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Focus

Doctor Who - la femme qui tomba sur terre

Doctor Who Jodie Whittaker
Démarrée en octobre, la onzième saison du Doctor Who est à la fois une rupture et une continuation logique. C’est presque devenu une tradition, la saison précédente se concluait sur la régénération du docteur, anticipant l’introduction d’un nouvel acteur dans le rôle, et d’une nouvelle personnalité, chaque nouvelle réincarnation se décalant légèrement de la précédente. Et ce qu’on attendait depuis longtemps, avec impatience, curiosité ou effroi, selon les spectateurs, est enfin arrivé : le 13ème docteur est une femme.

Interprété par Jodie Whittaker, ce nouveau docteur est le treizième d’une lignée de personnages excentriques, entamée sur la BBC en 1963 et qui a parcouru 26 saisons jusqu’en 1989, puis a été rebooté en 2005 pour 11 saisons à ce jour. Certains acteurs ont endossé le costume du docteur pendant une seule saison, d’autres plusieurs (le record revient à Tom Baker, qui est resté six ans). Chaque acteur a apporté au rôle non seulement son physique, mais aussi son caractère, interprétant à sa façon l’idée d’un extra-terrestre immortel, originaire de la planète Gallifrey, voyageant dans l’espace et le temps. Étrangement fasciné par l’humanité, cet alien a choisi d’installer son port d’attache en Grande-Bretagne et a donc très logiquement donné à son vaisseau, le Tardis, l’apparence d’une cabine de police bleue, une pièce de mobilier urbain totalement incompréhensible hors Albion, et aujourd’hui en voie de disparition.

Les scénaristes se sont ingéniés, particulièrement depuis le relancement de 2005, à distiller au fil des épisodes des fragments de la biographie nébuleuse du docteur, depuis ses goûts culinaires (le poisson pané à la crème anglaise entre autres) jusqu’aux raisons de son exil de Gallifrey. La difficulté de leur tâche est depuis toujours d’ajouter de nouveaux éléments au mythe sans contredire le « canon » et sans démentir les épisodes passés, un crime de lèse-majesté que les nombreux fans de la série ne pardonneraient jamais. L’introduction d’un docteur féminin était donc pour les créateurs actuels de la série, Chris Chibnall (auparavant réalisateur de Broadchurch et scénariste pour Law & Order) et son équipe, un défi comportant le risque de s’aliéner un public notoirement zélé et passionné.

En 55 ans le docteur a toujours été un homme blanc et la peur des producteurs était de voir cette nouvelle incarnation comme un pas de trop dans une série qui avait pourtant dans ses thèmes et dans leur traitement toujours cherché à aller plus loin avec chaque aventure. La mesure du succès ou de l’échec pouvait provenir de deux sources : l’audimat et le courrier des spectateurs (ou ce qui en tient lieu aujourd’hui, les réseaux sociaux et les experts auto-proclamés de youtube).

Jusqu’ici les retours ont été globalement positifs, saluant la performance de Jodie Whittaker. La plupart des fans a attendu la mise en place de la saison sur plusieurs épisodes avant de se prononcer, mais semble approuver cette évolution, même si une minorité de grincheux est montée au créneau pour dénoncer ce qu’ils appellent « un triste exemple d’aberration politiquement correcte ». Des tabloids anglais comme le Sun et le Daily Mail ont été jusqu’à prétendre que cette nouvelle saison avait provoqué une forte chute de la série dans l’audimat, ce que les chiffres contredisent. Les reproches généralement formulés par ces détracteurs chagrins sont que depuis l’élévation d’une femme au rang de docteur, les épisodes ont pris un ton didactique, voir militant, l’héroïne osant aborder des problèmes de société plutôt que de combattre des Daleks ou des Cybermen.

doctor who

Beaucoup de commentateurs ont pris le temps de répondre à ces accusations régressives, rappelant, sur un ton qui sera sans doute perçu comme trop condescendant, que la plupart des mythologies de science-fiction (de Star Wars à Star Trek) ont toujours été des métaphores pour un combat moral ou social. De nombreux auteurs soulignent qu’une partie des fans est séduite par les explosions et les effets spéciaux mais que, même lorsqu’ils se rangent naturellement « du côté des bons », de la résistance à l’oppression, ils sont incapables de reconnaître celle-ci dans la vraie vie. Ce qui ne les empêche pas de développer une forme de fanatisme toxique, hurlant à la trahison dès qu’on attente à leur perception du mythe.

