Compte Search Menu

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l’utilisation de cookies permettant d’améliorer le contenu de notre site, la réalisation de statistiques de visites, le choix de vos préférences et/ou la gestion de votre compte utilisateur. En savoir plus

Accepter
Focus

Casterman | interview de Nathalie Van Campenhoudt

Avec Léonie Bischoff (Anaïs Nin) et Kathy Degreef (attachée de presse) chez Casterman à Paris - Photo de Benoît Mouchart

interview, BD, bande dessinée, Casterman, Nathalie Van Campenhoudt

publié le par David Mennessier

Les sorties presque simultanées aux Editions Casterman de plusieurs ouvrages de bande dessinée ayant pour thèmes des enjeux sociétaux ainsi que des travaux d'immersion au sein du monde de la mode et des méandres du cerveau nous ont amenés à rencontrer Nathalie Van Campenhoudt pour nous entretenir avec elle de son parcours atypique dans un milieu de l'édition où les femmes se font hélas encore trop rares. De ses premières lectures de Gaston Lagaffe en passant par ses débuts en 2001 comme stagiaire au service fabrication des Editions Dargaud-Lombard jusqu'à son rôle de coéditrice de l'excellente collection La petite Bédéthèque des Savoirs et enfin plus récemment de son travail comme cheville ouvrière autour ces nouvelles publications très ancrées dans des thématiques qui font sens et qui amènent de nouvelles palettes au « petit » monde de la BD.

- David Mennessier (PointCulture): En tant que lectrice, quels ont été les moments clés de votre initiation à l'univers de la bande dessinée ? Est-ce que pendant votre enfance et adolescence vous en lisiez déjà beaucoup ?

- Nathalie Van Campenhoudt: J’ai toujours lu de la bande dessinée. J’ai même appris à lire grâce à l’attrait qu’exerçaient sur moi les quelques albums qu’on avait à la maison, j’étais très motivée par l’envie de pouvoir enfin lire seule les Gaston Lagaffe que mes grandes sœurs me lisaient le soir. Mes 1res découvertes enfantines marquantes ont été Gaston Lagaffe de Franquin, Boule & Bill de Roba et aussi Bob & Bobette de Willy Vandersteen. Malgré les nombreuses critiques concernant les traductions francophones bourrées de fautes de cette série, j’y trouvais un réel plaisir de lecture et de découverte, une vraie inventivité qui faisait voyager mon imagination. Une partie de ma famille est néerlandophone et j’ai donc aussi très tôt découvert des séries, comme Jommeke (Jef Nijs) ou De Rode Ridder (Willy Vandersteen), dont je ne comprenais pas toujours tous les textes. À l’adolescence, je lisais beaucoup le journal Spirou et Tintin dont les numéros parfois mélangés se passaient de famille en famille dans le quartier où j’habitais. Certaines séries m’ont alors particulièrement séduite, si bien que je m’en faisais offrir les albums à chaque fête ou anniversaire : Jérome K.J. Bloche d’Alain Dodier, Thorgal de Rosinski et Van Hamme et aussi Aria de Michel Weyland. C’était une héroïne adulte dessinée de façon réaliste avec une personnalité marquée et indépendante (même si j’en vois les limites aujourd’hui), ce qui était assez rare à l’époque, du moins dans le panel d’albums auxquels j’avais accès et qui n’étaient pas réservés aux adultes. Les choix de lecture que j’avais à l’époque étaient très restreints en raison de ma qualité de jeune fille, et d’autant plus que je vivais en province. Un peu plus âgée, j’ai découvert la revue À Suivre, d’abord par des numéros trouvés chez des bouquinistes bruxellois et ensuite en tant qu’abonnée. Ces récits au long cours, avec des styles graphiques novateurs, ont confirmé mon goût pour la bande dessinée et ce qu’on appelle aujourd’hui le roman graphique. Aujourd’hui, le spectre des albums que je lis s’est bien élargi, des albums de Misma ou 2024 aux mangas du Lézard noir, en passant par de nombreux one-shots de maisons d’édition plus mainstream.

- Quel a été l'élément déclencheur qui vous a donné l'envie de travailler au sein de ce milieu de l'édition ?

- Je crois que l’élément déclencheur a été tout simplement une véritable passion pour les albums, les revues et tout ce qui touchait au livre et à l’édition en général. Petite dernière d’une famille de trois enfants, je m’occupais souvent seule dans ma chambre à réaliser des revues de presse sur les bandes dessinées que j’aimais ou que j’avais envie de lire, à fabriquer des reliures à partir d’extraits d’albums publiés dans Spirou ou dans la presse quotidienne.

