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Focus

Ennio Zorn et John Morricone

Ennio Morricone et John Zorn

musique de film, hommage, John Zorn, Ennio Morricone

publié le par Pierre Hemptinne

Quand un pape de l’avant-garde joue les œuvres d’un pape de la musique de film, tout s’éclaire, c’est la révélation.

Allez, a priori, « musiques de films » n’est pas un registre que j’investigue beaucoup. Il y a des exceptions. Parfois dues à des « bifurcations ».

Au début des années 1990, je me trouvais au Singel (Anvers) pour un des premiers concerts de John Zorn avec sa formule Naked City. L’album venait de sortir et, entrelardées de courts-métrages sonores un peu gore (pour l’époque en tout cas), il y avait quelques reprises de tubes cinématographiques (Morricone, Mancini, Delerue, Barry, Goldsmith), accentuant l’intérêt de John Zorn pour la reprise et l’interprétation des musiques populaires.

Nous étions installés dans la grande salle bon chic bon genre et un murmure parcourait les rangées de fauteuils rouges. Il fallut un certain temps et qu’une âme charitable me traduise la rumeur en me désignant une silhouette quelques rangées plus bas : Ennio Morricone était parmi nous ! Durant tout le concert, il s’amusa beaucoup, étonné, épaté, riant franchement à chaque exécution équilibriste de ces morceaux explosifs, déjantés, flamboyants, où Zorn et ses complices, avec une précision d’horlogers suisses, font s’entrechoquer fantômes de thèmes « fleur bleue » et tueurs en série maniaques dans une esthétique de collision fatale, totale, expéditive (formes très courtes). Du genre « Reanimator », « Snagglepuss » ou « Igneous Ejaculation ».

En 1986, John Zorn avait sorti un album totalement consacré à des thèmes d’Ennio Morricone : The Big Gundown. Venant d’un représentant emblématique de l’avant-garde radicale, déjantée, controversée, ça surprenait. Et puis, l’impression de grand écart s’amenuisait peu à peu. Par exemple, je me rendais compte que mon imaginaire sonore-musical était autant déterminé et enchanté par les thèmes retenus de certains de films vus au cinéma que par les audaces de l’avant-garde ouvrant de nouveaux horizons. Et que des filiations, effectivement, existaient, qu’il fallait explorer ces filiations, ces glissements, ces oppositions qui sont aussi des traits d’union.

C’est une des plus belles entreprises de décloisonnement. Entouré de musicien·ne·s exceptionnel·le·s – alliant maîtrise formelle impressionnante de l’instrument et capacité hors normes à exprimer leur singularité –, l’iconoclaste new-yorkais interprète respectueusement les compositions de Morricone. Il y a un réel et profond travail d’écoute, de réécriture, de transcription d’un imaginaire à un autre, avec une recherche formidable sur les matières sonores, les idiomes sonores, leurs couleurs, leurs imageries, leurs points de rencontre et de f(r)iction.

Les airs connus, ancrés dans l’imaginaire populaire sont extraits, exhumés, exhibés avec soin, puis immergés dans des textures narratives improvisées, expérimentales, ramifiées, non pas superficiellement ni artificiellement, mais comme venant de leur intériorité. Ces musiciens extraordinaires sont rassemblés et refont le film, à partir des éléments sonores et musicaux.

Ennio Morricone déclarait à propos de cette interprétation de ses œuvres : « C'est un disque qui a des idées nouvelles, bonnes et intelligentes. La réalisation est de haut niveau, un travail réalisé par un maître de la science de l'imagination plein de créativité. Mes idées ont été réalisées non pas d'une manière passive, mais d'une manière active, et cela a recréé et réinventé ce que j'avais fait précédemment pour les films. Beaucoup de gens ont fait des versions de mes pièces, mais personne ne l'a fait comme ça. »

Le Clan des Siciliens avec Naked City :


Texte et photo: Pierre Hemptinne

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