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Focus

Entretien avec Sarah Pialeprat, directrice artistique du BAFF

BAFF
Cette interview date d’octobre 2020. Lorsque je m’étais entretenu avec Sarah Pialeprat, directrice artistique du BAFF (Brussels Art Film Festival), nous savions les quelques semaines qui nous séparaient du festival encore incertaines mais la volonté de voir l’événement se concrétiser, malgré la situation sanitaire et ses contraintes, était bien là… d’autant qu’il avait fallu, pour le BAFF et ses partenaires, s’organiser en conséquence pour parer aux jauges réduites et obligatoires des salles de cinéma, comme des séances de rattrapages (projections dédoublées et/ou décentralisées dans d’autres villes que Bruxelles). Nous ne savions pas encore que l’événement ne se déroulerait pas… Toutes – ou presque toutes – les activités culturelles allaient être soit reportées soit annulées pour cause de reconfinement durant ce mois de novembre 2020.

Sommaire

(Les films évoqués dans cet entretien et repris dans le sommaire ne sont qu'un petit échantillon de ce qui sera montré durant les cinq jours du festival, du 10 au 14 novembre 2021 ; le programme complet se trouve sur le site du Brussels Art Film Festival)

Cette interview avait été réalisée un peu à l’improviste durant un Doc sur le pouce (rendez-vous mensuels de projection de films sur l’art à PointCulture Bruxelles)… et j’attendais que mon interlocutrice me donne la pièce du puzzle qui me manquait ; celle qui me permettrait de faire le lien entre ce que je connaissais du festival (plutôt restreint) qui avait eu lieu à l’ISELP (Institut supérieur pour l'étude du langage plastique) il y a près de deux décennies et ce qu’il était devenu aujourd’hui.

En 2021, le festival peut enfin avoir lieu.

Sarah Pialeprat : J’ai commencé à m’impliquer vraiment dans l’organisation du festival, en 2014.

PointCulture : En quoi étais-tu « plus impliquée » ? Effectivement, avant d’avoir cette visibilité et la notoriété qu’il a aujourd’hui, ce festival existait déjà mais n’était-il pas moribond ?

SP : Non, c’est simplement qu’il n’était pas vraiment un festival à proprement parlé. En 2000, Eric Van Essche, alors directeur de l’ISELP, a eu l’idée de mettre en place un week-end de films sur l’art sans qu’ils soient belges ni forcément récents. Il n’y avait pas de prix, pas d’invités. Après quelques années de « week-end », Adrien Grimmeau a été engagé comme historien d’art et a repris l’événement. Il a eu l’idée de remettre un prix et d’inviter quelques cinéastes belges. C’est devenu alors le Festival du Film sur l’Art, qui se déroulait sur deux ou trois jours. L’ISELP recevait environ 15 films et en montrait 7 ou 8.

PointCulture : Oui, c’était beaucoup plus modeste dans mon souvenir.

SP : En 2012, Adrien m’a demandé d’être membre du jury. Là, je lui ai dit qu’il existait en fait beaucoup plus de films produits en Belgique qu’on ne pouvait l’imaginer. C’est là qu’une collaboration a commencé entre nous. En tant que directrice du Centre du Film sur l’Art, j’avais un réseau dans le cinéma documentaire et Adrien un réseau dans l’art. En 2013, je me suis occupée de lancer un appel à films et comme ça avait bien marché, l’année suivante, en 2014, Adrien et moi avons entamé une codirection du festival et j'ai pu trouver des salles de cinéma partenaires (l’ISELP n’étant pas à proprement parlé une salle de cinéma).

Comme l’ISELP était plus sur le volet « art » et que je tenais plus au cinéma, il était très important pour moi de montrer des films dans de bonnes conditions. Et là, on a commencé à faire des projections à Bozar, puis à la Cinematek, à montrer plus de films et à agrandir le festival, à proposer une vraie compétition avec des prix, à avoir un panorama international, à trouver des financements grâce à la présidente du Centre du Film sur l'Art, Isabelle Molhant qui nous a poussés et beaucoup aidés.

Le festival s’est agrandi petit à petit comme ça. Jusqu’à ce qu’il devienne le BAFF.

Cela fait donc cinq ans qu’il y a un panorama international, deux compétitions, des rencontres… et que ce festival a trouvé sa forme.

