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Focus

Émancipation féminine et mouvement cinématographique : questions à Muriel Andrin

"17 filles" de Delphine et Muriel Coulin
À l'occasion des deux conférences qu'elle consacrera les 12 et 19 février au PointCulture ULB à ce sujet, nous avons interrogé Muriel Andrin (ULB) sur les "nombreuses narrations filmiques ayant mis en lumière les marches entreprises par les femmes (...) dans des parcours qui tiennent de la promenade, de l'errance, de la fuite, de l'endurance, de la migration ou encore de la manifestation."


- PointCulture : En tant que sous-genre du road movie, quelles pourraient être les spécificités du film impliquant un déplacement à pieds, qui plus est, quand celui-ci met en jeu une ou plusieurs figures féminines ?

- Muriel Andrin : La marche – y compris celle des femmes – n’est pas véritablement liée à un sous-genre cinématographique ; l’idée de road movie (plus liée à la route à travers l’utilisation de voitures, voire de motos) est intéressante mais me semble une vision trop restreinte vis-à-vis de toutes les possibilités qu’offre la marche au cinéma.

Je suis partie d’une perspective plus large, dans laquelle la mise en marche littérale des personnages féminins pourrait servir de moteur à l’action ou à la narration, représenter un instant signifiant ou essentiel au parcours du personnage – même si, en apparence, elle semble un acte anodin. — Muriel Andrin

Bien évidemment, les personnages féminins marchent pratiquement dans tous les films, mais je pense qu’il y a des façons spécifiques de filmer la marche des femmes, qui évolue ou se modifie en fonction des époques, des modes de production, voire des cinématographies dans lesquelles on se situe. On ne filme pas la marche (ou les femmes, voire même l’espace) de la même façon avant les années 1970 ou dans le cinéma actuel.

- Guerre, divorce, exil, dépression… La marche s’impose-t-elle pour les protagonistes de genre féminin nécessairement en réponse à un contexte de crise ?

- Ce sont effectivement des contextes propices à la marche. Mais celle-ci existe aussi dans le quotidien des personnages : pour aller au travail, se déplacer d’un endroit à l’autre, déambuler dans des espaces urbains, etc. Bien évidemment, la marche peut être filmée de façon dramatique (et c’est souvent le cas dans des productions à la narration classique), mais aussi représenter une suspension narrative.

- Quelles pourraient être les valeurs et les significations qu’agrège le motif de la marche dans l’histoire de la représentativité féminine au cinéma ?

"Morocco" de Josef von Sternberg

- Encore une fois, tout dépend du type de cinéma et de la période dans laquelle on crée les films. La marche peut être le symbole de l’errance, de la perdition (physique ou morale) des personnages, du sacrifice (comme à la fin de Morocco, dans lequel Marlene Dietrich suit les légionnaires dans le désert); elle peut cristalliser un pouvoir érotique, souvent perçu par le biais des personnages masculins ; elle peut aussi être le symbole d’une prise de pouvoir, d’un acte conquérant dans un sens littéral (sortir de l’espace domestique pour investir l’espace public) ou figuré (revendiquer son existence en bravant les conventions ou toute forme d’autorité).

- La condition d’errance liée à la déchéance sociale dans laquelle se retrouve Wanda, personnage créé, filmé et interprété par Barbara Loden, a-t-elle quelque chose à voir avec le fait que Wanda soit portée à l’écran par un regard féminin ? Peut-on voir dans ce que celle-ci incarne du refus de l’héroïsation une radicalité ou, tout au moins, une forme de nihilisme proprement féminine telle qu’on la retrouve aussi, déclinée autrement, dans le film d’Agnès Varda Sans toit ni loi ?

- Je ne pense pas que leur démarche soit une forme de nihilisme, mais bien une façon de revendiquer une autre façon de représenter des personnages dans leur façon de vivre, d’exister, qui refuse les conventions imposées par un système de toute évidence patriarcal. Effectivement, le fait que ces films soient réalisés par des femmes ne tient pour moi pas du hasard, mais bien d’une nécessité – de proposer d’autres narrations, de poser d’autres questions concernant la création de personnages cinématographiques qui s’écartent des normes scénaristiques mais aussi sociétales.

Le refus de répondre à l’héroïsation des personnages, mais aussi aux diktats de la beauté féminine, sont pour moi centraux. — Muriel Andrin

L’incroyable force et nouveauté de ces personnages tient aussi de l’ambiguïté créée par leur existence – il y a une forme d’admiration qui naît de leur force (pour Sans toit ni loi) ou de leur radicalisme (pour Wanda), mais aussi une gêne, une irritation qui nous éloigne de l’empathie.

- Que dit la marche en tant que motif cinématographique des relations entre les sexes ? Voit-on se confirmer à cet endroit certains stéréotypes tels que celui d’une menace masculine accentuée par la proie que représente malgré elle une femme sur les routes ? La marche peut-elle présenter une opportunité de dénouer ces rapports d’opposition pour en proposer de nouveaux ?

- C'est évident que la marche des femmes, dans les premières décennies du cinéma, tient souvent de stéréotypes sur les rapports genrés. Les femmes marchent et les hommes les regardent marcher… Mais les personnages féminins marchent aussi en dehors du regard masculin, et cela dès les premiers temps du cinéma. La marche devient dès lors le lieu d’un entre-soi, d’une redéfinition identitaire qui échappe aux conventions – même si ce n’est que le temps d’une séquence.

La marche en solitaire diffère aussi grandement de la marche en groupe, qui permet quant à elle de revendiquer une sororité forte (comme dans "Bande de filles" de Céline Sciamma, "17 filles" de Delphine et Muriel Coulin ou "Foxfire" de Laurent Cantet) – même si, encore une fois, ce qui est acquis peut également se déconstruire… — Muriel Andrin

Questions : Catherine De Poortere
interview par e-mail, février 2020

Photo de bannière : 17 filles de Delphine et Muriel Coulin


Muriel Andrin est présidente de filière et enseigne au sein du Master en Écriture et analyse cinématographiques de l’Université libre de Bruxelles. Elle est membre du centre de recherche CiASp (Cinéma et arts du spectacle) et STRIGES (Structure de recherche interdisciplinaire sur le genre). Sa recherche porte notamment sur la représentation des femmes au cinéma, sur le travail des réalisatrices ainsi que sur les variations syncrétiques entre le cinéma et l’art contemporain.



Muriel Andrin : Quand les femmes marchent (... au cinéma)

Deux conférences
Les mercredis 12 et 19 février 2020 à 18h30


PointCulture ULB Ixelles



Sans toit ni loi d'Agnès Varda (France, 1985)

Projection le mardi 18 février à 18h


PointCulture ULB Ixelles
Bâtiment U - Av. P. Héger
1050 Bruxelles

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