Compte Search Menu

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l’utilisation de cookies permettant d’améliorer le contenu de notre site, la réalisation de statistiques de visites, le choix de vos préférences et/ou la gestion de votre compte utilisateur. En savoir plus

Accepter
Focus

Éline Schumacher : « allt getur breyst » ['Tout peut changer' en islandais]

Éline Schumacher - photo @ Céline Chariot
L’énergique et pétillante metteuse en scène, autrice et actrice Éline Schumacher n’est pas avare lorsqu’il s’agit de parler de cohérence – ou plutôt de nos manques de cohérence - en termes de mondes à préserver, d’avenirs à imaginer et du changement maintenant obligatoire. Une carte blanche.

Sommaire

Après avoir traité de l’effondrement annoncé dans le spectacle Science-fiction de Selma Alaoui, ou après avoir coécrit avec Vincent Hennebicq La Bombe humaine, il nous semblait aussi évident que pertinent de lui proposer la rédaction de la carte blanche de ce deuxième numéro du Magazine de la saison « Tout peut changer ». Sans contrainte, avec la poésie et l’imaginaire qu’on lui connaît, elle s’est laissé porter par l’exercice avec une originalité rare.


Partir de rien

On ne part jamais de rien, non ? En vérité, il y a toujours, même minime, un début de quelque chose, tu ne crois pas ?... Déjà, j'existe, je suis, et même parfois, ahah « je pense », mais bon, ça ne change rien...

Je suis seule dans la chambre, allongée dans le lit, les bras le long du corps, les paumes contre les draps, la tête posée sur l'oreiller. Je regarde le plafond. Je fixe le plafond. Il est blanc. C'est moi qui l'ai peint. J'examine, j'entre dans la couleur de cet à-plat au-dessus de moi. Si je continue à penser dans le plafond encore un certain temps, tous mes problèmes du jour seront anticipés et mes questions résolues. C'est certain. Alors je plonge encore plus profondément en lui... mais il y a tant de choses qui ne vont pas ! Tant de choses à changer ! Qu'est-ce que je peux bien faire ? Plafond ! Réponds-moi ! Dis-moi !

Je ris d'imaginer qu'il me répond. Si on y regarde vraiment bien et longtemps, très longtemps, la couleur n'est pas unie. J'ai utilisé le mot « à-plat », mais ce n'est pas juste. La couleur est granuleuse, comme pixellisée. Il y a les coups de pinceau qui ont laissé leurs dessins, les restes d'une truelle tremblante fatiguée d'être tendue à bout de bras, et l'imprécision de l'enduit utilisé car on n'avait plus assez de matière ; ces imperfections font apparaître des ombres et des clairs-obscurs dans ce blanc, plus aussi blanc que blanc.

Plafond, je te croyais plein de réponses mais tu n'es que questions ! Et discrètement, le blanc bouge. Le blanc bouge ? — Éline Schumacher

J'hallucine, ce n'est pas possible. La première couche du plafond se décolle vers le bas et transforme en vagues les coups de pinceau. Je plisse les yeux, je les frotte vigoureusement, il faut que je me réveille. Mais je ne dors pas ! La première couche de peinture se détache maintenant totalement du plafond pour faire apparaître la deuxième. Je me frotte à nouveau les yeux comme un enfant qui fatigue.

Mais petit à petit, une fissure semble apparaître ! L'impossible est donc possible et je suis en train de le découvrir maintenant, sans témoin, seule dans mon appartement.

Aller à la rencontre

J'ai posé une question dans un bar, un peu trop fort à cause du bruit et à la table d'à côté ils ont réagi - Ahah trop drôle, pardon justement je vous entends parler de ça mais nous, on essaie de monter un truc là ! C'est des activités dans le quartier...Un truc de voisins... T'es pas seule tu sais ! - La meuf était assez sympa, j'sais pas, mais au moins on a pu discuter quoi.

Quand il y a des fissures sur les murs, on dit que c'est parce que les matières sont vivantes. Et c'est vrai que les maisons sont sur des sols, qui sont eux-mêmes encore plus vivants ; on s'en rend bien compte quand on s'approche d'un volcan. Je le sais, j'ai vu le Fagradalsfjall transformer la terre juste devant mes yeux. Le feu qui métamorphose pour toujours le paysage. Le temps passe sur les murs comme sur les troncs des arbres ou les visages de mes parents.

