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Focus

Arts, culture et confinement (27) : Transquinquennal (collectif théâtral)

Transquinquennal : "Calimero" - bandeau
Toujours aux aguets, l’équipe de Transquinquennal analyse : une paupérisation encore plus forte du secteur est à craindre. Comment panser le présent en repensant l’avenir, telle est la question.

Sommaire

Constructivement irrévérencieux et anticonformiste (Capital confiance, L’un d’entre nous, Coalition), parfois hardiment iconoclaste (41), radicalement subversif pour le bien de tous (We want more ; La Estupidez ; Philip Seymour Hoffman, par exemple ; Calimero), Transquinquennal est l’armure qui nous empêche de nous engluer dans les marées noires de la bien-pensance adipeuse. Les spectacles salvateurs de ces Three Imaginary Boys, Bernard Breuse, Miguel Decleire et Stéphane Olivier, sont au théâtre contemporain ce que le punk jusqu’au-boutiste est au rock’n’roll, brutal avec raisons et sans fard.

Il y a cinq ans déjà, en collaboration avec la Cie néerlandophone Tristero, ils présentaient au Kaaitheater We want more, un spectacle mis en scène comme un oberbayern délirant et festif autour de la propension de l’homme à vivre en état de guerre et à choyer les champs de mines ! Il va sans dire que cette période covidienne de no man’s land ne les laisse pas sans voix. Tout en mesurant les graves conséquences de cette crise, ils pensent à « demain ? », ou plutôt à « comment demain ? » Pour reprendre la prose de Bernard Breuse dans un de ses derniers mails, Punk is not dead !

Interview croisée

- PointCulture : Cette crise et ce confinement ont-ils impacté gravement vos projets ?

- Bernard Breuse : Nous avons seulement dû annuler deux dates prévues pour le mois d’avril.

Après deux années intenses (L’École des maîtres puis La Vie en balançoire avec Eugène Savitzkaya, Idiomatic au Théâtre de Liège, et la saison dernière Calimero au Théâtre les Tanneurs) nous devions enchaîner, enchaînés que nous sommes à notre stakhanovisme productionnel, avec Pharmakon.

Ce spectacle ["Pharmakon"] – un travail commun avec la compagnie les Karyatides et le magazine "Médor" – devait traiter des logiques de l’industrie du médicament en Belgique. La question fondamentale était : est-ce sage de laisser gérer la santé des gens par des intérêts plus particuliers que généraux, où cela nous mène-t-il ? La réponse est aujourd’hui assez claire. Enfin, peut-être pas encore pour tout le monde, mais ça s’éclaircit de jour en jour. Le théâtre où nous voulions coproduire ce spectacle a décliné notre offre. Ce sont des choses qui arrivent. Quoi qu’il en soit, l’actualité nous a tous violemment rattrapés. — Bernard Breuse, Transquinquennal
Dans notre situation où, à ce stade, nos activités ne sont pas trop touchées, je dirais que ce qui me touche le plus c’est l’incertitude non pas de ce qui est, mais de ce qui va changer. Comment le futur va se dessiner, se construire, se penser ? Je crains que, comme d’habitude, on voie s'affronter une tendance progressiste et une tendance rétrograde, un projet qui va chercher à redéfinir le bien commun, à lui donner plus de place, et un projet de repli sur soi, de conservatisme, d’hyper capitalisme. — Stéphane Olivier, Transquinquennal

- Stéphane Olivier : C’est cette seconde direction qui m’effraie, entre autres parce qu’elle peut sembler rassurante. Cette crise nous fait prendre conscience de notre fragilité, je ne sais pas comment nous pouvons faire un moteur de changement de ce sentiment, de cette sensation.

