Compte Search Menu

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l’utilisation de cookies permettant d’améliorer le contenu de notre site, la réalisation de statistiques de visites, le choix de vos préférences et/ou la gestion de votre compte utilisateur. En savoir plus

Accepter
Focus

Chocolat de la paix

ImageCommunication_chocolatdelapaix.jpg

solidarité, armée, Colombie, Festival AlimenTerre, chocolat, communauté, partage, résistance non-violente

publié le par Yannick Hustache

En Colombie, une petite communauté de planteurs-cueilleurs de cacao s’accroche à son rêve de bâtir une oasis de paix et de (relative) prospérité dans un pays embourbé depuis des décennies dans une interminable guerre civile qui a fait plus de 8 millions de victimes.

Sommaire

Chocolat et guerres

Dans ce pays situé au nord du continent latino-américain, la (ou les) guerre(s) civile(s) dure(nt) depuis au moins six générations. Entre les narcotrafiquants, l’État, son armée et les milices paramilitaires (d’extrême droite) qui lui sont inféodées, et toutes les guérillas d’inspiration marxiste, maoïste ou anarchiste, la population colombienne, de condition modeste dans sa grande majorité, citadine ou rurale, (sur)vit la peur au ventre.

Malgré ce climat constant de violence sourde où l’on ne sait à qui se fier, même après les accords de paix multipartites à l’échelon du pays signés en 2016, la communauté de paix de San José de Apartadó parvient à mener à bien depuis 1997 une expérience de résistance (résilience) pacifique au travers d’une plantation autogérée de cacao biologique.

Balisé par les témoignages de quelques-uns de ses membres emblématiques (et parfois anonymes), le récit mouvementé de l’histoire de la communauté est suivi en parallèle par une description très claire du processus de production lui-même ; du fruit coupé sur l’arbre à flanc de collines touffues jusqu’aux étals des riches magasins européens (anglais pour le coup), ou encore l’énumération de quelques-unes des façons les plus originales d’accommoder le produit fini à son goût personnel, en passant par les principales étapes de la transformation de la matière première – la fève – en une poudre ou une pâte aux usages innombrables.

La terre qui coule dans nos veines

À la différence des océans verts de monocultures bananières, propriété des consortiums étrangers soutenus par les pouvoirs politiques en place, les cacaoyers de la communauté de paix poussent sur d’abruptes coteaux à la végétation dense, où il faut tracer son chemin à coups de machette et ramener le fruit de son labeur à dos d’âne. Mais, entre ces arbres de taille modeste aux fruits mûrs superbement colorés (jaunes, orangés, ocres…), les coupeurs prélèvent seulement l’essentiel en fonction de l’état de maturité du fruit, et sélectionnent directement les graines destinées à être replantées pour former de nouvelles pousses. Un vrai travail d’équipe, dur et épuisant, que ces agriculteurs conçoivent avec fierté (l’un des fermiers, Jésus Emilio, estime que « c’est de la terre et non du sang qui dans coule ses veines » !) comme l’œuvre d’une vie et le moyen d’assurer la subsistance, l’autonomie économique et le développement de toute une communauté qui en dépend. Un ilot en harmonie avec son environnement naturel fondé sur la fraternité, la solidarité et la pratique d’un travail gratifiant pour vivre, presque une insupportable anomalie aux yeux du pouvoir et de ses opposants en conflit ouvert depuis des décennies.


Un sentier escarpé pour une paix précaire

Au sein la communauté de paix de San José de Apartadó vit Maria Brigida, une énergique petite dame d’un âge avancé, qui est un peu la gardienne de la mémoire des lieux qu’il lui arrive de faire visiter aux étrangers, et dont elle relate, dans un style imagé et coloré, aussi naïf que direct et cru, les évènements et péripéties majeures (dont le meurtre de sa fille) sur d’innombrables gravures, dessins et peintures. Elle rappelle qu’en 1967, un premier embryon d’une communauté agricole – du nom de Balsamar –, reposant sur des valeurs similaires et la propriété collective, est née dans les montagnes du nord du pays, à Urabá, avant de devenir la cible des « Mains noires », une milice paramilitaire œuvrant pour le compte d’un puissant consortium bananier. Engagés au sein d’un nouveau parti politique progressiste – l’Union patriotique – des membres de ladite communauté ont été, en 1996, massacrés, les plantations saccagées et les mouvements sociaux déclarés illégaux par le pouvoir colombien. San José de Apartadó a donc opté d’emprunter « un sentier de la paix », absolument neutre et totalement à l’écart des luttes de pouvoir (des tueries, y compris d’enfants, ont eu lieu en 2005 à San José du fait de l’armée) pour se recentrer sur le pacifisme et le vivre-ensemble solidaire de ceux qui y vivent. On y invente des pratiques de résistance pacifique collective (comme de ne se déplacer qu’en groupe en dehors de l’enceinte de la communauté), on se partage les tâches sans distinction de sexe et d’âge, mais résolument dans une optique d’équité, de partage des richesses produites. Mais l’insécurité, aux portes de la communauté, demeure palpable – 300 fermiers ont été tués depuis 2005 –, comme le montre une séquence filmée en caméra cachée, des hélicoptères balaient le ciel presque tous les jours, et la nécessité d’un second déménagement de la communauté à l’écart d’un poste de police installé là pour leur protection. Néanmoins, des représentants de la communauté partent régulièrement à la rencontre d’autres acteurs du monde associatif, à Bogota ou dans d’autres métropoles du pays, pour leur faire part de leur expérience communautaire verte de résistance non-violente.

" On se partage les tâches sans distinction de sexe et d’âge, mais résolument dans une optique d’équité, de partage des richesses produites. " — Yannick Hustache

Soutien international

Les fèves de cacao récoltées dans les plantations de la communauté de paix de San José de Apartadó ont reçu une certification « bio ». Extraites des fruits à même les cultures, les fèves sont séchées au soleil et régulièrement retournées durant quelques jours sous une plateforme, avant d’être stockées, torréfiées, réduites en fins morceaux ou transformées en liqueur de cacao, fondues en barquettes, puis vendues sur le marché local ou exportées vers l’Europe, notamment en Angleterre. Un commerce qui leur a apporté visibilité et soutien d’organisations internationales militantes dans la défense des droits de l’homme.

Un bel exemple de résilience communautaire et d’affirmation positive dans l’une des régions les plus violentes du globe. Qui plus est, lié à l’origine première d’un aliment qui a acquis dans nos contrées une résonance quasi identitaire : le chocolat !

Chocolate of Peace de Gwen Burnyeat and Pablo Mejía Trujillo (UK, 2016)


Yannick Hustache


Le film sera présenté en octobre dans le cadre du festival Alimenterre 2019

Classé dans

En lien