Je reste dans cette position, allongée, le regard dans les rides du plafond. Une fissure, puis deux, puis plein ! — Éline Schumacher

Waaaouw ! Mais Oooooohhhh ! Et je sais que ça peut paraître dingue, mais le plafond éructe : hæ ég er hér... Quoi ? ég sagði bara hæ... Et le mur à ma droite enchaîne : ah þú ert þarna... Lui aussi ?! Mais en fait les murs font du bruit ? Ils font des bruits ; ce genre de bruits dont on ne sait pas ce que c'est...

Ça continue : svo hvað gerum við... Ça ajoute : við gætum flutt... Ça ne s'arrête pas : ég myndi líka gera eitthvað... Mes oreilles deviennent des cônes, des amplificateurs. Je concentre toute mon énergie pour ne pas inventer la source de ces sons et transformer ces bruits en cauchemars tout droit sortis de l'enfance. L'araignée géante qui tisse sa toile entre les immeubles ou le méchant voleur qui grimpe le long de la gouttière.

Dépasser la peur

Moi je capte rien et du coup ça me stresse tu vois, mais c'est débile, j'dois juste apprendre à connaître au final.

Qu'est-ce que c'est que ces bruits ? Les murs parlent ? Pourquoi personne ne me l'a jamais dit...

Y croire. En fait du coup je lui ai écrit au bourgmestre, pour dire que ça ne m'allait pas. Mais c'est un truc de dingue ! je te jure il a répondu ! Je dis pas que tout ira mieux mais ça me fait me dire que quand même je peux lui parler, ça reste un humain. Parce qu'on vote tu vois, mais là c'est encore différent.

Qu'est-ce que ça peut bien être? Sérieusement, d'où viennent ces sons ?... Un pigeon qui marche sur les tuiles. Un rat qui glisse entre les lattes du grenier. La machine à laver du voisin qui, trop collée à la paroi suite à ses soubresauts mécaniques, finit par chanter à travers les murs et parvient jusqu'à moi. Non, c'est plus étrange que ça. Étrange ou nouveau ? Je ris de découvrir quelque chose.

Ce sont juste les murs qui parlent, qui vivent, qui chantent ; ils font de la musique. — Éline Schumacher

Y accorder de l'attention

J'ai lu un truc dans un livre, de ouf. Après j'ai acheté un autre et on m'en a prêté un troisième. J'ai écouté une interview à la radio et il y a une affiche dans la ville. Ah mais oui, en fait on peut s'inscrire et participer, toi tu le savais ? Parce que tu vois, tout va trop vite mais là tu peux téléphoner, et quelqu'un répond et tout. C'est concret quoi.

Je frotte mes chaussettes. Quelque chose picote mes chevilles. Cette sensation monte dans mes genoux et mes cuisses. J'ai des fourmis dans les jambes. Elles marchent entre mes muscles et ma peau. Ça chatouille ! Je dois les secouer pour les faire partir, mais elles s'accrochent, les coquines...

Allez, bouge ! Mais vas-y bouge ! Mes abdominaux réagissent seuls et presque plus vite que mon cerveau et me dressent en position assise, je suis remontée trop vite et j'ai la tête qui tourne ; mais ça réveille. Et les fourmis crient. Mais oui, je les entends aussi ! Debout ! Vas-y mets-toi debout !

Être en mouvement

J'ai acheté un vélo du coup, comme ça on pourra peut-être aller jusque-là en roulant. Ce serait dément de les rejoindre comme ça, non ? Ouais je sais c'est mille bornes, il va falloir un sacré coussin sur la selle mais franchement au pire on prend le temps et sur la fin on fait moins de kilomètres par jour, ou on fait des bouts en train. Tu penses que les autres seraient chauds de nous rejoindre aussi ?

Je pose mes pieds sur le sol et le parquet gronde, ce n'est pas un craquement. C'est : loksins stendur hún upp... Et le mur lui répond : en já ég sá loksins... Mes chaussettes : það er svolítið okkur að þakka... se mettent à créer une harmonie avec le bruit du mur, le bruit du sol, le bruit du plafond, oui maintenant c'est sûr, c'est si beau, les bruits communiquent. Je fais un pas et le sol tremble, les murs résonnent.