Les livres ont été pour moi le 1er lien avec le monde extérieur et une manière de satisfaire ma curiosité sur de nombreux sujets. C’est sans doute assez commun, mais je n’imagine absolument pas ma vie sans les livres et tout ce qu’ils ont pu m’apporter, du divertissement bien sûr mais surtout une façon d’appréhender le monde et les autres et de nombreux savoirs, même de façon indirecte, par le biais de fictions par exemple. — Nathalie Van Campenhoudt

- Lorsque vous arrivez en 2001 aux éditions Dargaud-Le Lombard, vous commencez par le bas de l'échelle en travaillant à des postes subalternes qui vous permettent tout de même de découvrir différentes facettes du métier. Est-ce qu'aujourd'hui par rapport à votre rôle d'éditrice c'est finalement un atout d'en être passée par là ?

- Je suis arrivée en tant que stagiaire au service fabrication, dans le cadre d’un diplôme d’études complémentaires en « Sciences du livre/section Édition ». Mes études m’avaient apporté des connaissances théoriques mais je n’avais aucune idée des aspects pratiques liés au fonctionnement d’une maison d’édition et encore moins d’une maison de bande dessinée, car l’aspect visuel représente un ensemble de savoirs et de compétences très particulier. J’ai découvert ce qu’était la photogravure, le système d’impression par films que l’on pouvait retoucher à la gouache, les débuts du numérique pour la reproduction des planches originales, pour la mise en couleur. Je suis arrivée à la période de transition entre techniques traditionnelles et numériques. C’était assez passionnant d’assister aux recherches et tâtonnements des photograveurs, fabricants et auteurs pour obtenir les meilleures reproductions possibles des couleurs de planches en couleurs directes, par exemple. Aujourd’hui, les techniques sont affinées, les machines calibrées, les épreuves standardisées mais à l’époque, ce n’était pas encore complètement normé et maîtrisé. Après ce stage, j’ai exploré d’autres services en faisant divers remplacements : les droits dérivés, les archives et même la réception avant d’être ensuite engagée à la fabrication où je suis restée plusieurs années. J’y exerçais un travail de coordination, avec des aspects techniques, mais j’y ai surtout acquis une expérience relationnelle avec de nombreux auteurs et quelques autrices - encore très rares alors. Ma formation littéraire m’invitait tout naturellement à me pencher sur l’écriture et la création ; je me suis peu à peu intéressée au travail de mes collègues du service éditorial, jusqu’à décrocher un remplacement de 8 mois en tant qu’assistante d’édition. C’était en 2006, année des 60 ans du Lombard, remplie de projets liés à cet anniversaire et avec de nombreux défis à relever. J’ai découvert des facettes supplémentaires du métier et je me suis dit que c’était vraiment ce que j’avais envie de faire au quotidien. Des hasards heureux ont fait en sorte que je puisse poursuivre mon parcours en tant qu’assistante d’édition dans les mois qui ont suivi. Tout ce que j’ai appris en passant par ces différents postes m’a été extrêmement utile dans mon travail d’éditrice par la suite. Ça m’a donné une vision très complète du circuit d’élaboration d’une bande dessinée.

- Est-ce que comme dans de nombreux milieux il est toujours plus difficile de s'imposer en tant que femme ? Est-ce que vous avez tout de même l'impression qu'au fil du temps les mentalités évoluent et que les lignes bougent sur ce sujet de la parité ?

- Je pense que les milieux de la BD et de l’édition n’échappent pas au sexisme ordinaire, malheureusement. À l’époque où j’ai débuté, les rôles masculin et féminin étaient encore très stéréotypés : peu d’autrices, peu de femmes à des postes de direction, une hiérarchie assez machiste, probablement en raison d’une certaine tradition d’entreprise - sans doute sans réelle volonté de nuire mais avec aucune conscience de l’anormalité de certains comportements sexistes. La BD a pendant longtemps principalement mis en avant des héros masculins (ou des héroïnes destinées à émoustiller les messieurs) et était lue majoritairement par des hommes. C’est donc sans doute assez logique que le milieu ait été très masculin et relativement machiste pendant une longue période. En tant que jeune femme, on n’attendait pas forcément de moi que j’aie des idées ou que je donne mon avis, mais plutôt que j’exécute docilement les tâches qu’on me confiait et que je rie gentiment aux plaisanteries des dirigeants. Ce n’était toutefois pas pour autant l’enfer et j’ai réussi à me faire une place et à progresser, à mener à bien certains projets, mais je pense, sans misérabilisme, avoir dû me battre plus que certains hommes qui avaient pourtant moins d’expérience et de compétences que moi. J’ai dû « faire mes preuves » sur une période beaucoup plus longue.