- Miguel Decleire : Nous ne sommes pas trop impactés directement : deux prestations qu’on nous avait proposées, à Bernard et moi, l’une aux Halles, l’autre pour une maison d’édition à Paris. Ce n’est pas grand-chose, quand je compare la situation de certaines autres compagnies dont j’ai des échos par la CCTA (la Chambre des Compagnies Théâtrales pour Adultes, je suis pour le moment dans le CA). Ce qui me frappe, un peu comme Stéphane, c’est que la solution, c’est le repli sur les structures familiales et conventionnelles. Chacun chez soi. Ça a probablement une pertinence, mais la polémique autour du masque montre qu’on n’a pas su y faire face de manière collective. On n’ose pas vraiment le dire, mais on compte sur les moyens individuels de survie déjà existants. J’ai aussi envie de me dire que, depuis qu’on a décidé qu’on allait arrêter la Compagnie en 2022, tout se casse la gueule autour de nous. C’est un peu frustrant parce que, déjà qu’on essaye de trouver la bonne manière de communiquer là-dessus, maintenant on est pris dans un courant bien plus important. C’est une blague bien sûr, mais c’est ce qui me vient spontanément quand j’essaye d’envisager notre futur.

- Comment envisagez-vous l’avenir pour vous et vos confrères ? Va-t-on vers une paupérisation encore plus forte du monde artistique ?

Ce qui est vraiment grave, dramatique, c’est d’être malade, d’avoir des proches malades, ou bien d’être dans une situation dure et stressante à cause des problèmes financiers qui impactent votre vie (logement, nourriture, chauffage, etc). Et certains, dans notre profession, et je pense surtout aux artistes et aux techniciens en contrat à durée déterminée, sont dans cette situation, puisque tout s’est arrêté et que la perte de revenus est grande. La précarité, déjà bien présente, ne va s’en trouver que renforcée, c’est sûr. À ce stade-là, ce n’est plus de la précarité, c’est de la misère. — Bernard

Si rien ne se passe pour eux après l’épisode de confinement, ce qui est possible vu les non-rentrées financières qu’amène la situation, les inégalités du secteur seront possiblement renforcées, entre, d’une part, les institutions culturelles pérennes et politiquement soutenues, et leurs cadres, qui jouissent d’un confort relatif, et les compagnies ou les créateurs et les artistes isolés, qui vont être encore plus dans le besoin, pour ne pas dire un autre mot.

En gros, les jeunes, ceux qui débutent, mais pas qu’eux, risquent d’en prendre plein la poire. Cela dit, avant de nous cloîtrer chez nous, nous étions aussi en train de plancher sur les spectacles des saisons à venir et plus précisément sur la rentrée (avec la tournée de Calimero, notre spectacle sur la domination masculine des plus de 50 ans, prévue au dernier trimestre 2020) et, à priori, cette tournée est toujours dans les tuyaux. On se dit que, dans six mois, les choses auront repris leur cours, qu’on pourra rejouer comme avant, mais aujourd’hui, en fait, je ne sais pas si c’est souhaitable. On ne va pas faire comme si de rien n’était, et repartir comme en 40. Si on le fait, on est vraiment des crétins.

- Miguel : Je pense que Bernard et moi sommes confrontés, de par nos présences aux CA de fédérations représentatives (l’Union des artistes du spectacle et la CCTA), à la situation générale dans laquelle sont plongés les créateurs et les compagnies. Il est dit dans certaines interviews que ce sont les artistes « en bout de chaine » qui sont les plus impactés, mais dans les faits, rien n’est vraiment fait pour eux. D’ailleurs, quelqu’un me faisait remarquer que cette expression est curieuse, « bout de chaine », c’est oublier que les spectacles, dans leur immense majorité, sont à l’initiative des compagnies et des créateurs, on devrait parler de « centre », de « base ».

Ça met pour moi en lumière le fait que tout l’édifice de la culture est construit comme une vaste entreprise qui est pensée à l’envers, en sur-sécurisant ce qui est économiquement pérenne, la gestion et l’exploitation des spectacles comme produits finis, sans du tout se poser la question des conditions d’émergence de la création. C’est ça qui sera l’enjeu des réponses à apporter quand on sera sorti du confinement. — Miguel

La crise du Covid-19 ne fait qu’exacerber la situation pourrie à ce niveau-là (et c’est d’autant plus vrai pour la société dans son ensemble, nous voyons clairement les limites du modèle économique néolibéral : ce qui tient, c’est ce qu’il n’a pas encore démoli dans les services publics).