The Painter and the Thief (Norvège - 2020 - 102 min) de Benjamin Ree - Soirée d'ouverture du festival, au Palace, le mercredi 10 novembre 2021 à 19h00.

PointCulture : Ce n’est plus l’ISELP qui se charge de toute l’organisation ?

SP : Nous sommes en partenariat et nous faisons encore des projections à l’ISELP mais c’est surtout le Centre du Film sur l’Art qui s’occupe du festival aujourd’hui. La part de prise en charge a bougé avec le temps. Je dirige seule maintenant parce qu’Adrien Grimmeau est devenu le directeur de l’ISELP ; il n’est plus programmateur et sa charge de travail est telle qu’il est plus difficile pour lui d’assumer une codirection du festival aussi.

PointCulture : C’est principalement le Centre du Film sur l’Art qui assure la programmation ?...

SP : Oui, avec un comité de sélection.

Un comité qui change chaque année ?

SP : Oui, qui change chaque année et qui inclut souvent quelqu’un de l’ISELP. Ça a été le cas cette année, d’ailleurs, avec Laurent Courtens, qui est programmateur et historien d’art. Dans le comité, on aime rassembler des gens du cinéma et des gens du milieu de l’art pour proposer des choses assez pertinentes au niveau du contenu. Ma présence dans le comité assure une ligne et une continuité et le fait de changer de membres chaque année empêche d’entrer dans la routine et de rester ouvert.

PointCulture : Tu as en partie répondu à ma question mais je voulais t'en poser une pas si éloignée.

Il y a effectivement cet équilibre du contenu et de la forme, entre le « film-document » (sur l’art) et la volonté de montrer du cinéma. Pour caricaturer, je dirais qu’il y a certains formats qui proposent le portrait d’un artiste ou d’un courant en répondant à un certain cahier de charges (émis par des producteurs pour des passages TV), tandis qu’il existe une multitude de film peu visibles, qui empruntent des formes nouvelles, différentes. As-tu pu observer une évolution du cinéma documentaire sur l’art vers des formes innovantes (ces dernières années) ou cela a-t-il toujours existé ?

SP : C’est compliqué si on se restreint à la Belgique. Historiquement, c’est un genre (le film d’art ou le film sur l’art) qui a toujours été assez vivant dans notre pays. Depuis le début, Henri Storck filme ses copains artistes. Ça s’est toujours fait. Je pense aussi à Luc de Heusch. C’est vraiment quelque chose qui est dans le génome de la Belgique : je parle du documentaire en général et du documentaire sur l’art, en particulier. Le documentaire sur l’art en Belgique existe depuis les débuts du cinéma. Ce qui a changé, évidemment, ce sont les conditions d’accès au cinéma, et c’est valable pour tous les genres, pour tous les cinémas. Il est plus facile, aujourd’hui, de faire le portrait d’un copain artiste avec des outils techniques plus abordables et dans des conditions de production très légères. Donc, il y en a plus aujourd’hui.

Et après, des films réalisés avec des producteurs, il y en a toujours eu et il y en a encore.

Mais il est certain que le film sur l’art souffre d’un problème de définition parce qu’il est confondu avec des films TV, classiques, souvent sur des artistes supers célèbres. Ça existe aussi et on en reçoit mais ce n’est pas forcément ce que nous voulons valoriser au BAFF parce que ce sont des films qui sont vus plus facilement, qui sont quelquefois édités en DVD ou qui passent à la télé… Cette année, nous en avons reçu plusieurs comme ça. Ils sont très bien faits, intéressants, avec des images d’archives, très bien produits (d’ailleurs souvent coproduits par la France, Arte, ou la RTBF, etc.) mais notre volonté, à travers le festival, c’est de montrer un cinéma qui n’a pas énormément de visibilité et qu’on n’a pas l’opportunité de voir en dehors d’un tel événement. Avec, peut-être parfois, des choses plus maladroites et plus fragiles mais qui possèdent un véritable point de vue, un regard. Pour moi, avant tout, c’est un festival de cinéma documentaire. Oui, ça parle d’art, bien sûr, mais j’ai surtout envie de dire que ça parle de la création.

