel, la médiation est préparée par une réelle rencontre avec l’artiste et la réalisation d’un entretien filmé, qui est projeté dans l’exposition. L’animatrice fait deviner quels sont les outils de prédilection de François Liénard : les ciseaux, la colle. Un premier exemple est détaillé, les enfants rassemblés devant Les Ménines de Vélasquez. Un tableau monstrueux, qui a fait couler beaucoup d’encre, qui a excité de nombreux historiens, à propos duquel Michel Foucault a écrit quelques pages fascinantes. (Il faut citer aussi Yann Minh qui a réalisé un formidable programme d’exploration en 3D de cette peinture qui recèle bien des mystères). François Liénard y fait surgir Bob et Bobette. A priori, pas grand-chose à voir. Constatons, au passage, que ces deux personnages de BD ne semblent plus très connus par les enfants. Il faut savourer la manière dont l’animatrice, en questionnant, en sollicitant le sens de l’observation de chaque enfant, produit une description de ce qui est peint, de l’organisation des personnages, de ce qu’ils regardent, des relations que l’on peut déduire reliant les uns aux autres, elle balade les enfants dans l’atelier du peintre, dans le présent de la peinture. Et, du coup, elle fait sentir qu’il ne suffit pas de découper un Bob et une Bobette et de les coller, là, à l’avant plan. Il faut sentir où et comment les placer pour qu’ils intègrent la peinture, qu’ils s’y soient comme chez eux.


Exercice d’interprétation et plongée dans les écarts signifiants, l’inédit que le collage apporte à l’art connu

Un premier exercice, individuel et collectif, est conduit dans l’exposition. Chaque enfant reçoit la reproduction d’une peinture, doit la retrouver parmi les collages de Liénard, identifier ce qui a été « collé » et raconter ce que cela lui évoque comme histoire. C’est à une passionnante déambulation que l’on assiste, d’œuvre en œuvre, chacun·e présentant sa découverte, petite voix timide, mais déterminée ou débit extraverti, inspiré. Un bel exercice d’interprétation, apprentissage de ce que, face à l’art, l’essentiel est de dire et relier tout ce que cela évoque. Bien entendu, vu le jeune âge, le potentiel de traces et rémanences est encore léger, mais loin d’être inexistant. Ce que sortent les enfants est souvent surprenant et bien des compositions leur parlent. Par exemple cette toile de Kandinsky aux éléments disparates, dont quelques traits internes propulsent Astro Boy vers l’avant, bras et poing tendus, sa force percutant et faisant exploser tous les éléments du décor. Le super héros fait partie de la toile, il y est comme camouflé. La manière dont, dans les aventures qui lui sont propres, il éparpille la structure de l’espace, rencontre l’œil (jadis) nouveau avec lequel Kandinsky compose ses paysages désarticulés, plein d’écarts, de distances. Ailleurs, face à la reproduction du portrait au turban rouge – peut-être autoportrait de Jan van Eyck –, ce qui prédomine est l’indistinction de l’identité de genre. Et l’assurance de se trouver devant un visage sévère, parcheminé, limite embaumé, autant tourné vers l’intérieur que cherchant à imposer son aura sociale alentour. L’intervention de l’artiste, plaçant un soutien-gorge sur le buste du personnage, accentue le trouble de l’identité et permet d’éprouver qu’il n’y peut y avoir d’assignation absolue à tel ou tel genre. Il est normal que certaines frontières, parfois, soient floues. Au passage, sur le ton de la blague, c’est rappeler les vieux trucs qui permettent de déjouer les effets d’autorité.

L’atelier, quand les enfants mettent la main à la pâte et esquissent un imaginaire, individuel et collectif, pour demain

Après une collation, le groupe migre vers les ateliers du CEC, au Château Burbant. Autour d’une grande table, il va s’agir de s’essayer au découpage et collage, à donner forme aux forces encore informelles par où les émotions s’approprient et reformulent ce qu’évoquent les œuvres d’art. Le matériau de base est constitué par des reproductions de peintres anciens, originaires de la région d’Ath. Le matériel est rassemblé sur la table, à partager, les consignes communiquées. Les photocopies sont distribuées. D’abord, découper aux ciseaux les personnages peints. La dextérité des enfants dans le maniement des ciseaux est stupéfiante. Ensuite, couper les têtes, coller tête et corps sur des feuilles blanches différentes. Et dessiner sur chaque feuille le corps et la tête qui manquent. Sans se brider au niveau fantaisie. L’application et l’émulation sont réjouissantes. Ensuite, le processus se complexifie, intègre d’autres niveaux de collage, le premier résultat – personnages coupés-collés et dessinés - accueille un élément prélevé dans des magazines et, pour finir, avec des mots reçus, chaque enfant donne un titre décalé à son œuvre.

À chaque étape de l’atelier, la motivation et ce qui est mis au travail, à travers ces petites mains affairées est réjouissant, prometteur pour l’avenir. C’est, sans en avoir l’air, une initiation aux magies de l’interprétation, comme action qui forge personnalité, produit de la subjectivité « individuante », critique et, surtout, créative. Cela prépare surtout les esprits à ce que l’art ne soit pas une transmission univoque, mais au contraire qu’il soit le lieu où puissent se multiplier les compréhensions du monde, se diversifier les sensibilités et les différences, à partir de ce que chacun peut capter de traces, de survivances, de résonances véhiculées par l’art et les artistes. Et ce n’est pas rien, si l’on prend en compte, à une échelle plus macro, ce que cela peut engendrer, en se référant par exemple aux réflexions d’un historien d’art tel qu’Aby Warburg :

C’est un tel art des traces que Warburg met en jeu lorsqu’il cherche à réveiller les survivances dans son "Atlas Mnémosyne". En réveillant ces survivances, Warburg troue de l’intérieur l’identité supposée de l’Occident et ouvre un champ de passage et de résonance entre différentes manières de vivre et d’articuler l’expérience de l’espace et du temps. Il nous invite ainsi à tenter de passer de l’univers clos de la conception moderne occidentale de la nature à une infinité de mondes capables d’entrer en résonance dans et à travers les espaces. — David gé Bartoli, Sophie Gosselin « Le Toucher du monde. Techniques du naturer », Éditions Dehors

Ce à quoi, en toute simplicité, mais lumineusement, prépare l’exposition des collages de François Liénard, telle qu’elle inspire les médiations de la Maison de la culture d’Ath.

Pierre Hemptinne

- site de l'artiste -


exposition François Liénard

Jusqu'au samedi 7 Décembre 2019

LE PALACE
Rue de Brantignies 4
7800 Ath

Classé dans