- Comme le secteur est en danger, pensez-vous à un remaniement des contrats-programmes ou une solution plus générale, voire plus fondamentale ?

- Bernard : Nous avons un contrat-programme, nous avons reçu une subvention, nous n’avons pas besoin d’une autre aide actuellement. Nous sommes aidés structurellement pendant cinq ans, jusqu’en 2022, à partir du projet que nous avions déposé en 2017 et que nous essayons de réaliser. Mais la force majeure fait que ce contrat peut être remis en question. Tous les contrats-programmes que le ministère de la culture a passé avec les théâtres peuvent être remis en question si la Fédération a des problèmes de financement, c’est peut-être ce qui va se passer, on n’en sait rien.

Politiquement, à la Culture, depuis, 20 ans, on a eu l’opération États généraux de la Culture, on a eu l’opération L’Artiste au centre , et résultat des courses, l’artiste reçoit toujours les miettes du gâteau. Le tax shelter, qui a amené depuis deux ans de l’argent dans le spectacle vivant, avait un peu contribué à remonter l’emploi artistique des institutions. Là, je crains le pire.

Encore une fois, à court terme, nous ça va, mais d’autres vont devoir être aidés, sérieusement, surtout les jeunes et les plus précaires, parce qu’on n'est pas tous dans la même galère, c’est clair. Il va falloir aussi que tout le secteur se bouge pour montrer que la solidarité n’est pas un vain mot. Il ne s’agira pas de déshabiller Pierre pour habiller Paul, mais de voir ce qu’on peut faire pour les plus fragiles, et faire preuve d’imagination et d'entraide. Il paraît que les artistes en ont à revendre, de l’imagination, on va voir si les structures et les institutions vont leur en acheter… — Bernard

(Par exemple, avant cette affaire de corona, et pour ce qui est du spectacle vivant, la ministre avait dit ses intentions d’axer sa politique sur la diffusion, c’est peut-être l’occasion d’avoir des idées originales pour les 118 centres culturels de la Fédération Wallonie-Bruxelles)

- Miguel : C’est clairement l’aide à la création qu’il faudra repenser.

- D’autres franges de la population vivent la crise actuelle de manière encore plus aiguë. Avez-vous pris des initiatives dans ce sens ?

- Bernard : Pour le moment, nous n’avons pris aucune initiative commune dans ce sens, nous savons que l’asbl Doucheflux et L’Œuvrette Factory (ils sont liés) le font, ils le faisaient déjà avant et cela les honore.

- Miguel : Chacun de nous individuellement fait ce qu’il peut de là où il est, je pense. Mais en tant que compagnie, c’est clair que nous sommes plutôt limités dans nos possibilités. Je vois autour de moi comment les magasins de première nécessité s’organisent pour continuer à offrir leurs services.

- Au quotidien, ce confinement peut-il aboutir à des choses qui soient positives ? Se recentrer, redéfinir les priorités, revenir aux fondamentaux ?

- Bernard : Je vais parler de moi. Du recul, on va en avoir, qu’on le veuille ou pas.

Après, on verra ce qu’on en fera. Chez moi, j’ai dû quand même faire face à la nécessité de m’organiser un peu (j’ai deux jeunes enfants en garde partagée) question cours, activités physiques et ludiques, etc.