J'entends les verres dans l'armoire de la cuisine, ils tintent en accord avec mon pas. Une note apparaît, ce n'est plus un sifflement, c'est l'aigu de la matière des verres ; ils appellent eux aussi. — Éline Schumacher

Je mes des chaussures. Un lacet puis l'autre et la tête en bas, mon regard s'attarde sur la plinthe de la porte.... Elle bout. Ça ne me surprend presque plus mais oui, des bulles de plastique explosent à mes pieds ! Au rythme des verres qui sonnent, elles grossissent, elles deviennent gluantes. Comme la surface d'une membrane de haut-parleur, le plastique des châssis vibre aussi, il fond et commence à pendre vers le sol comme du fromage fondu. Vite, j'ouvre la porte.

Faire une action

Les journées sont longues mais on se marre bien. C'est pas « pour toujours », je veux dire, je ne resterai pas vivre ici, enfin je crois pas, mais là, pendant deux mois, on a plusieurs objectifs ensemble. J'apprends les outils du bois et il y a une formation accélérée sur les cultures. Je savais pas que ça pouvait pousser si vite !

Je sors et je ne pense pas à fermer la porte à clés ; je les entends qui tombent sur le sol dix étages plus bas dans un cliquetis : við bíðum eftir þér niðri komdu með okkur fljótlega ... qui me semble presque familier.

Je descends, à chaque foulée, la cage d'escalier s'écarte. Le souffle de mon corps dans l'air qui avance crée un mouvement si fort que cet air pousse les murs ; leurs parois sont en mousse et le sol, la surface d'un gigantesque pudding. Il faut avancer plus vite pour ne pas glisser. J'ai encore sept étages à descendre et j'entends le son qui s'emballe derrière la porte d'entrée tout en bas... C'est de là que ça vient, juste là ! C'est maintenant tout un orchestre symphonique qui joue au rythme de mes pas qui s'accélèrent.

J'ouvre la porte d'entrée...

Poursuivre une action

J'ai ramené tout ça dans des cahiers en ville. Mais il y a une manif la semaine prochaine, tu viens avec moi ? On fera un repas à la maison ensuite. Comme ça on pourra s'organiser pour le prochain événement. Y a encore deux trois petits trucs à régler dans l'organisation. Mais il paraît que pour Glasgow tout est prêt. On a le matos, t'inquiète, ça sera de la bombe ! Franchement on n'a pas le choix, c'est vrai non ? Au moins c'est sûr que comme ça, un truc va changer.

Et... Ma mère dit toujours, à un certain âge, on ne peut plus changer personne. Est-ce que ça marche pour l'âge d'une idée ? D'un système ?

On va dire que non. On va dire que non parce que ce matin, il y a de l'espoir dans l'air. On ne sait pas pourquoi mais des E.S.P.O.I.R.S. se baladent dans le ciel et donnent le sourire à plein de gens qui les reconnaissent dans les nuages. Les nuages qui sont verts. Et le ciel qui est orange.

Tout peut changer.

Éline Schumacher
photo de bannière : Éline Schumacher - photo @ Céline Chariot



Retrouvez Éline Schumacher

Avec Propaganda de Vincent Hennebicq

- Le 27 janvier 2022 à l’Espace Georges Dechamps à Herve

- Le 15 février au Centre culturel de Dinant

- Le 17 février au Centre culturel de Perwez

- Le 10 mai au Centre culturel de Mouscron

- Le 12 mai à la Maison de la Culture Famenne-Ardenne, Marche-en-Famenne

- Le 14 mai au Centre culturel de Chapelle-lez-Herlaimont

- Le 24 et 25 mai à la Maison de la Culture, Tournai

- Le 27 mai à la Cité Miroir de Liège


Comme DJ avec Les Filles à paillettes

- Le 2 avril lors du Festival XS au Théâtre national


Dans la nouvelle création de la Clinic Orgasm Society : George de Molière

- Du 18 au 30 avril au Théâtre Varia

- Du 3 au 5 mai au Théâtre le Manège à Mons


Avec La Bombe humaine

- Le 18 juin au Centre culturel d’Uccle