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Focus

Chavela Vargas, icône mexicaine

Chavela Vargas
Durant les 93 ans de sa vie, la chanteuse mexicaine Chavela Vargas a incarné un personnage tellement hors-norme, tellement plus grand que nature qu’on lui pardonne les quelques exagérations de son récit. Le mythe a été en partie assemblé par d’autres, ses détracteurs comme ses fans. Mais elle-même s’est construit tout au long de sa carrière une légende noire, de femme forte et surtout de séductrice, qui pouvait conquérir toutes les femmes qu’elle voulait.

Les réalisatrices Catherine Gund et Dareshka Kyi ont choisi pour ce portrait de donner la parole à toutes les versions, souvent contradictoires, de la vie incroyable de Chavela Vargas. Le public européen l’a découverte à travers le cinéma de Pedro Almodovar, qui l’a fait apparaître dans son film « La fleur de mon secret », mais la chanteuse avait déjà alors une carrière bien remplie, entamée bien longtemps avant leur rencontre à Madrid. Née au Costa-Rica en 1919, María Isabel Anita Carmen de Jesús Vargas Lizano quitte à 17 ans son pays et sa famille pour le Mexique et sa capitale. Elle laisse derrière elle une jeunesse malheureuse dans une ville trop petite pour elle, et qui ne pouvait l’accepter telle qu’elle était. Elle espère lancer une carrière de chanteuse dans un Mexique qui est alors le centre de la vie musicale de l'Amérique du Sud.

Arrivée à Mexico, elle cherche pendant un temps de se conformer à l’image qu’on attendait d’elle, en tant que chanteuse et en tant que femme, puis renonce et choisit d’être elle-même. Elle abandonne les bijoux, les décolletés plongeants et ses cheveux longs pour s’habiller en homme, avec pantalon et poncho. Le scandale est immédiat mais son talent et sa tenacité lui permet de se faire une place dans le monde cruel et machiste de la chanson mexicaine. Elle se lie d’amitié avec José Alfredo Jimenez qui lui écrira ses premiers succès et se produira dans les cabarets de Mexico puis d’Acapulco. Elle y fera une carrière florissante mais sans compromis, interprétant des chansons rancheras mélodramatiques au contenu passionnel où sa voix vibrante se déchirait sur un accompagnement minimaliste, presque inutile tant sa présence et son souffle suffisait à ébranler les salles.

Le temps de l’amour est tellement court comparé à l’oubli — Chavela Vargas

Sa vie privée par contre sera plus difficile à accepter pour la société mexicaine de l'époque. Ses prises de position et son style de vie ont été tolérés un temps, mais ses excès lui ont donné la réputation d'une femme difficile et d'une artiste ingérable. L'opinion publique a fermé les yeux un temps mais son attitude et le personnage qu'elle a développé sur scène, au cinéma où elle fera quelques apparitions (notamment dans le film "La Soldadera" en 1967) et surtout dans sa vie sociale, provoqueront commérages puis grincements de dents. Elle fut la première femme à oser s'afficher ainsi, habillée en homme, mais elle n’a jamais montré que c’était une préférence sexuelle. Rapidement toutefois ses conquêtes féminines deviendront le sujet des potins mondains. Elle vivra un temps (entre un mois et un an selon ses différentes biographies) avec Frida Kahlo, on lui attribuera une aventure avec Ava Gardner, et les ragots la créditeront de la séduction du tout Mexico.

C’est Isabel (son prénom d’origine) que j’aime, Chavela est une garce — Chavela Vargas

Mais c'est d'ailleurs que viendra sa chute. Parvenue au sommet de sa carrière, Chavela Vargas était devenue grièvement alcoolique; ce qui avait commencé, dit-elle, comme un verre ou deux pour oublier le trac avant de monter sur scène, était devenu un mode de vie. Elle a de son propre aveu passé près de vingt ans sans dessaouler, voyant ses amis, dont le fidèle José Alfredo Jimenez, mort d'une cirrhose du foie en 1973, disparaitre autour d'elle ou s'éloigner de son personnage trop sulfureux, et trop dangereux. Que ces excès aient été une fuite en avant, une manière de se montrer plus macha que les machos qui l'entouraient, ou un passage délirant, qu'elle ne peut que reconnaitre sans pouvoir l'expliquer, ce virage dans sa vie l'obligera à interrompre sa carrière pendant près de quinze ans. Elle en émergera au début des années 1990, soutenues par quelques amies et amantes fidèles, et par l'intervention du réalisateur Pedro Almodovar qui soutiendra sa seconde carrière en Europe et l'aidera à réaliser son rêve, chanter à Paris, à l'Olympia.

A travers ce reportage extrêmement émouvant, même s'il reste constamment honnête et ne cherche jamais à occulter les aspects les moins flatteurs de la vie de Chavela Vargas, son addiction, ses infidélités, son ingratitude parfois, les réalisatrices retracent une destinée étonnante, depuis des débuts peu prometteurs jusqu'à une reconnaissance tardive mais éclatante. Elle décèdera au Mexique en 2012, avec pour seul regret de n'avoir pu mourir sur scène, un mois plus tôt.


Le film est également un aperçu de l'évolution de la perception de l'homosexualité, au Mexique comme dans le reste du monde. Chavela Vargas a fait son coming-out en 2000, à l'âge de 81 ans, affirmant: " J’ai dû me battre pour être moi-même et pour être respectée. Je suis fière d’assumer que je suis lesbienne. Je n’en parle pas trop, mais je ne nie pas. J’ai dû affronter la société et l’église, qui dit que les homosexuels sont condamnés. C’est absurde ! Comment peuvent-ils juger quelqu’un qui est né comme ça ? Je n’ai pas appris à être lesbienne, personne ne m’a appris à être comme je suis. Je suis née comme ça. Je n’ai jamais couché avec un homme. Jamais. Oui, je suis vierge et je n’ai pas honte. Mes Dieux m’ont faite comme ça. »

 On voit dans le film la société des années 1930 choquée par une femme portant un pantalon, fumant et buvant comme un homme. Mais on voit la même société refuser de parler ouvertement d’homosexualité, et fermer les yeux sur la vie de Chavela. On voit plus tard les  générations suivantes en faire un icone de la cause lesbienne, presqu'une martyre. Elle a été consciente de ce rôle et de cette responsabilité, elle qui disait : « J’ai ouvert des portes mais j’en ai beaucoup souffert. On m’a fait beaucoup de peine et beaucoup de mal. » Chavela Vargas assume une vie entièrement guidée par un irrésistible désir d’authenticité. 

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