Puis, une fois mon interrogation politique conjoncturelle rapidement passée au second plan (Ah bon, on a un gouvernement MR-CD&V avec des pleins pouvoirs ? Et le roi, il en est où ? Et pour faire ses courses, il porte un masque ? Ah il a un stock ?), et mon étonnement sur l’attitude de certains qui prennent les gens pour des idiots (Ah bon, il n’y a pas assez de masques ? Oh, c’est dommage, hein. Ah bon, il n’y pas assez de tests de dépistage pour tester massivement ? Oh c’est dommage aussi, hein. Mais, gouverner, ce ne serait pas un peu prévoir ? Non ? Ah bon, je croyais), j’ai commencé à réfléchir sur la peur qui m'a envahi (Est-ce que ce monsieur que je croise en allant chercher du pain, il le porte, le « cojones » viral ? Lui, vu la tête qu’il me fait, on dirait bien qu’il me soupçonne de l’avoir) et sur les comportements qu’elle entraîne, cette peur (voir le réflexe « papier toilette » - en fait je sais pourquoi les gens en ont acheté autant, c’est pour fabriquer des masques, lol). Puis, une fois épuisée ma réserve de Rochefort 8, s’est mise en branle, chez moi, une réflexion un peu plus poussée sur les opportunités possibles que cette peur amène au cœur du système cadenassé (le roi est nu), sur le côté peut-être positif de la situation (je ne veux pas être cynique, je sais qu’il y a des gens qui meurent, j’habite pas loin de l’UZ Reine Fabiola, et j’entends les ambulances qui arrivent tous les jours) sur ce que cela va provoquer chez moi, et je me dis que cela me donne une nouvelle résolution. En faire un spectacle ? Je ne sais pas si c’est la bonne réponse, je doute qu’elle soit vraiment à la hauteur…

Je trouve qu’il va falloir être terriblement concret, pragmatique, et j’ai essayé de répondre au questionnaire de Bruno Latour dans la revue AOC, qui propose Un outil pour le discernement, pour ne pas qu’on remonte comme ça dans le tourniquet et qu’on recommence à pédaler comme des hamsters pour faire chauffer la colle. Chacun devrait l’appliquer d’abord au secteur où il travaille et puis au reste du monde, si j’ose dire. — Bernard



Attention : ceci n’est pas un questionnaire, il ne s’agit pas d’un sondage. C’est une aide à l’auto-description*.

Il s’agit de faire la liste des activités dont vous vous sentez privés par la crise actuelle et qui vous donnent la sensation d’une atteinte à vos conditions essentielles de subsistance. Pour chaque activité, pouvez-vous indiquer si vous aimeriez que celles-ci reprennent à l’identique (comme avant), mieux, ou qu’elles ne reprennent pas du tout. Répondez aux questions suivantes :

Question 1 : Quelles sont les activités maintenant suspendues dont vous souhaiteriez qu’elles ne reprennent pas ?

Question 2 : Décrivez a) pourquoi cette activité vous apparaît nuisible/superflue/dangereuse/incohérente ; b) en quoi sa disparition/mise en veilleuse/substitution rendrait d’autres activités que vous favorisez plus facile/plus cohérente ? (Faire un paragraphe distinct pour chacune des réponses listées à la question 1.)

Question 3 : Quelles mesures préconisez-vous pour que les ouvriers/employés/agents/entrepreneurs qui ne pourront plus continuer dans les activités que vous supprimez se voient faciliter la transition vers d’autres activités ?

Question 4 : Quelles sont les activités maintenant suspendues dont vous souhaiteriez qu’elles se développent/reprennent ou celles qui devraient être inventées en remplacement ?

Question 5 : Décrivez a) pourquoi cette activité vous apparaît positive ; b) comment elle rend plus faciles/harmonieuses/cohérentes d’autres activités que vous favorisez ; et c) permettent de lutter contre celles que vous jugez défavorables ? (Faire un paragraphe distinct pour chacune des réponses listées à la question 4.)

Question 6 : Quelles mesures préconisez-vous pour aider les ouvriers/employés/agents/entrepreneurs à acquérir les capacités/moyens/revenus/instruments permettant la reprise/le développement/la création de cette activité ?

(Trouvez ensuite un moyen pour comparer votre description avec celles d’autres participants. La compilation puis la superposition des réponses devraient dessiner peu à peu un paysage composé de lignes de conflits, d’alliances, de controverses et d’oppositions).