In A Silent Way (Belgique - 2020 - 88 min) de Gwenaël Breës - Projection le vendredi 12 novembre 2021 (19h00) - Cinematek Ledoux

SP : Pour résumer, le BAFF n’est pas un festival de films sur des artistes célèbres, mais sur la création artistique dans son ensemble, même des artistes pas du tout connus. Cette création est vaste ; la peinture, la sculpture, la musique, la danse bien sûr, mais ça peut être aussi le tatouage, le cirque, la mode, l’architecture, la musique, toutes les musiques. Cette année, nous montrons un film sur la pop anglaise (Mark Hollis et son groupe Talk Talk dans In A Silent Way) mais aussi sur Daniel Darc (chanteur, entre autres, de Taxi Girl) et sur le groupe de rumba congolaise Bakolo Music International. Toutes les formes musicales nous intéressent, toutes les formes d’art et de création sont montrées au BAFF.

Daniel Darc, Pieces of My Life (France - 2019 - 105 min) de Marc Dufaud et Thierry Villeneuve - Projection le jeudi 11 novembre 2021 (17h00) - Cinematek Ledoux

Bakolo Music International (Belgique - 2020 - 86 min) de Tom Vantorre et Benjamin Viré - Projection le jeudi 11 novembre 2021 (13h00) - Cinematek Ledoux

PointCulture : Oui, c’est ce qui se dégage du festival ; ce sont plus le geste, la création qui sont mis à l’honneur plutôt que tel médium ou tel artiste.

SP : On juge surtout le film, oui. Je préfère passer un bon film sur un très mauvais artiste que le contraire (ça arrive aussi). Mon choix ira toujours vers un bon film… Bon je préfère avoir un bon film sur un bon artiste…et heureusement il y en a beaucoup !

Ce qui nous intéresse, c’est la qualité du regard… ou son originalité.

PointCulture : Tu parlais de films que vous receviez ; quelle est la proportion de films belges ? Cette année-ci, c’est particulier... (au moment de l'interview, nous ne savions pas encore si le festival allait se dérouler « normalement »)

SP : Alors, la production annuelle de films en Belgique compte environ une centaine de films.

Une centaine ?...

SP : Oui, une centaine de films par an, les deux communautés confondues ; on ne prend pas que des films francophones. Ce sont des films belges et c’est plus étendu encore parce qu’on prend aussi des réalisations en rapport avec la Belgique. On peut tout à fait programmer un film polonais qui n’a pas de production belge mais parce qu’il s’intéresse à… je ne sais pas… Wim Delvoye ou un groupe de rock belge… Peu importe.

Il y a donc toujours un lien avec la Belgique, que ce soit le cinéaste, le producteur ou l’artiste.

Et cette année, avec la crise on a reçu seulement 54 films (l’édition 2020, en pleine pandémie). En temps normal, on essaie d’en programmer une quinzaine sur les 100 reçus.

PointCulture : Là, tu as parlé des films « belges » mais le festival, ce n’est pas que ça.

SP : Alors, le festival, c’est ça, les films en compétition, et puis il y a le panorama international. On travaille de manière complètement différente. Pour les films belges, on lance un appel à films et on essaie de recevoir à peu près tout ; donc, on regarde à peu près tout parce que je crois qu’on ratisse bien ; si on a entendu parler de l’un ou l’autre film qui ne s’est pas signalé, on le demande au producteur. On essaie donc de voir tout ce qui est produit en Belgique.

Au niveau international, il y a énormément de films, donc on ne fait surtout pas d’appel à films, surtout pas… On ne veut pas en recevoir 1.000 ou 2.000 ; on n’aurait pas le temps de les regarder ni l’équipe qu’il faut. Anne Feuillère, ma proche collaboratrice, fait une prospection dans les festivals du monde entier, et réalise un listing qui est très, très grand ; puis elle demande les choses qui nous intéressent. On travaille comme ça.

Sur 300 films vus, on essaie d’en sélectionner une dizaine par an.

On programme donc dix films avec « l’esprit BAFF » (on l’appelle comme ça, Anne et moi). C’est quelque chose qui est difficile à communiquer, de l’ordre du « feeling ». Ce sont vraiment des films coups de cœur pour nous.

