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Focus

« Éclaireuses » : entretien avec Lydie Wisshaupt-Claudel

Éclaireuses 1

documentaire, cinéma, Bruxelles, migration, pédagogie, école, exil, Éclaireuses

publié le par Simon Delwart

En 2016 était fondé dans les Marolles un établissement de préscolarisation rien moins qu’institutionnel : la Petite École. Considéré comme un lieu d’expérimentation par les enseignantes-chercheuses qui en sont à l'origine, l’endroit accueille des enfants issus de l’exil, réfugiés syriens pour la plupart. Réalisé par Lydie Wisshaupt-Claudel, « Éclaireuses » est une immersion documentaire de plusieurs années au cœur de ce dispositif à la fois pédagogique et thérapeutique.


> PointCulture : Dans tes précédents films, tu t’intéresses à la société étasunienne avec
Sideroads et Killing Time – entre deux fronts. A travers Éclaireuses, c’est la problématique de l’école en Belgique qui est traitée. Selon toi, quelle filiation traverse l’ensemble de ton travail, nonobstant la thématique abordée ?

> Lydie Wisshaupt-Claudel : Éclaireuses m’est un peu tombé dessus par la rencontre des deux principales protagonistes, Marie et Juliette. Je ne suis donc pas venu au sujet par une espèce de cheminement intérieur. La filiation se trouve donc peut-être au niveau du processus par lequel le film vient à moi. Dans Killing Time – un documentaire qui se déroule dans une petite ville militaire de Californie –, je décris également un espace et les problématiques qui s’y jouent, sans avoir pour autant prévu de traiter ce sujet. Le fait d’être passé dans la ville et d’avoir éprouvé ce qui s’y passait m’a donné envie d’en faire un film. Tant pour Killing Time qu’Éclaireuses, il n’y a pas eu de préméditation : c’est vraiment la manière dont les choses me traversent et me bouleversent qui est déterminante. Dans les deux cas, j’ai vu dans un lieu – plus ou moins vaste, ça peut être une ville au milieu du désert ou bien cette petite école dans Bruxelles – un certain nombre de problématiques, plusieurs couches de lecture ainsi qu’une présence du hors champ.

A Twentynine Palms, en Californie, j’ai cerné tout un ensemble de choses, une scénographie du décor qui invitent à penser de manière assez flagrante aux fronts irakien et afghan. Il s’agit d’une base militaire où l’on entraine précisément les soldats pour ces terrains-là. Tout semble pensé pour invoquer ce lointain dans cet endroit et faire en sorte qu’il traverse les corps et les esprits. Dans Éclaireuses, on a également affaire à un lieu qui convoque le passé ou l’ailleurs de ces enfants, de ces familles, qui ne sont pas d’ici. Le lieu évoque également la grande école, qui est cet autre endroit dans lequel le film ne va pas du tout, mais dont on parle pourtant sans arrêt. La filiation se situe là, avec l’idée, en filigrane, de parler de notre rapport aux institutions puisque, sans jamais aller dans la base militaire en tant que telle, on questionne en creux la manière dont l’armée traverse ces corps et le rapport au drapeau, au patriotisme, etc. Pour Éclaireuses, ce qui est repensé, c’est la manière dont l’école nous a façonné depuis qu’on est socialisés, intégrés dans des collectifs conçus par l’État, voire historiquement par l’église si l’on pense à l’école catholique.

Éclaireuses 2

Crédits : Les productions du verger

> PC : La plupart des protagonistes d’Éclaireuses sont des enfants de réfugiés, syriens pour la plupart. Malgré leur jeune âge, la barrière de la langue et l’attrait qu’a dû représenter pour eux le dispositif filmique, ceux-ci ne semblent finalement y prêter que peu d’attention. Comment décrirais-tu le travail préparatoire, les repérages, t’ayant permis d’influer le moins possible sur leur comportement ?

L. W-C. : L’une des craintes formulées par les enseignantes était que la caméra agisse comme une intrusion dans le dispositif pédagogique, surtout pour ces enfants dans des situations fragiles, dans ce contexte précaire d’expérimentation, de tâtonnement qu’elles avaient mis en place. Au fil des conversations, elles ont réalisé qu’il pouvait être intéressant, en tant qu’enseignantes-chercheuses, de s’observer elles-mêmes pour faire évoluer leurs pratiques. Mais pour que ce soit possible vis-à-vis des enfants, elles m’ont posé comme condition de devenir partie prenante du cadre. J’ai donc commencé une année scolaire avec elles, d’abord seule : on s’est dit que le dispositif filmique n’interviendrait que plus tard.

J’ai donc passé trois mois, presque quotidiennement, sur place en tant qu’observatrice extérieure. Mes repérages ont d’abord consisté à regarder, écouter, prendre note de tout ce que je voyais, à travers mon point de vue de cinéaste et non celui d’une sociologue ou d’une chercheuse en sciences de l’éducation. Néanmoins, le fait de se confronter à mes notes a permis de tisser un lien de confiance, dans la mesure où elles ont trouvé mes remarques pertinentes, bien que cela ait pu créer du débat, de la discussion, etc. On s’est alors lancé dans une première session de repérage filmée. Le deal était que l’équipe de tournage reste la même du début à la fin, peu importe le temps que cela prendrait. Ce qui nous avait semblé compliqué au départ – à savoir le fait que les enfants se sentent soit agressés par la caméra, soit qu’ils finissent par jouer avec elle –, tout cela n’a pas vraiment eu lieu, si ce n’est le tout premier jour !

