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Focus

Comment devient-on raciste ? Comprendre la mécanique de la haine pour mieux s’en préserver, par Ismaël Méziane, Carole Reynaud-Paligot & Évelyne Heyer.

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anthropologie, racisme, BD, bande dessinée, museum

publié le par Yannick Hustache

Une bande dessinée pour faire comprendre les chaînes logiques sociologiques et psychologiques qui mènent aux discriminations et, finalement, au racisme. Une quête à la fois personnelle (celle de l’auteur), accompagnée (deux chercheuses sont là pour l’aider à y voir plus clair), pleine de couleurs et… résolument optimiste !

Sommaire

Une BD pour obliger à comprendre.

Ismaël Méziane est un auteur de BD encore débutant (sa série, Nas, poids plume n’a pas été prolongée au-delà de 3 tomes) qui se met ici en scène dans un décor « presque » naturel, celui de la France urbaine d’aujourd’hui. La différence se faisant au niveau de sa palette de couleurs, chaudes et douces, qui, à défaut de pouvoir à elles seules réenchanter le monde, aident à toujours demeurer sur le versant positif de cette quête de vérité.

Ismaël vient de déménager et de débuter une thérapie pour se guérir d’un fort sentiment de culpabilité (en partie lié à ses propres expériences subies de racisme) qui s’est accentué lorsqu’on lui a proposé de collaborer au présent ouvrage avec deux scientifiques. Puis, ragaillardi à l’écoute du Discours de Suède d’Albert Camus (1957) entendu à la radio, qui parle des artistes comme des personnes qui « … ne méprisent rien et s’obligent à comprendre au lieu de juger », il accepte le défi et va à la rencontre du binôme de chercheuses qu’il a déjà croisées à une expo au Musée de l’Homme en 2017 : une historienne, Carole Reynaud-Paligot et Évelyne Heyer, professeure en anthropologie génétique.

Racisme : une définition, trois axes

Celles-ci lui donnent leur propre définition du racisme, autour de trois axes :

* La catégorisation : Si elle répond à un besoin quasi inné chez l’humain de catégoriser pour mieux comprendre le monde, ces catégories sont créées en fonction de l’époque et de la position où l’on se trouve. Si le racisme fonctionne par stéréotype(s), il est loin de s’y réduire.

* La hiérarchisation : Les sociétés humaines ont tendance à définir une « norme », un groupe social dont les comportements, croyances, la culture et les us et coutumes sont la référence pour cette société donnée. On recourt aussi au terme flou de « communauté » qui définirait un groupe lié par un ou plusieurs points communs mais qui porte en lui le germe pervers de l’assignation identitaire, cette tendance à renvoyer les individus à une identité figée. Au XIXe et début XXe siècles, les sciences anthropologiques ont aidé à construire et légitimer une vision raciste et inégalitaire de l’humanité.

* L’essentialisation : Autrement dit, la réduction de l’individu à une « essence », un ensemble de caractères moraux, psychologiques et comportementaux qui se transmettent de générations en générations. L’essentialisation était au cœur de l’argumentaire justifiant l’entreprise coloniale et perdure aujourd’hui dans les catégorisations fondées sur la religion ou l’origine géographique : musulmans, réfugiés extra-européens…

Au final, le racisme alimente les préjugés, court-circuite la réflexion et sert, consciemment ou non, de frein à l’égalité de traitement des individus ou des groupes sociaux ou de justification aux privilèges des groupes dominants ou favorisés. Il peut aussi s’exprimer dans un contexte institutionnalisé – le racisme d’État – via les médias et les élites tant intellectuelles que politiques, économiques et civiles, qui trouvent un intérêt dans cette hiérarchisation organisée de l’exclusion.

BD, psy & famille en devenir, allers et retours

La manière dont les deux chercheuses livrent de façon amicale leurs enseignements, graduellement et à petites doses, dans les moments où leurs agendas les y autorisent (dans un repas à la bonne franquette, en balade, durant les courses…) a dans un premier temps des effets plutôt anxiogènes. Une forte nervosité que Charlotte, sa petite amie, ressent, et qu’Ismaël tente d’accoucher sur le divan du Dr Fino (son psychiatre). Une sorte de rumination anxieuse continue, générant des bouffées de colère rentrée (à grand-peine), née de cette foultitude de petites expériences répétées d’exclusion, y compris lors d’une manifestation « Charlie ». Ismaël sent gonfler en lui une violence intérieure qu’il n’arrive pas à assumer.

Il dispose en outre d’un style graphique sobre bien à lui, qui pioche autant dans la ligne claire de tradition franco-belge sur son versant « jeunesse » le plus récent, que dans la dynamique expressive du manga, ou encore en s’abreuvant à l’imaginaire des comic-books U.S. — Yannick Hustache

De même, quand ce « roi des pâtes » (dixit Charlotte) apprend qu’un bébé est en route, sa joie première fait à nouveau place à l’anxiété quant à la consonance européenne ou « arabe » du futur prénom de l’enfant.

Le moment de sa naissance suit de quelques mois la fin des entretiens avec les deux chercheuses, devenues très proches de la petite famille. L’accouchement de Nour est pourtant pour Ismaël l’occasion d’une ultime remontée d’angoisse et de colère mêlées, mais où il réalise que, face à cette part « monstrueuse » nichée en lui, cette créature nourrie de la somme de ses peurs, il est le seul qui peut et doit y faire face, en porter la responsabilité. Pour le mieux.

Dans ce mini roman graphique et manuel de sociologie déguisé en album au format « classique », Ismaël Méziane réussit la gageure d’articuler son propre cheminement personnel de jeune urbain d’aujourd’hui à un moment clé de son existence (nouvel appart’, va devenir papa), de ses rencontres avec deux chercheuses, et une partie théorique explicative des mécanismes de la haine d’une grande clarté, à portée de toutes les catégories potentielles de lecteurs (de 6 à 86 ans ?).

Il dispose en outre d’un style graphique sobre bien à lui, qui pioche autant dans la ligne claire de tradition franco-belge sur son versant « jeunesse » le plus récent, que dans la dynamique expressive du manga ou encore, en s’abreuvant à l’imaginaire des comic-books U.S. (le personnage névrosé, le marteau de Thor, le monstre intérieur façon Groot des Gardiens de la Galaxie…). Bonne idée aussi, pour les planches didactiques, de recourir à des personnages/pions (le plus souvent) sans traits mais de couleurs (rouge, bleu vert, violet) variées pour en illustrer les concepts avec sobriété et sans marquage idéologique.

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Muséum national d'Histoire naturelle

Comment devient-on raciste ?

Éditions Casterman - En partenariat avec le Musée de l’Homme - Muséum national d’Histoire naturelle, l’UNESCO et la Ligue de l’Enseignement

Auteurs : Ismaël Méziane, Carole Reynaud-Paligot, Évelyne Heyer

Dessin : Ismaël Méziane

Bande dessinée, 72 pages.