Il n’est pas forcément évident pour une femme de reconnaître ses compétences en milieu professionnel et j’ai dû effectuer un travail sur moi afin d’oser aujourd’hui affirmer que j’ai acquis des compétences en lesquelles je peux avoir confiance. Cet autodénigrement est ce qu’on appelle le syndrome de l’imposteur, très fréquent chez les femmes. Aujourd’hui, je suis optimiste, car de nombreuses femmes sont à présent éditrices et dirigeantes dans beaucoup de maisons d’édition de bande dessinée. — Nathalie Van Campenhoudt

J’espère avoir ouvert la voie à certaines, simplement en montrant que c’était possible. Il y a de plus en plus d’autrices et de récits mettant en avant des femmes ou d’autres minorités. Beaucoup d’albums passent aujourd’hui le fameux test de Bechdel. Pour ce faire, il faut que l’histoire présente au moins deux personnages féminins identifiés, que ces femmes parlent entre elles et qu’elles parlent d’autre chose que d’un sujet lié à un homme. Il me semble que la bande dessinée se fait de plus en plus le relais des évolutions sociétales.

- Chez Dargaud-Le Lombard vous aviez pu travailler en tant qu'assistante éditoriale puis éditrice, aviez-vous déjà toute latitude pour pouvoir influer sur la création de collections spécifiques et/ou sur l'orientation des sorties de cette maison d'édition ?

Avec Léonie Bischoff et le Fauve d'Angoulême Prix du Public France télévisions

- Ma position était un peu particulière, car j’ai commencé en bas de l’échelle et j’ai peu à peu manifesté la volonté que me soient confiées d’autres tâches, des tâches plus éditoriales, demandant plus de responsabilités. On m’a laissé essayer des choses, mais j’ai longtemps été à la fois une assistante avec une charge de travail importante et une responsable ou adjointe éditoriale, c’est-à-dire une éditrice sur certains albums, à condition que mes choix soient validés par une hiérarchie en l’occurrence masculine. Je combinais donc les tâches, le temps de faire mes preuves et le temps que mes supérieurs évaluent la possibilité de me confier de vraies responsabilités de façon officielle. Ce n’était pas forcément très confortable et ne témoignait pas d’une pleine reconnaissance de mes capacités, mais comme toute expérience, j’en ai tiré des enseignements. J’ai appris le métier d’éditrice et peu à peu, j’ai pu l’exercer plus pleinement, mais ça a été un processus lent et progressif. Une étape importante de mon parcours a été la création de la collection « La petite Bédéthèque des Savoirs » avec l’auteur et éditeur David Vandermeulen. Nous avions tous deux une vision éditoriale commune et une manière de travailler très complémentaire. Nous avions sur ce projet une grande liberté de conception et de création. La répartition des rôles entre nous se faisait assez naturellement et l’on ne peut pas vraiment dire qu’il y avait une hiérarchie ou que l’un prenait plus de décisions ou de responsabilités que l’autre. Toutefois, il faut bien nommer les rôles de chacun et c’est ainsi que David s’est retrouvé « Directeur de collection », car c’est l’usage en tant qu’employé externe non salarié, et que j’ai été nommée « éditrice », ce qui était déjà une belle reconnaissance. Nous avons pu observer à travers ce binôme homme-femme la manière dont les médias nous considéraient dans nos tâches respectives. On ne compte plus les fois où David a expliqué que nos fonctions étaient plus de l’ordre des conventions de langage que du réel et les fois où, si David ne pouvait pas répondre à une interview, l’entretien était carrément annulé ou mes propos passés sous silence. Ça semble caricatural exposé comme ça, mais c’est malheureusement arrivé.

- Est-ce que c'est le succès de cette collection qui vous a permis d'avancer sur la publication de nouveaux ouvrages dans lesquels les sujets sociétaux sont centraux ?