*L’auto-description reprend la procédure des nouveaux cahiers de doléance suggérés dans Bruno Latour, « Où atterrir ? Comment s’orienter en politique ». Paris, La Découverte, 2017, et développés depuis par un groupe d’artistes et de chercheurs.


- Stéphane : Nous avons décidé il y a un peu plus de deux ans que le projet artistique de Transquinquennal allait s'arrêter fin 2022. Le projet de notre compagnie a toujours été un projet artistique en soi, les spectacles étant la partie publique d’un travail continu et profond. Or dans ce processus, peu à peu une question est devenue centrale, le changement est nécessaire, souhaitable, souhaité, mais ce changement semble inatteignable pour la plupart d’entre nous, d’une certaine manière, il est impensable (impossible à imaginer de l’endroit où nous sommes).

Et nous avons fait l'hypothèse que si – métaphoriquement – nous provoquons une crise dans notre projet artistique – un changement de point de vue sur notre quotidien depuis 30 ans –, nous trouverons peut-être la sortie de cet impensé. Il y a donc dans la situation actuelle beaucoup de choses qui font écho à notre recherche. — Stéphane

Très concrètement, les angoisses et les tourments intérieurs que nous traversons tous ces derniers jours m’ont touché comme quelque chose qui m’est familier. Avec une acuité qui cette fois n’a rien de métaphorique. Cela ne fait qu'accentuer mon sentiment que l’expérience de notre fin programmée n’est à l’avant-garde de rien, qu’elle ne fait que s’inscrire dans le cours du temps. Concrètement - puisqu’il s’agit de décision en lien avec ce changement de perspective -, toutes les captations de nos spectacles (ceux dont nous nous sommes réceptionnaires des droits) sont en accès libre sur notre site depuis plus d’un an. Et nous sommes en train de finaliser le troisième numéro de notre fanzine. Nous rédigeons celui-ci comme l’endroit d’une réflexion un peu potache, qui nous ramène aussi à des joies adolescentes où nous partageons nos sujets de réflexions du moment. Il est gratuit et nous l’envoyons sur demande, il est aussi déposé dans certains lieux.

- Miguel : Je m’étais dit dès le début que ça me donnerait finalement le temps de faire toutes sortes de choses en attente, trier des dossiers et des fichiers, lectures, mais c’est un peu le contraire qui est arrivé. Le télétravail a explosé, j’ai l’impression, c’est comme si on était disponible tout le temps. Je me rends compte de la différence que ça fait de se déplacer pour aller jusqu’à son lieu de travail, y compris mentalement, de contact avec le bain humain de la ville, l’espèce de no man’s land mental que ça provoque. Je me dis que c’est un peu au travail ce que le rêve est à la vie éveillée. Et je vois que c’est la même chose pour ma compagne, qui écrit. Ça demande beaucoup plus de discipline, y compris pour se ménager des temps de « rien » mental, et ne pas faire tout en même temps.

- La situation vous rend-elle plus accros au web ou vous tenez-vous volontairement à distance pour vous évader autrement ?

- Bernard : Je suis donc séparé, et quand je n’ai pas les enfants (dimanche, lundi, mardi), je fais du ménage et de la lessive, des courses et aussi, je glande.

Pour faire mon malin, je rappelle que glander, c’est se promener sans but précis, comme les porcs qu’on laissait aller aux glands. Je me situe dans cette affaire à mi-chemin entre le porc et le gland. — Bernard

Gland, parce que, comme disait l’autre en parlant des humains, il faut beaucoup de glands pour faire un chêne. Porc, sans que ça soit plus péjoratif que ça, parce qu’il pue autant qu’il est délicieux, quand il n’est pas industriel. Et, industriel aussi, le lisier qu’il fabrique n’est jamais que le résultat du porc à 3 euros le kg qu’on nous vend tous les jours comme une chose normale en supermarché. Arrêtez de nous parler des effets comme étant tristes mais inévitables.

