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Focus

Éditions Névrosée - Sara Dombret

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littérature belge, femmes, écrivaine, 8 mars, Editions Névrosée, Sara Dombret

publié le par Nathalie Ronvaux

Sara Dombret est à la tête d’une toute jeune maison d’édition, les Éditions Névrosée, créée en 2019. Lors d’un colloque au cours duquel un spectateur s’est demandé pourquoi le monde littéraire anglo-saxon du XIXème siècle et de la première moitié du suivant comptait tant d’écrivaines de valeur (les sœurs Brontë, Virginia Woolf…) alors que la littérature belge et française semblait en être dépourvue, le conférencier a répondu tout simplement qu’il n’y en avait pas eu…

PointCulture : Bonjour, Sara Dombret. De toute évidence, vous n’y avez pas cru ! Et vous êtes partie enquêter… Racontez-nous !

Sara Dombret : C’est surtout que je trouvais ça extrêmement bizarre et j’étais très curieuse. Alors oui, j’ai fait quelques recherches. C’est là que je me suis rendu compte que nous confondons notre histoire littéraire avec celle de la France, parce que j’ai commencé à chercher des autrices françaises. J’ai cherché leurs noms et j’ai essayé de lire leurs œuvres, assez difficiles à trouver et pas toujours dans des conditions très confortables. J’ai lu quelques titres avant de me rappeler que j’étais belge et d’orienter les recherches vers nos autrices nationales.

Pourquoi avoir choisi la dénomination « névrosée » pour votre maison d’édition ? C’est plutôt un terme péjoratif, à la base, non ?

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Justement. De nature, j’aime les « causes perdues » et je trouve toujours tyrannique la connotation que l’on peut donner aux mots. Celui-là surtout. La névrose est très liée dans notre inconscient aux femmes, et souvent pour les décrédibiliser, là où, pour un homme, on parlera de folie, avec une connotation beaucoup plus respectueuse. Chez les artistes masculins, la folie fait presque partie du génie, mais s’agissant d’une femme on refuse tout « décalage ». J’avais envie de provoquer quelque chose. De revendiquer, d’une certaine manière, la folie au féminin. Et puis, je savais aussi en me lançant dans ce projet qu’il fallait être sacrément névrosée pour l’entreprendre. Donc finalement, il y a énormément de choses derrière le choix de ce nom, et même s’il déplait à certains, je ne le regrette pas. Cela peut choquer, mais au moins, ça remue quelque chose, ça pose question, et quoi qu’on en dise, on ne l’oublie pas.

Vous avez démarré votre activité d’éditrice avec une collection qui n’a pas d’équivalent : Les femmes de lettres oubliées. De quoi s’agit-il précisément ?

Il s’agissait de rendre accessibles au public les œuvres de ces autrices que je découvrais et que je trouvais tout à fait dignes d’intérêt. Finalement c’était aussi une manière de réagir à cette question qui avait été posée : « Pourquoi n’y a-t-il pas eu de femmes autrices chez nous ? » et à la réponse qui avait été faite, à savoir qu’il n’y en aurait pas eu.

En réalité, dans les pays anglo-saxons, les chercheurs ont fait ce que l’on appelle des « women studies » pour réintégrer dans l’histoire les femmes qui en avaient été volontairement écartées en raison des mentalités de l’époque où l’histoire littéraire a été écrite, et qui était une époque où la place de la femme était au foyer et nulle part ailleurs.

De telles « corrections » n’ont pas été faites en France et en Belgique et, par conséquent, il est permis de penser que les femmes auraient été moins talentueuses en France et en Belgique, or, ce n’est absolument pas le cas. Et les rendre à nouveau disponibles, les faire connaitre, c’était ma façon de leur rendre justice.

Après toutes ces lectures de romans écrits par des femmes, vous apparaît-il des traits spécifiquement féminins dans les styles, les sujets traités, les manières de raconter… ?

Je ne suis pas critique littéraire, je n’ai peut-être pas les outils d’analyse nécessaires pour répondre, mais je n’ai pas l’impression. Au contraire, j’ai le sentiment que le sexe ne conditionne pas l’écriture comme le vécu peut le faire. Par contre, les femmes vont peut-être, dans les anciens textes surtout, dénoncer ou parler de la condition de la femme. Mais là encore, faut-il parler de genre ou de vécu ? Et puis, ce n’est pas une caractéristique exclusivement féminine, puisque des hommes ont, eux aussi, dénoncé ces conditions. Donc je ne pense vraiment pas que le sexe ait une influence suffisante pour pouvoir dégager une écriture qui serait féminine et la distinguerait d’une écriture masculine.

Quels clichés aimeriez-vous voir tomber ?

Des clichés je ne sais pas, si ce n’est celui de considérer que la folie n’est constitutive de talent ou de génie que chez les hommes.

Par contre, il y a beaucoup de choses que je voudrais voir changer. D’abord, que ces women studies soient entreprises chez nous aussi, et que les manuels et précis d’histoire littéraire mettent enfin hommes et femmes sur un pied d’égalité.

Ce qui nous amène au deuxième changement fondamental que j’appelle de tous mes vœux : la prise de conscience de l’existence d’une littérature belge qui ne se confond pas avec la littérature française. Nous ne sommes pas, à ce jour, français. Nous ne payons pas nos impôts en France. Ignorer comme nous le faisons l’existence de notre propre littérature, en ne l’étudiant pas notamment, c’est une erreur qui, selon moi, crée un véritable problème identitaire. Cela nous prive aussi d’une littérature aux prises avec des problématiques qui sont propres à notre pays et qui nous permettrait de mieux le comprendre ou l’appréhender.

Parmi ces récits auxquels vous avez rendu vie, quels sont vos coups de cœur ?

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Ce sont un petit peu mes enfants. Je les aime tous, et j’ai du mal à vous parler d’un plutôt que d’un autre.

Mais j’ai particulièrement aimé L’Invisible de Jeanne de Tallenay qui, selon moi, mériterait d’être étudié en profondeur. Le roman a été publié pour la première fois en 1892. Pourtant, il n’a pas pris une ride. J’ai beaucoup aimé aussi Une Parisienne à Bruxelles de Caroline Gravière. Elle met le doigt avec beaucoup d’humour sur cette tendance belge à vouloir à tout prix se distinguer des Français tout en faisant tout son possible pour leur ressembler. Fleurs de civilisation de Marguerite Van de Wiele est également un magnifique texte qui nous montre justement quelle était la condition de la femme artiste fin de siècle. C’est un roman dur, beaucoup plus que les deux premiers, mais bouleversant et qui, pour moi, ne peut pas disparaitre, parce que c’est non seulement une grande œuvre littéraire, mais c’est également un témoignage poignant d’une époque qui mérite une place parmi ce que nous pourrions appeler les classiques de la littérature belge, au même titre qu’un Zola en France.

Et parmi les autrices plus récentes, j’aime particulièrement les romans psychologiques, comme À part entière de Louis Dubrau (Louise Scheidt) et Le Semainier d’Anne-Marie La Fère.

J'ai aussi un coup de cœur à partager: À nos membres fantômes, qui est votre premier roman et qui nous plonge avec délectation dans un terrible secret de famille traité sur le mode de l'enquête policière ! Merci, Sara Dombret.

Propos recueillis par Nathalie Ronvaux

Le projet des Éditions Névrosée, c'est ici.