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Focus

Capture : les palpitations du KIKK

Under Automata, Eva L’Hoest
Lieu privilégié de l’art numérique à Bruxelles, les Halles de Schaerbeek accueillaient fin mai l’exposition éphémère Capture, inaugurant la toute nouvelle plateforme de production et de diffusion artistique émanant du KIKK.
« — Il y a toujours un référent qui est solide, concret. Le corps figure au centre de l’œuvre en tant que point d'attraction ou d'éloignement et en tant que vecteur d'émotion. Non représenté, il dépend d'une relation pour établir sa présence. Il lance un appel, la technologie rend cet appel sensible. — »

Lancé à Namur en 2011, le festival des cultures créatives fondé par Gilles Bazelaire et Gaëtan Libertiaux n’a cessé d’étendre son audience et son champ d’action. Le rendez-vous de l’automne s’adjoint désormais une multiplicité d’événements liés aux projets satellitaires que sont le Trakk, un hub créatif et fablab, le Smart Gastronomy Lab, la revue King Kong et bientôt le Pavillon, un lieu d’art et d'expérimentation qui ouvrira ses portes, toujours à Namur, en 2020. Hérité de l’exposition universelle basée à Milan en 2015, ce vaste module architectural recevra en primeur les travaux des artistes accompagnés par le KIKK et comprendra, outre un large plateau d’exposition, un laboratoire, un espace interactif dédié à l’innovation technologique, ainsi qu’un espace d’apprentissage qu’occuperont des ateliers et des conférences.

Quant à ce que Capture (dont la curation a été confiée à Marie du Chastel) laisse entrevoir de ces futures programmations, il s’agit bien cette fois encore de considérer le degré supérieur de perception auquel le numérique peut nous permettre d’accéder. Dans la ligne de ce que nous avions pu découvrir aux Halles de Schaerbeek lors des éditions successives de Visions I et II, le champ de la création s’anime aujourd’hui d’un faste technologique dont les inventeurs de mondes bénéficient autant que les sensibilités exploratrices. Ainsi, face aux grandes orgues de l’abstraction, entend-on aussi s’élever des chants pleinement incarnés, qui sont autant d’occasions émouvantes et inventives de saisir l'activité du réel y compris dans sa part fictionnante.

Brume, série d’œuvres signées Joanie Lemercier, se joue sur un clavier d’eau pulvérisée. Disposées en écran, les gouttelettes prêtent leurs formes arrondies aux faisceaux de lumière qui viennent à leur rencontre. De ces interactions subtiles naissent des motifs à la fois sensuels et éthérés, que l’obscurité immense de la salle absorbe dans une fraicheur frissonnante.

Le numérique, comme le cinéma ou les fictions sérielles l’illustrent abondamment, offre un vecteur idéal pour les fantômes qui s’inventent, par ses canaux, des opportunités spectaculaires d’incarnation. Si les spectres que convoquent Rhizome et Dead Star Funeral, respectivement mis au point par Mathieu Zurstrassen et Stéphanie Roland, ressortent classiquement du passé et tendent à faire le pari de la poésie comme arme contre l’oubli, la chorale enchantée nommée SMing par Superbe trouble davantage les illusions de la présence et de l’image. Il y a toujours un référent qui est solide, concret. Le corps figure au centre de l’œuvre en tant que point d'attraction ou d'éloignement et en tant que vecteur d'émotion. Non représenté, il dépend d'une relation pour établir sa présence. Il lance un appel, la technologie rend cet appel sensible. Le numérique produit un milieu intermédiaire qui se vit et se traverse, l'expérience nous montre à quel point d’ordinaire nos mouvements sont contraints et nos visions étriquées en regard de l'étendue des possibles. C’est à un constat semblable que pourrait également conduire, par la voie inverse, la contemplation de l’étrange Under Automata d’Eva L’Hoest, tableau mouvant, réalisé dans un avion pendant la durée d’un vol transatlantique, déroulant le tissu mystérieusement lacunaire de corps pétrifiés, pris dans les rets idiots mais acérés d’une caméra 3D.

Ces artistes, et plus généralement ceux que le KIKK se destine à soutenir, sont basés en Fédération Wallonie-Bruxelles. En ayant recours aux nouvelles technologies, leur point de ralliement exprime la volonté de capturer, c’est-à-dire de comprendre, de sentir et de s’approprier le monde dans l’intimité d’un processus qui donne lieu à une restitution créatrice et vivante.

D’un geste transformateur, sensuel et poétique, il n’y a qu’un pas vers le politique, auquel la galaxie KIKK n’entend pas se soustraire. De fait, la prochaine édition du festival compte bien mettre sur la table des problématiques actuelles telles que le droit des femmes ou l’élaboration de dispositifs d’inclusion. Notons cependant que l’expansion que connaît cet événement a pour prix la fin de la gratuité dans son volet conférentiel – les expositions outdoor et indoor, de même que le marché, demeurant quant à eux accessible sans frais.

L’art numérique est prodigue en éblouissements. Abolir la sensation n’est pas au programme de Capture, pas plus que de compromettre l’adhésion sentimentale aux œuvres. Qu’il s’agisse d’une feuille de papier dont on peut suivre la dissolution dans un bain d’eau (Dead Star Funeral, Stéphanie Roland), de villes imaginaires offertes à une exploration en réalité virtuelle (Atlas, Marie-Ghislaine Losseau & Yann Deval) ou encore d’irisations, réelles ou fictives, obtenues par microscopies vidéo au ralenti (Érosions et microscopies, Alain Wergifosse), ce que ces installations nous aident à comprendre, c’est que, pour paraphraser Virginia Woolf, si « la vie n’offre pas une chose sur quoi poser la main et pouvoir dire : c’est ça », ce caractère instable des choses nous adresse une requête bien spécifique. Celle-ci n’est pas de les saisir, de les murer dans une vision qui les intimerait au silence, mais de ne jamais cesser de se mouvoir avec elle, pour les approcher, les déranger, les scruter, les laisser vivre. De cette danse, la technologie nous offre ses moyens faussaires et fascinants.

Catherine De Poortere

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