En fait, biologiquement, on est très proche de cet animal, et psychologiquement, on a des leçons à recevoir du porc de campagne : comment apprendre enfin à bien glander, sans s’inquiéter, juste en levant la queue de temps en temps. Quand j’étais petit, on disait que les robots allaient remplacer les humains pour toutes les tâches pénibles, et qu’on aurait tous beaucoup plus de temps libre. Aujourd’hui, chez nous, on travaille tous toujours autant, et l’énorme gain de productivité et la richesse créée par le basculement numérique ont été aimablement dirigés vers le 1% de la population qui aménage déjà son bunker avec piscine près du cercle polaire.

Sorti de ces considérations sur qui devrait payer l’addition mondiale, je nourris mon porc personnel plutôt de lectures. Donc, infos sur internet, journaux, blogs, etc., et puis je suis un boulimique de livres. Comme j’ai des réserves, qu’en temps normal, je ne peux pas résister à la promesse d’un livre, et que j’achète parfois compulsivement en deuxième main, j’aurai besoin d’au moins un an de confinement pour en venir à bout. J’alterne romans et essais. Je n’arrive toujours pas à m’ennuyer.

J’ai aussi été voir des captations de spectacles de théâtre sur Auvio, sur la RTBF, ceux que j’avais ratés en salle et qui ont été captés, et c’est tout à fait regardable (pour ceux qui aiment le théâtre confiné dans une caméra).

Et puis pour la musique, j’en fais, (je rends ici hommage à M. Valejo-Prieto, mon premier prof. de guitare), et je Youtube beaucoup, c’est une bénédiction de voir Bobby Jaspar jouer de la flûte traversière, ou Keith Richards en concert avec les X-Pensive Winos, ou Vulpeck au Carnegie Hall, ou les qost à Montreux (liste non exhaustive) franchement, que demande le peuple, sinon à y être ?

On n’est vraiment pas à plaindre, question offre culturelle à distance. Mais la distance, à un moment, ça ira comme ça… — Bernard

- Stéphane : J’enseigne à l’Insas et j’essaie au quotidien d’effectuer en commun avec les étudiant·e·s et mes collègues tout ce qui est possible pour que leur année académique soit préservée. Ça m’occupe beaucoup, mais la bonne volonté de tou·te·s rend ce moment très enrichissant. Nous nous soutenons mutuellement mes enfants et moi dans notre travail « scolaire ». Je me suis remis au jeu vidéo. J’essaie de maintenir une certaine condition physique, mais je suis face à une vieille évidence, le sport en chambre n’est pas mon truc. Je me mets en relation avec des gens qui me sont proches mais que les soi-disant urgences quotidiennes éloignent trop souvent. Je m’occupe de ma mère, nous cousons des masques ensemble. J’essaie d’aider autour de moi. Comme je pense être une personne à risque, obèse, hypertendu, asthmatique, ancien fumeur, ma responsabilité est de faire en sorte de ne pas tomber malade. En fait pour l’instant j’essaie de me faire un planning et de m’y tenir.

Je limite mon temps d’errance sur les réseaux sociaux à 30 minutes par jour et j’essaie de m’en tenir à l’écoute de 60 minutes maximum d'émissions d’actualité en variant les sources (RTBF, BBC, BBC World, NPR, France info, France inter, etc.). Les boucles et le ressassement à l'excès des mêmes infos, l’accumulation de cette confrontation à notre impuissance me semblent un syntagme mortifère pour la pensée. — Stéphane

J’ai appris il y a longtemps à distiller de l’alcool avec un alambic artisanal, je cherche une casserole à pression et un long tube de cuivre.