Nous ne sommes pas du tout focalisées sur la nécessité de montrer tous les arts ; s’il y a quatre films sur la danse, ce sont ces quatre-là qui nous ont plu ; s’il y a huit films sur la musique, tant pis… Ce sont des coups de cœur communs. On discute. En général, ce sont des films avec un budget assez conséquent, avec une production derrière; ce n’est pas vraiment du bricolage même s’il y a des films parfois fragiles… mais qui nous ont touchées.

PointCulture : Oui, j’imagine que si Anne Feuillère fait déjà un premier tri dans des festivals internationaux, c’est que ces films ont déjà un certain niveau professionnel.

SP : Alors, il arrive aussi qu’on en reçoive spontanément… parce que les gens savent que le BAFF existe. On les regarde quand même et parfois ce sont effectivement des films qui ont eu très peu de visibilité dans les festivals et qui sont pourtant excellents.

Le film Être Jérôme Bel par exemple n’a pas fait énormément de festivals pourtant il est incroyable.

Note : ce film devait faire l’ouverture de l’édition 2020 du BAFF ; il sera montré en soirée de clôture de l’édition 2021.

Être Jérôme Bel (France - 2019 - 79 min) de Sima Khatami et Aldo Lee - Soirée de clôture, le dimanche 14 novembre 2021 (21h00) - BOZAR

SP : Jérôme Bel est un chorégraphe danseur qui prône l’anti-performance, donc c’est vraiment à contre-courant. Et ça fait du bien. Il estime que tous les corps peuvent danser, qu’ils soient empêtrés de poids, d’âge ou de quoi que ce soit d’autre. Et au niveau de l’écriture documentaire, c’est vraiment un film qui est passionnant. Le film était dans la sélection officielle du Locarno Film Festival, mais avec la crise sanitaire, le film a (peut-être) un peu arrêté sa carrière trop tôt.

Note : L’édition 2020 devait inviter Mariana Otero pour une masterclass à l’ISELP. Cette année, l’édition 2021 propose une soirée avec la projection du film Histoire d’un regard de Mariana Otero, suivie d’un questions-réponses entre la réalisatrice et le photographe Gaël Turine.

Histoire d'un regard (France - 2019 - 93 min) de Mariana Otero - Projection le jeudi 11 novembre 2021 (18h00) - BOZAR Studio

SP : Cette année (2021) comme l’année précédente, le festival présente des films sur de très nombreux sujets, des choses connues ou pas. On a un film sur Delphine Seyrig, par exemple. Babette Mangolte, la monteuse de Chantal Akerman, a rencontré l’actrice sur le tournage de Jeanne Dielman… Delphine Seyrig lui dit qu’elle souhaite réaliser un film sur la correspondance de Calamity Jane à sa fille – un livre très féministe à l’époque, qui circulait beaucoup – et lui propose de venir aux États-Unis avec elle pour des repérages. Babette Mangolte possède ces images depuis tout ce temps (début des années 1980), et a décidé d’en faire un film en 2019. Toutes ces images sont montées aujourd’hui en y mêlant des images récentes. Elle en a fait un film avec le Centre Simone de Beauvoir, qui a financé le projet. C’est vraiment impressionnant de voir ça, les images sont incroyables. C’est vraiment une enquête que Delphine Seyrig mène aux États-Unis, dans le Maine. Delphine Seyrig et Calamity Jane, tout le monde les connaît… ou croit les connaître…

Calamity Jane & Delphine Seyrig, A Story (USA/France – 2020 – 87 min) de Babette Mangolte - Projection le dimanche 14 novembre 2021 (17h00) - Cinematek Ledoux.

SP : À côté de ça, on a d’autres films avec des artistes contemporains peu ou pas connus.

Quand je parlais de « l’esprit BAFF », c’est ça aussi, programmer des films accessibles. Il y a quelques films difficiles mais il ne faut pas croire qu’il faut être un expert ou un spécialiste de quelque chose pour venir au BAFF… Tout le monde peut les voir. Ces films ne sont pas réservés à un public particulièrement averti. Ce sont juste des films. Il ne faut pas avoir peur de pousser la porte et nous, nous sommes là toujours présentes pour conseiller, guider ou expliquer. C’est notre rôle aussi d’être près des gens et ça nous tient beaucoup à cœur.

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