« Il n’y a pas de grands principes, hormis une constante : le lien à l’autre qu’elles tissent et la notion de “care”, le fait de prendre soin et se soucier d’autrui. » — Lydie Wisshaupt-Claudel


> PC : Une phrase extraite du film résume bien l’essence de la Petite école : c’est un laboratoire de recherche. Toi qui, en tant qu’observatrice, t’es plongée en son cœur, que retiens-tu de l’expérience qui s’est menée devant tes yeux ?

> L. W-C. : Ce que j’en retiens, c’est qu’on n'est pas là pour trouver. Ça a un côté décourageant parfois, mais on comprend qu’il n’y a pas de solution en soi. Je n’avais de toute façon pas envie que mon film raconte l’histoire de deux femmes ayant fait un chemin et ainsi trouvé la solution pour résoudre les problèmes de ces enfants, de leurs familles, etc. Même si le but est quand même d’avoir un impact positif, celui-ci n’est pas mesurable, quantifiable. Il y a des allers-retours tout le temps. Par exemple, ce n’est pas parce que, trois semaines de suite, on constate qu’un enfant se porte mieux que les choses sont gagnées. D’autant que ce qui l’attend derrière est tellement différent de ce qui se joue là que, quoi qu’il en soit, on ne peut jamais rien prendre pour acquis. La position de chercheuse qu’elles adoptent m’a invité à déconstruire moi-même mes attentes, mes réflexes de narration. Cela dit, j’ai construit un récit donc il a bien fallu tisser des liens, établir des rapports de cause à effet, etc. On peut donc résumer en disant qu’il n’y a pas de grands principes, hormis une constante : le lien à l’autre qu’elles tissent et la notion de “care”, le fait de prendre soin et se soucier d’autrui.

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Crédits : Les productions du verger

> PC : J’ai ouï dire que ton film a failli s’appeler Les commencements. Peux-tu nous raconter la réflexion qui a mené d’un titre à un autre ?

> L. W-C. : Il y a eu tout un temps où le film s’appelait La petite école, par défaut, mais je me suis très vite rendu compte que je ne voulais pas du tout qu’il y ait le mot “école” dans le titre car ça racontait bien plus que ça. Pendant un moment, j’ai pensé que le film allait retracer de manière beaucoup plus chronologique différentes étapes du commencement de ce projet, comment il s’était fondé, évoluait, etc. C’était donc plutôt l’histoire d’un démarrage, lequel pouvait coller avec celui des enfants dans leur parcours scolaire en Belgique. J’ai finalement réalisé que les enfants ne commençaient rien en venant à le Petite école, ils étaient déjà pleins, entiers de beaucoup de choses. Cela créait des écueils et des biais qui allaient contre ce que je cherchais à raconter. J’ai également dû me rendre à l’évidence du fait que mes personnages étaient bien Marie et Juliette, et non plus seulement le lieu dans lequel elles évoluaient.


> PC : Le tournage de ton film a commencé en 2017. A l’époque, les deux enseignantes porteuses du projet déplorent le manque de financement structurel de la part des pouvoirs subsidiants et le fait de ne pas être reconnu faute de pouvoir entrer dans une case préexistante, à l’image des Service d’action en milieu ouvert, des écoles de devoirs, etc. Aujourd’hui, où en est-on tant au niveau des moyens octroyés que de la reconnaissance de leur action comme d’utilité publique ?

> L. W-C. : Ce qui est vachement intéressant, c’est la question que ça pose à long terme. Le fait d’obtenir une aide structurelle va de pair avec une série de contraintes, comme remplir des fiches de présence, se soumettre à un système d’évaluation et d’inspection, etc. Même si c’est intéressant d’être suivi par des équipes ministérielles, il y a tout un tas de choses qui ne seraient pas en cohérence avec ce qu’elles ont fondé. C’est donc quelque chose qui est en élaboration permanente et en discussion avec les ministères (de l’Éducation et de l’Aide à la Jeunesse). Elle peut néanmoins se reposer en partie sur des donateurs privés, bien que cela ne soit pas suffisant.

Tout cela pose la question du futur de l’école : doit-elle être structurellement aidée à l’avenir ? Est-ce que c’est un laboratoire qui est voué à changer de forme, se multiplier, s’éteindre... ? Doit-on produire des documents écrits qui recenseraient et archiveraient tout ce qui a été fait durant ces années, afin que cela serve à d’autres ? Cela dit, il y a une philosophe qui a travaillé pour la Petite école ces deux dernières années : elle est justement là pour essayer de déterminer ce qui se joue dans ce lieu, comment on peut le définir, quels outils on a mis en place, etc. Le but étant de créer une ressource pour quiconque voudrait s’en emparer, à la grande école ou ailleurs. Mais l’avenir structurel de la Petite école reste une interrogation !


Propos recueillis par Simon Delwart.

Crédits images : Les productions du Verger

> Site web de La Petite école


Agenda des projections

Sortie en Belgique francophone le 27 avril 2022.

Séances spéciales (en présence la réalisatrice) :

27/04 à 19h30 et 19h40 (cinéma Aventure)

28/04 et 30/04 à 15h10 (cinéma Aventure)

01/05 à 21h (cinéma Aventure)

02/05 à 15h (cinéma Aventure)

06/05 à 15h10 (Festival Millenium au cinéma Aventure)

+ Séances régulières, également au cinéma Aventure


Diffusions télévisées :

30/04 sur la RTBF

01/05 sur Arte Belgique

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