- Miguel : Je suis très connecté à Internet évidemment, j’ai participé à quelques visio-fêtes, c’est très drôle, mais je constate que je continue les lectures que je faisais avant le confinement. Je me surprends aussi à regarder ma bibliothèque différemment, les livres physiques et les e-pub. Mais la vie me rattrape et aussi diverses divagations de site en site. J’essaye surtout de me limiter sur les réseaux sociaux, ça me déprime. Surtout que déjà les sociétés de développement de visioconférences comme Zoom profitent de l’urgence pour être moins scrupuleux quant aux données personnelles, et que, comme par hasard, c’est le boom de partage de photos d’enfance sur Facebook. Mais je m’éloigne. Je ne parviens pas à me détacher pour le moment de revoir l’intégralité de The Big Bang Theory. C’est très réconfortant, et ça parle sans doute de notre rapport au confinement, dans ces décors artificiels, ces histoires de gens qui ont tant de problèmes avec l’extérieur.

propos recueillis par e-mail, avril 2020


Le spectacleWe want more est à voir sur le site de la compagnie (en bas de page) :
http://www.transquinquennal.be/spectacle/we-want-more/

Transquinquennal a aussi sa chaine Viméo



Transquinquennal nous a aussi offert trois playlists croisées. Puisez !

- Playlist Bernard

Musique :

Ré-écouter tous ses CD, en partant du premier de la pile, ceux qui ne nous plaisent plus, les mettre de côté pour quelqu’un qui est susceptible de les aimer, quand on refera la première fête avec lui, on les lui donnera. On fait d’une pierre deux coups (de l’espace libéré et une découverte possible par quelqu’un qu’on apprécie).

Livres :

- Spécial copinage, inclassable, le dernier Savitzkaya - Au pays des poules aux œufs d’or : Fume, c’est de la belge, et de la meilleure.

- Jean-Claude Michéa - Impasse Adam Smith : belle explication sur comment la gauche s’est retrouvée à droite, comment elle a viré sa cuti idéologique avec le sourire.

Films :

Blade Runner, 2049. La suite du premier : à la base, adapté de Philip. K. Dick (Les Androïdes rêvent-ils de moutons électriques ? - quel titre, non). C’est visuellement époustouflant, même si le scénario sent trop l’industriel hollywoodien.

Jacky au royaume des filles de Riad Sattouf, je suis fan inconditionnel de ses BD, et là, encore une fois, il fait très fort.

Série :

Black Mirror : on est en plein dedans !

- Playlist Stéphane

Musique :
« Dancing With Myself », la version de Gen X (pas le remix de Billy Idol).

« Me, Myself and I », Billie Holiday (1937).

« Why Don't You Kill Yourself », The Only Ones.

« Frontier Psychiatrist », The Avalanches.

Livres :

L’Exégèse, de Philip K. Dick (2 tomes bien épais)

Absolute Disaster, 99 Things You Should Know About Natural Disaster, James Shepherd-Barron

Films :

The World, the Flesh and the Devil, Ranald MacDougall en 1959.

The Man Who Fell to Earth, Nicolas Roeg en 1976.

Séries :

Years and Years, Twin Peaks, The OA, Devs, The Newsroom, etc.

Jeux PS4 :

Detroit, Heavy Rain.

Images :

Les photos de Cristina Cortal

- Playlist Miguel

Musique :

Je me surprends à reprendre de vieilles amours un peu hétéroclites…

Pour travailler, Talking Heads: Remain in Light, True Stories.

Bien sûr Kraftwerk : tout, et aussi les remix deSeñor Coconut.

Et curieusement aussi Steely Dan, Two Against Nature.

Jeanne Cherhal, Bertrand Burgalat

PJ Harvey, Radiohead

Et je me mets à l’électro. Pour changer. Carl Cox. 2manydjs.

Livres :

Wide Sargasso Sea, de Jean Rhys. (Débâcle dans les Caraïbes – merci à Judith Ribardière)

Amour, colère et folie, Marie Vieux-Chauvet (merci à Réhab Mehal)

Histoire réversible, Lydia Davis

BD :

Les Rigoles, Brecht Evens

Séries :

The Big Bang Theory

The Americans

Black Mirror

Films :

After Life

Wild

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