- Le succès de cette collection m’a en effet donné de la visibilité dans le milieu et c’est en partie grâce à cela que j’ai été repérée par les Éditions Casterman en 2017. Avant de lancer cette collection, j’avais aussi fait quelques choix éditoriaux remarqués, car assez atypiques par rapport à la ligne éditoriale des Éditions du Lombard, comme Les Crocodiles de Thomas Mathieu (un recueil de témoignages réels liés au sexisme ordinaire et au harcèlement de rue mis en BD et publiés d’abord sur le tumblr « projet crocodiles ») ou encore MELVILE de Romain Renard (une série de one-shots développant un univers « lynchéen » très inspiré de culture et de littérature américaines, avec un traitement graphique très particulier et des développements multimédias : concert, appli musicale, réalité augmentée, appli immersive)…

Une fois arrivée chez Casterman, j’ai eu envie de développer de nouveaux projets en lien avec des sujets sociétaux. Selon moi, les contenus des albums que j’édite ont un pouvoir d’influence sur les lecteurices. Je n’envisage pas d’éditer des livres qui selon moi ne seraient pas utiles. C’est une forme d’engagement et de militantisme par publications interposées. Mes choix sont subjectifs mais j’essaie qu’ils soient cohérents par rapport à mes convictions, même si j’essaie toujours que ces livres laissent la place à l’esprit critique et au fait de pouvoir se faire sa propre opinion. J’ai notamment publié la suite des Crocodiles, Les Crocodiles sont toujours là, avec cette fois une autrice, Juliette Boutant, pour mener le projet aux côtés de Thomas Mathieu. J’ai développé aussi une série jeunesse, Lucien et les mystérieux phénomènes (par Delphine Le Lay et Alexis Horellou), qui sous couvert d’aventures fantastiques à la Scooby-Doo transmet des valeurs de respect de la nature, de solidarité, de respect des différences et apprend même aux jeunes ados ce qu’est le sexisme et comment s’en défaire. Par ailleurs, début 2021, sont sortis coup sur coup cinq albums conçus presque sur le même modèle que ceux de « La petite Bédéthèque des Savoirs », à savoir des récits dessinés de non-fiction, fruits de la collaboration entre des spécialistes des sciences humaines/des scientifiques et des auteurices de BD, mais avec une plus grande liberté de pagination et de point de vue : La mode déshabillée (par Zoé Thouron et Frédéric Godart), Le genre, cet obscur objet du désordre (par Anne-Charlotte Husson et Thomas Mathieu), Urgence climatique (par Étienne Lécroart et Ivar Ekeland), Comment devient-on raciste ? (par Ismaël Méziane, Carole Reynaud-Paligot et Évelyne Heyer) et Mister Cerveau (par Jean-Yves Duhoo, préfacé par Lionel Naccache)

- Pouvez-vous nous parler de la façon dont vous travaillez lorsque vous décidez de mettre en relation un.e dessinateur.trice de bande dessinée et un.e spécialiste d'un sujet sociétal ?

- Chaque cas est particulier, mais il y a un point commun : il s’agit de faire se rencontrer deux « mondes », deux métiers différents. L’enjeu de la rencontre est qu’une alchimie et une complémentarité se créent entre les deux acteurs. Le ou la spécialiste vient avec son savoir, sa matière, ses idées et une façon de les présenter de façon vulgarisée, imagée, avec exemples et anecdotes, via des mots (pas sous forme de bande dessinée). L’auteur ou l’autrice de BD vient avec son savoir-faire qui permet de raconter, de mettre en scène de façon ludique, de séquencer, d’ajouter de l’humour, en résumé : de faire de la bande dessinée. Les rencontres sont parfois le fruit d’idées venant de ma part, mais il se peut aussi que des dessinateurices soient passionné.e.s par un thème scientifique ou sociétal et suggèrent un sujet ou un.e spécialiste en particulier. Avec les albums parus chez Casterman, j’ai souhaité éviter de « commander » des albums, j’ai préféré faire en sorte que les collaborations soient vraiment le résultat d’envies très fortes des auteurices de BD, je voulais leur donner plus de libertés que dans une collection trop calibrée et normée. Casterman est une maison qui a toujours mis en avant les auteurs avant les séries et ça me semblait une démarche en phase avec cette ligne éditoriale.

- Ces derniers mois, vous avez œuvré sur plusieurs publications de ce type, question compliquée, est-ce qu'il y en une en particulier dont vous vous sentez vraiment fière de l'avoir édité ?