L’idée d’une actrice dans le rôle principal n’est pourtant pas neuve et couvait depuis longtemps, en coulisses comme à l’écran. De nombreuses insinuations avaient déjà été faites dans ce sens, indiquant, d’une part que le docteur, comme tous les habitants de Gallifrey, passe d’un sexe à l’autre au cours de ses régénérations, et d’autres part qu’il lui était arrivé auparavant d’être une femme. Loin d’être une lubie contemporaine, l’idée avait été lancée dès le début des années 1980 et le quatrième docteur a quitté la scène en souhaitant bonne chance à son successeur, « qui qu’il ou elle puisse être ».

Depuis son lancement, la série a accordé une place importante aux femmes à travers le personnage des compagnons. Ceux-ci ont été majoritairement des femmes, même si quelques compagnons males ont figuré parmi les 35 personnes qui ont suivi le docteur au fil de ses aventures. Quelques-unes d’entre-elles, une minorité, ont répondu au cliché du personnage féminin secondaire, prompt à se trouver en danger et à nécessiter l’aide du héros, mais la plupart ont toujours été des individualités fortes, modernes et rebelles. La voie en ce sens a été tracée par Sarah Jane Smith (interprétée par Elisabeth Sladen) qui fût tellement populaire qu’elle se vit offrir en propre deux séries dérivées de l’univers du Docteur Who : K-9 and Company et The Sarah Jane Adventures. Féministe et  indépendante, elle mène ses propres enquêtes entre deux voyages avec le Docteur. C’est aux cours de missions de ce genre qu’elle fera à trois reprises la rencontre des Docteurs suivants dans la série moderne.

Verity Lambert, la productrice des 70 premiers épisodes fût également la seule femme à occuper un  tel poste à la BBC à l’époque. On lui doit non seulement le personnage des Daleks, mais aussi la volonté de présenter des personnalités tranchées dans les rôles féminins. Une des règles établies dès cette époque a été par ailleurs l’absence de tension romantique entre le docteur et ses assistantes, provenant en grande partie de sa destination première d’émission pour enfants (même si cette présence parfois très féminine a souvent été décrite comme plus destinée aux papas qu’aux enfants). Cette dimension avait été remise en question dans les dernières saisons qui avaient pris un ton plus mature, plus adulte, et attribué au docteur non seulement une mais plusieurs épouses, dont Marilyn Monroe, ainsi que des enfants. Cette « nouveauté » n’était ceci dit pas si neuve que ça, dans la mesure où le premier docteur voyageait en compagnie de sa petite-fille, Susan.

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Les rôles féminins de la série moderne dépasseront de loin celui de sidekick pour devenir des personnages complexes, à la biographie élaborée. L’austérité et l’indifférence de rigueur du docteur pour les femmes y laisse la place à des situations plus ambigües, à des relations sentimentales, comme celle entre lui et Rose dans ses neuvième et dixième incarnations. L’amour de Donna Noble pour le dixième docteur ne sera par contre jamais réciproqué alors que Donna Noble, elle, précise dès le départ qu’elle n’est pas intéressée du tout. Le cas d’Amy Pond sera différent et les trois saisons où elle intervient seront rythmée par ses relations tumultueuses avec son fiancé (puis mari) Rory. Le personnage de Clara Oswald qui lui succèdera sera encore plus particulier puisqu’il comportera plusieurs vies (et morts) différentes, tandis qu’après elle, Bill Potts sera la première compagne ouvertement homosexuelle.

La saison 11 a débuté sur un rythme de croisière légèrement différent des précédentes, qui étaient passablement survoltées, menées par des docteurs hauts en couleurs et souvent flamboyants. Les premiers épisodes de celle-ci, aux tempos plus lents, s’ils semblaient renouer avec un style plus « familial »,  ne manquaient toutefois pas de moments forts. De l’avis quasi général (si l’on écarte les mécontents signant #NotMyDoctor), le nouveau docteur est à la fois un personnage rafraîchissant et une suite logique de toute l’histoire qui l’a précédé. Ses trois compagnons, une femme et deux hommes, poursuivent l’idée d’une diversité culturelle réussie. La question se pose maintenant de savoir comment la série peut évoluer et dans quelle direction les scénaristes vont la mener. Il est sans doute prématuré de réfléchir dès à présent à la succession de Jodie Whittaker, mais les alternatives sont pour l’instant un dilemme : réinstaurer un personnage masculin semblerait donner raison aux critiques, tandis qu’instaurer à demeure un docteur féminin serait créer un nouveau status quo. Les scénaristes ont cette fois fait le choix le plus risqué et le plus polémique, sans calcul cynique ni provocateur, on peut espérer qu’ils continuent à défier les stéréotypes de genre, et de race, comme cette nouvelle saison semble avoir l’intention de le faire.

(Benoit Deuxant)

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