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Focus

Caroline Tilleux et les momies animales des MRAH

Momie animale du MRAH à Bruxelles - par Alicia Hernandez
Rencontre avec Caroline Tilleux, doctorante en Archéologie égyptienne à l’Université catholique de Louvain et chercheuse aux Musées royaux d'Art et d'Histoire.

Il est 8h30 et en cette journée de grève nationale, j’arrive tant bien que mal devant l’immense Palais du Cinquantenaire, construit à la fin du XIXème siècle par Léopold II. Caroline Tilleux  m’attend à l’entrée de la porte arrière des Musées royaux d’Art et d’Histoire (MRAH). À peine le temps de prendre un badge de visiteur, elle me conduit dans son bureau. La lumière jaune, artificielle, témoigne d’un espace sans fenêtre que se partagent quatre passionnés d’histoire. Les montagnes de caisses de silex, empilées les unes sur les autres et les monceaux de bouquins posés sur de larges bureaux, agissent telle une allégorie du chantier de fouilles archéologiques. Il faut dire que Caroline a l’habitude du terrain. Depuis quelques années, elle a pourtant troqué la truelle contre la plume, se lançant dans une aventure tout aussi épique, celle de l’étude des momies égyptiennes des MRAH. Le Cinquantenaire en possède environ une trentaine, tant humaines qu’animales, endormies dans les collections depuis des décennies. Une opportunité aussitôt saisie par cette passionnée d’Égypte ancienne.

L’enthousiasme et la détermination de mon interlocutrice sont palpables. Elle m’emmène sans détour au cœur du sujet. Son étude consistera à émanciper la momie de son statut purement factuel. « Les momies ne sont pas simplement de la matière organique… », me rappelle Caroline, « à travers elles, se manifeste une culture ». Attestant des coutumes propres à une époque, elles nous placent en témoins de la vie d’un être humain, homme, femme ou enfant. En ce sens, les momies humaines posent la question éthique de savoir si oui ou non les exposer et le cas échéant, de quelle manière ? Penser et repenser leur scénographie ainsi que le discours gravitant autour d’elles, voilà un des objectifs du travail de Caroline.

Caroline Tilleux (MRAH) - par Alicia Hernandez-Dispaux

La jeune chercheuse me raconte ensuite quelques grands fondements de la civilisation égyptienne. « L’Egypte est un don du Nil », tels sont les mots qu’elle emprunte à Hérodote, pour signifier l’omniprésence de la nature et son importance dans l’histoire égyptienne. Il en résulte un art qui en regorge de références. Les éléments de décor liés à la nature, apposés sur les objets de la vie quotidienne et sur le mobilier funéraire, sont hautement porteurs de sens. « La civilisation égyptienne est extrêmement codifiée » explique Caroline, pour poursuivre « c’est dans la nature que se manifeste le divin ». Les phénomènes naturels sont donc interprétés comme des signes de la volonté des dieux. L’étoile Sothis, par exemple, est la personnification de la déesse du même nom, qui pendant septante jours disparaît, pour ne réapparaître qu’en été, annonçant la crue annuelle du Nil qui fertilise les terres arides du pays. Si Caroline évoque cette croyance de l’époque, c’est parce qu’elle expliquerait pourquoi les embaumeurs, chargés de momifier les défunts, mettaient septante jours pour effectuer ce rituel funéraire.

La momification, en plus d’être liée au monde naturel, était donc indissociable du divin. Osiris, premier roi d’Égypte selon la légende et premier homme ayant bénéficié de ce rituel, accède à travers elle, à la vie éternelle. La momification devient alors une manière de transformer le défunt en Osiris, lui permettant de revivre éternellement après son passage dans l’au-delà. Caroline précise que cette pratique n’était pas seulement réservée à l’humain : on recense aussi de nombreux animaux momifiés.

Tout comme l’ensemble de la nature, le monde animal dans l’Égypte ancienne, était investi du divin. Il suffit de jeter un œil aux représentations du panthéon égyptien, pour s’apercevoir que la plupart des dieux étaient associés à un ou plusieurs animaux, tant formellement que dans leurs qualités intrinsèques.

Il existe plusieurs types de momies animales. Elles dépendent du statut dont l’animal bénéficiait de son vivant. D’aucuns font office de victuailles pour le défunt, d’autres qui avaient été domestiqués, accompagnent leur maître dans l’au-delà. Certains animaux sont quant à eux voués à un culte et considérés comme sacrés. Toutefois, les momies les plus courantes sont déposées en guise d’offrandes dans les temples des dieux vénérés par des pèlerins venus des quatre coins d’Égypte. Aucune valeur sacrée pour ces animaux de toutes espèces, mais bien une fonction d’intermédiaires entre le dieu et le croyant. Crocodiles, chacals, faucons, chats, chiens, la liste est longue… Certains temples développent des élevages d’animaux destinés à être tués par les prêtres et ensuite vendus aux pèlerins. Un énorme business se développe, les momies votives sont vendues par millions. Les recherches révèlent que de nombreuses momies ne contiennent pas l’entièreté de la dépouille, un os ou parfois rien du tout et de simples végétaux pour donner la forme escomptée. En vendant plusieurs momies à partir d’un seul animal, les prêtres augmentent le rendement et les recettes… Décidément, la nature vénale de l’être humain semble immuable, quelle que soit l’époque !

Si l’on dispose à présent d’informations de plus en plus précises sur le contenu des momies, c’est grâce aux nouvelles technologies. En vue d'apporter des éléments concrets à son étude, Caroline a d’ailleurs eu l’idée de scanner les momies afin de pouvoir les analyser sans les détériorer. Un vrai challenge pour l’archéologue, qui parvient à convaincre le chef du Service d’imagerie médicale des Cliniques universitaires Saint-Luc, de passer au scanner des momies complètes et fragmentaires qui ont plus de deux milles ans… Cette pratique est déjà bien connue dans certains pays. En Belgique, bien que les premiers scans aient été expérimentés en 2005 à l’Université de Liège, le nombre important de momies analysées par Caroline et l’équipe qui l’accompagne est une grande première. Un partenariat voit le jour, donnant à cette étude un caractère pluridisciplinaire, à travers lequel science et archéologie se côtoient, se complètent et interagissent pour aller toujours plus loin.

La route est encore longue pour Caroline qui ne tarit pas de nouveaux projets. Résolument décidée à partager ses données avec le public, elle participe actuellement à la création d’une nouvelle salle du Musée dédiée au monde funéraire et dans laquelle les momies dépoussiérées et sorties de l’ombre seront exposées en regard des scans, qui constituent pour leur part, d’excellents outils pédagogiques.

 

texte et photos:
Alicia Hernandez-Dispaux


site des MRAH

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