- C’est toujours délicat de désigner un préféré (pardon !), mais en termes de fierté, je choisirais l’album consacré au genre (Le genre, cet obscur objet du désordre), car c’est un sujet délicat, polémique et qui est souvent perçu sans toutes les nuances et finesses qu’il demande. Anne-Charlotte Husson, qui traduit en quelque sorte sa thèse en bande dessinée à travers cet album, apporte une réflexion vraiment interpellante, qui déconstruit extrêmement intelligemment les arguments des mouvements antigenres en faisant appel à de nombreuses théories et disciplines, en travaillant aussi beaucoup sur le langage et les dénominations liées au genre. Par exemple, parler de « théorie du genre » n’est pas innocent, car cela sous-entend qu’il s’agit de quelque chose qui n’est pas prouvé ou d’une forme d’idéologie, parler de « gender » est aussi une façon de mettre à distance un concept présenté comme étranger et n’ayant donc pas à s’intégrer dans la société française ou francophone.

Cet album est destiné à un public de grands ados et d’adultes, car certains concepts sont subtils, mais la démonstration est on ne peut plus éclairante et montre aussi à quel point un thème comme l’identité de genre et la façon dont les autorités politique ou religieuse le traitent peut être révélateur du degré de démocratie de nos sociétés. — Nathalie Van Campenhoudt

En ce mois des fiertés, essayer de comprendre pourquoi le fait que de nombreuses personnes ne s’identifient pas de façon simplement binaire comme homme ou femme (ou ne se sentent pas correspondre au genre qui leur a été assigné à la naissance) pose un souci et soulève l’opposition de certain.e.s me semble indispensable. Je n’imagine pas un avenir serein à notre société si elle ne devient pas capable d’accepter plus de diversité et d’égalité.

- Au vu de cette ligne rédactionnelle qui fait sens et qui semble prendre de l'ampleur, est-ce que les médias et le public se fidélisent de plus en plus vers ce genre d'ouvrages ?

- La BD du réel, de reportage, de témoignage, de savoir ou de non-fiction est une tendance majeure en bande dessinée contemporaine et qui s’installe depuis une bonne dizaine d’années. Une grande variété d’albums peuvent être rangés dans cette catégorie. Certains deviennent des best-sellers comme Dans la combi de Thomas Pesquet de Marion Montaigne, L’Arabe du futur de Riad Sattouf ou encore Sapiens, l’adaptation de l’essai de Yuval Noah Harari par Daniel Casanave et David Vandermeulen. Un des défis à relever quand on édite ce genre d’albums, c’est d’aller chercher un public de niche, un public ciblé, un public qui ne va pas forcément en librairies spécialisées en bande dessinée ou au rayon BD des librairies généralistes. Il y a des obstacles logistiques compliqués à franchir, mais il faudrait idéalement que les essais en BD puissent être placés dans les rayons sciences humaines des librairies généralistes. Ce nouveau type de contenu a selon moi attiré vers la bande dessinée un nouveau public, qui n’est pas le même que celui qui lit de la BD d’aventures plus classique ou patrimoniale. Le manga attire aussi de très nombreux nouveaux lecteurs, de même que le roman graphique. Ces tendances fortes dynamisent beaucoup le marché actuel de la BD.

- Enfin pour terminer, nous aimerions beaucoup savoir sur quels projets à venir vous êtes en train de travailler ?

- Parmi les projets à venir, je peux citer A Pink Story, la traduction du roman autobio-graphique de Kate Charlesworth (Sensible footwear en VO) qui raconte son histoire personnelle en regard de l’histoire des mouvements LGBTQIA+ des années 50 à aujourd’hui, un pavé de 320 pages émouvant et hyper instructif ; Alice Guy par Catel et José-Louis Bocquet, une biographie dessinée retraçant le parcours de la première réalisatrice de l’Histoire, bien souvent invisibilisée mais qui est peu à peu réhabilitée, et à juste titre ! ; L’Intranquille, par le jeune auteur libanais Joseph Kai, un récit librement inspiré de sa propre expérience de vie au Liban en tant qu’artiste évoluant dans les milieux queer de Beyrouth ; Feminist in progress par Lauraine Meyer, un petit guide féministe 2.0 destiné aux jeunes adultes ; « Genre : Queer » de l’autrice californienne Maia Kobabe qui écrit en bande dessinée son autobiographie en tant que personne non-binaire, … et bien d’autres projets encore.


Interview : David Mennessier, juin 2021

image de bannière : Nathalie Van Campenhout avec Léonie Bischoff (Anaïs Nin) et Kathy Degreef (attachée de presse) chez Casterman à Paris - Photo de Benoît Mouchart

Classé dans

En lien