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Focus

Festival du film italien de Villerupt (Lorraine) : interview du cinéaste Julien Paolini

Amare Amaro de Julien Paolini
A l'occasion du Festival du film italien de Villerupt (à 40km d'Arlon et de Virton), nous avons interrogé le jeune cinéaste franco-italien Julien Paolini sur son premier long métrage "Amare amaro" (qui y sera projeté à plusieurs reprises).

- PointCulture : Il est difficile de ne pas reconnaître dans la trame de votre premier long métrage Amare amaro (une adaptation sicilienne du mythe d’Antigone où un jeune boulanger franco-italien se bat pour enterrer son frère) des traces de votre propre origine franco-italienne (ou italo-française)... Entre similitudes et différences (Palerme au lieu de Florence, une mère italienne au lieu d’un père italien), pouvez-vous nous dire comment ces deux histoires interagissent ?

- Julien Paolini : Toutes mes histoires racontent les apatrides, les déracinés, les métis, tiraillés entre deux identités qui cherchent leur place au monde. Je trouve dans ces thèmes quelques-unes des clefs de compréhension de la société d'aujourd'hui, qui n'a pas beaucoup changé par rapport à celle d'Antigone. Alors, oui, je suis Gaetano, cela va de soi, son combat pour l'humanité contre un système qui la broie, je le vis dans la peau. On m'avait proposé à l'époque une comédie inspirée de mon enfance italienne en banlieue parisienne, mais à l'écriture, j'étais trop pudique, et on avait laissé tomber. On porte les films des années entières de nos vies. Qu'on les rate ou qu'on les réussisse, ils nous suivent, ils nous hantent. Alors si on ne les anime pas de nos sentiments, on sert la soupe tiède... Mais parler de moi directement serait terriblement ennuyeux, je le crains.

-Je crois que vous avez écrit ce film avec un acteur bien précis en tête pour incarner le personnage de Gaetano : Syrus Shahidi, acteur français fils d’un musicien iranien ayant fui la République islamique peu avant sa naissance… Était-ce important que ce rôle soit incarné par quelqu’un qui connaisse cette double identité, cette double culture, cette part de déracinement ?

Totalement ! Pour ces mêmes raisons. De mon côté comme du sien, on n'est que des marionnettistes... c'est un petit film, on a peu de temps de tournage, recréer les bonnes émotions en trois prises, ça demande beaucoup de préparation. Alors c'est d'autant plus efficace quand on se prépare depuis l'enfance ! La différence principale entre lui et moi c'est que je suis un fils d'immigré blanc. Chez nous aussi l'intégration a laissé des traces, mais je suis un étranger invisible, la peur de l'autre, je ne me la suis jamais prise dans la gueule. Syrus la porte dans la chair. Au-delà du déracinement, j'ai un rapport à l'émotion particulier, ce n'est pas simple pour mes comédiens : j'y accorde beaucoup d'importance, mais je l'aime extrêmement sobre et contenue. Les Siciliens expriment leurs sentiments comme ça, les Toscans de la région où je suis né aussi. Il faut aller la chercher. La mériter. De premier abord, Gaetano semble froid, détaché, mais au fond de lui l'amour bouillonne. C'est un traitement de personnage que je dois aux westerns de mon adolescence autant qu'aux figures masculines de ma famille. Syrus partage tout ça. C'est un alter ego parfait.

- Dans le dossier de presse du film, vous écrivez « Le film a une dimension à la fois universelle et très personnelle en s’intéressant au sentiment de l’immigré, perpétuellement étranger même dans son propre pays ». Est-ce que ce sentiment de se sentir étranger dans son propre pays est encore plus fort en Italie où les disparités (économiques, sociales, symboliques) entre le Sud et le Nord de la péninsule restent fortes et attisent une sorte de « racisme intérieur » ?

Parce qu'Amare Amaro est un film français malgré ses caractéristiques italiennes et sort d'abord en France, peu de journalistes ont eu cette analyse... Je dois vous remercier. Pour moi ce film raconte tout ça. L'Italie n'est pas un pays. C'est une galaxie, gorgée de contrastes étourdissants, un vrai laboratoire européen. On y sacre la vie autant qu'on la méprise. Ça me passionne, j'en pleure, j'en ris, ça dépend des jours. La vraie religion italienne, c'est son hédonisme, ses plus grands fanatiques ont forgé l'Italie contemporaine. Ça donne à la fois le plus beau pays du monde et un no man's land idéologique. Un monstre... L'Italie c'est vraiment un monstre fascinant. Je trouve que le cinéma de Paolo Sorrentino le raconte très bien, ce contraste insensé. Moi j'ai préféré l'aborder comme un western, « l'étranger venu de l'intérieur » qui tape sa tête contre le mur d'une société factice, dont les lois n'écoutent plus les hommes, une tour de Pise faite d'un siècle de couches de haine et d'amour, de sagesse et de bêtise, du sang de Pasolini sur le sable d'Ostia et des selfies de Salvini sur celui de Papeete. Si je ne l'avais pas quittée je l'aurais vécue différemment, mais la distance permet de mieux comprendre.

- Dans ce même dossier de presse vous mentionnez le fait que votre adaptation contemporaine du mythe d’Antigone se passe « dans le contexte de la crise actuelle des migrants » : ce contexte est-il explicitement présent dans le scénario du film où s’agit-il plutôt d’une réalité qui, hors du film, influe sur la perception que les spectateurs en auront ?

La crise des migrants est la plus grande tragédie qu'il m'ait été donné de connaître de mon vivant. Il y a encore trois ans, elle n'était pas dans tous les foyers. Aujourd'hui elle fait partie de l’inconscient collectif. Alors oui, votre vision du film est la bonne, il s'agit plus de la perception que le spectateur a du film que du film lui-même. Raconter la tragédie du combat de l'étranger en Sicile en 2019 ne peut pas être coupée du contexte.

- Dans votre film, il me semble qu’il y a tous les éléments culturels italiens : les traditions, les paysages, la langue… mais qu’il y a aussi une autre langue, votre « langue de cinéma » (les cadrages, les ciels, les mouvements de caméra) qui me semble s’enraciner plutôt dans le cinéma de genre nord-américain ?

Pour moi ce langage dont vous parlez fait partie intégrante du cinéma. On l'associe au cinéma américain parce qu'il a toujours utilisé ses paysages, ses voitures, son outre mesure comme un outil pour mettre en scène les choses de façon divertissante, qui plus est avec les moyens financiers de le faire. Mais en vérité, la plupart de mes maîtres de cinéma partageaient cette langue dont vous parlez, et ils ne sont pas tous américains. La tradition française en fait parfois l'impasse, parce que ce n'est pas toujours à portée de main, ça demande plus de temps, et d'argent, que de recréer la vie sans priver le spectateur d'une dimension spectaculaire.

Interview : Philippe Delvosalle, octobre 2019


Du 26 octobre au 11 novembre 2019
42e Festival du film italien de Villerupt

Amare amaro de Julien Paolini

  • CINEMOBILE, le 26 octobre 2019 à 18h45
  • MJC AUDUN-LE-TICHE, le 27 octobre 2019 à 21h
  • CINEMOBILE, le 1er novembre 2019 à 21h - suivi d'une rencontre.
  • CINEMA PARADISO, le 2 novembre 2019 à 21h- suivi d'une rencontre.
  • CINEMOBILE, le 3 novembre 2019 à 14h15 - suivi d'une rencontre.
  • CINEMA RIO, le 7 novembre 2019 à 17h30