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Focus

Balkan Trafik 2018 : plus que des concerts !

Je vois rouge - (c) Bojina Panayotova 2018
Projetés à Bozar ces vendredi et samedi dans le volet cinéma de Balkan Trafik, deux saisissants films (l'un de fiction, l'autre documentaire) pour aborder sans sourciller quelques aspects de la dure réalité bulgare.

Sommaire

Depuis quelques éditions, le festival Balkan Trafik présente, à côté de ses concerts de musiques des Balkans qui ont fait sa renommée, la projection de quelques films qui permettent – que ce soit par un regard documentaire ou via les détours de la fiction – de lever un voile sur le contexte socio-économique, culturel, politique, émotionnel des pays dont sont issues les musiques programmées.

Cette année, à l’occasion de la présidence bulgare de l’Union européenne et en lien tant avec une série de concerts du festival (Kukeri Group, l’Académie de Plovdiv, le beatboxer SkilleR, etc.) qu’avec l’installation Some Bulgarians de Nedko Solakov dans le grand hall Horta du Palais des Beaux-Arts, seront projetés deux films bulgares récents qui, au-delà de leurs différences évidentes, finissent aussi par révéler quelques similitudes frappantes.

Tous les deux très éloignés du film de propagande touristique, Tête baissée et Je vois rouge sont deux films de genre : un des genres centraux du cinéma de fiction (le thriller) pour Kamen Kalev et ce qui est devenu un genre en soi du cinéma documentaire (le film de secret de famille) pour Bojina Panayokova. Abordant les dysfonctionnements du pays l’un dans les cercles de la « Bulgarie d’en haut » et de la Nomenklatura d’hier et d’aujourd’hui à Sofia, le second dans les sphères de la « Bulgarie d’en bas », celle des laissés pour compte – souvent tziganes – des grands ensembles en décrépitude des no man’s land oubliés du reste du pays, ces deux films d’enquête ont été réalisés par des cinéastes d’origine bulgare mais formés en France. Leurs deux personnages (en statuant, ce qui n’est pas exagéré, que Bojina Panayokova devient à l’écran le personnage de son propre documentaire), abordent la réalité bulgare en ayant un pied dans le pays, l’autre en dehors, en le redécouvrant après l’avoir quitté.

Vendredi 20.04 : Je vois rouge (Bojina Panayotova, 2018 – 84’)

Après 25 années passées en France (elle y a déménagé à l’âge de huit ans à la chute du Mur), désormais cinéaste, Bojina Panayotova revient à Sofia au moment de « L’Été bulgare » de 2013 qui voit, pendant plusieurs semaines d’affilée, les Bulgares descendre dans la rue pour accuser le gouvernement de collaboration avec la mafia et les anciens communistes.

Un million de documents des archives de la police secrète venant aussi d’être rendus consultables par chaque citoyen bulgare désirant voir son éventuel dossier, la jeune femme se pose alors pour la première fois des questions sur la relative aisance de sa famille dans les sphères intellectuelles et artistiques de la Bulgarie communiste. Ses grands-parents, ses oncles et tantes, ses parents eux-mêmes ont-ils collaboré d’une manière ou d’une autre avec le pouvoir ? Avec opiniâtreté, elle décide de crever la bulle du non-dit et de « tout filmer, tout fouiller ».

Thématiquement très enraciné dans les univers de l’enfance (souvenirs, chansons d’alors, films de propagande du mouvement de jeunesse des Pionniers, etc. ), le film associe des images de sources et de rendus très différents (pellicule et vidéo ; photos de famille, films de propagande ou de formation des agents des services secrets, images récentes souvent filmées au téléphone portable, images de vidéo surveillance, sessions Skype, etc.).

- Attention spoiler - Mais, plus que le recours fréquent au split screen (manière pour la cinéaste de s’inscrire dans l’image tout en filmant en parallèle l’interlocuteur qui lui fait face), la vraie force du film tient dans la non censure et dans l’inclusion au montage des moments où l’acharnement jusqu’au-boutiste (et parfois malhonnête, laissant tourner la caméra ou l’enregistreur quand on lui demande de les couper) de la cinéaste fait violemment voler en éclat ses rapports avec ses parents, culminant dans la très belle lettre de sa mère à la (presque) fin du film (« Ma vérité ne t’appartient pas.  (…) Je me sens comme un matériau filmique avec lequel tu te forces malgré tout à entretenir un lien. Manipulée. De quel droit juges-tu ma vie ? Pourquoi n’écris-tu pas une vraie fiction ? Je ne t’autorise pas à raconter à qui que ce soit. Je n’ai pas décidé ce que je ferai à ce sujet. Mais surtout, je veux que ce soit moi qui le décide. C’est ma vie. Je suis écœurée. On se parlera plus tard. Mais pas sur Skype. »).

Samedi 21.04 : Tête baissée (Kamen Kalev, 2015 – 110’)

Le film de Kamen Kalev est bien entendu construit sur des types de tensions d’un tout autre ordre. Le cinéaste n’enregistre pas « l’entredéchirement » de sa famille, donc de ses protagonistes, devant sa caméra. Les tensions de sa fiction sont dramatiques et scénaristiques.

Piégé par la police française au moment où il met le pied sur le sol français en essayant de faire passer en douce un sac entier de faux billets, Samy (incarné, tout en violence rentrée, par l’acteur fétiche de Raoul Ruiz : Melvil Poupaud) se voit contraint, pour éviter l’emprisonnement, d’infiltrer en Bulgarie un réseau de trafic de jeunes filles mineures vers les trottoirs sordides de la prostitution en Europe de l’Ouest.

Au-delà de cette intrigue et de l’acteur et de l’actrice (Seher Nebieva, incarnant une jeune prostituée) principaux, le film tire une part non négligeable de son intérêt de tout ce qui se passe au second plan de son fil narratif central : le « décor » au sens large, la géographie humaine, les paysages, l’architecture, etc. Des zones où des bâtiments jadis modernes tombent en miettes et où la pauvreté qui règne est telle qu’on se vend soi-même ou qu’on propose ses propres filles à qui en paiera le prix.

Justesse des « seconds rôles », des figurantes et acuité documentaire passée au filtre de la mise en scène qui culmine dans la très émouvante séquence de la camionnette qui semble presque préfigurer – comme en négatif : en silences et en tristesse rentrée – les scènes de camionnette (chaotiques, sauvages et débordantes de vie, celles-ci) de Amercian Honey d’Andrea Arnold (2016).


Philippe Delvosalle



Balkan Trafik - 12ème édition

Bozar (Bruxelles)

Du Jeudi 19 au Dimanche 22 avril 2018


Je vois rouge (Bojina Panayotokova, 2018)
projection (Bozar studio) : le Vendredi 20 avril à 20h

Tête baissée (Kamen Kalev, 2015)
projection (Bozar studio) : le Samedi 21 avril à 20h
- en présence du réalisateur