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Focus

AfricaMuseum de Tervuren : balade en eaux troubles symboliques

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En décembre 2018, après des rénovations qui ont demandé cinq années de travail, l’ex-Musée royal de l’Afrique centrale rouvrait ses portes, au beau milieu d’une vive polémique autour de sa nouvelle raison d’être, qui tient en une seule mais essentielle question : l’AfricaMuseum est-il un musée décolonisé ou simplement une institution postcoloniale ?

Sommaire

On y va ?!

On n’aura pas la prétention d’apporter une réponse définitive à une question historique, politique, culturelle et surtout symbolique aussi sensible que complexe, par les enjeux qu’elle soulève, mais seulement le point de vue d’un citoyen belge lambda qui n’a pas connu la colonisation, mais qui se passionne pour l’histoire en général, va volontiers au musée, et aussi, aime se balader dans des espaces à priori verts.

On rappelle que, édifié entre 1905 et 1908 selon les plans de l’architecte français Charles Girault afin d’héberger la section coloniale de l'Exposition universelle de Bruxelles de 1897, le Musée royal de l’Afrique centrale avait pour mission première de « vendre » à la nation Belgique les bienfaits d’une colonisation du Congo, menée essentiellement à l’initiative du roi Léopold II.

Le MRAC, ou Musée royal de l’Afrique centrale, ou encore l'AfricaMuseum, est aujourd’hui placé sous la tutelle du secrétaire d’État pour la Politique scientifique fédérale. Le musée représente un quart des activités de l’institution. Et, en effet, lors de la rénovation de ce bâtiment, construit à la gloire de Léopold II – ses armoiries y sont apposées 46 fois –, seulement 6 millions d’euros publics ont été consacrés à l’aménagement des salles, contre 66,5 millions pour la partie scientifique proprement dite.

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STIB

Situé à l’orée de la forêt de Soignes, en terre brabançonne flamande mais aux confins de la Région de Bruxelles-Capitale, l’AfricaMuseum domine un parc boisé de plusieurs dizaines d’hectares, traversé de multiples cours d’eau.

Une structure architecturale de style néoclassique, qui s’étend à une extrémité de l’avenue de Tervuren et à laquelle aboutit la ligne du tram 44, qui a son terminus en forme de kiosque, à deux pas. On ne pourra que conseiller au visiteur amateur de privilégier ce mode de transport, tant le tracé qui relie le Cinquantenaire à Tervuren sillonne une très verte et longue portion de forêt, pour le moins inattendu sur ce genre de ligne de communication typiquement urbaine. D’autant que le weekend et les jours fériés, ce sont d’anciens modèles historiques de voitures qui assurent le service.

Les deux implantations principales délimitent presque l’entrée du parc. Il faut passer par celle, de construction récente, qui abrite aussi les magasins et le restaurant/brasserie, pour commencer la visite, qui débute au sous-sol !

Visite

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MRAC, Tervuren.

En avance sur l’heure d’ouverture (11h), je me prends à discuter avec un membre du personnel, au moins trilingue, des plus accueillants, j’insiste sur ce point. On y reçoit également un baladeur numérique et des écouteurs qui peuvent offrir une quantité astronomique d’infos, au prorata du temps de visite (trois heures pour ma part) consenti par le visiteur et de sa curiosité dans tel ou tel domaine. Le visiteur est donc amené dans son parcours à glaner l’essentiel de ses informations via une démarche de type volontaire.

À l’heure dite, on franchit le sas d’entrée, qui est en fait un long couloir (souterrain) d’accès, nu et blanc, à l’espace muséal en tant que tel. Seule la présence d’une longue pirogue en bois noir en provenance du Congo vient rompre la blancheur clinique de cette voie de passage pour le moins inattendue. Au mur, une inscription répétée en six langues : « Tout passe, sauf le passé » (attribuée à l’auteur Luc Huyse). Étrange préambule. Il s’agit de la grande pirogue utilisée par le roi Léopold III, qui n’était plus en fonction lors de sa visite. On se rappellera qu’en 1960, au moment de l’indépendance, c’est son jeune fils Baudouin qui était souverain des Belges.

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TripAdvisor

À peine à l’intérieur de ce grand rectangle, qui alterne les sections en enfilade, qu’est l’AfricaMuseum – le plus grand musée du monde à propos de l’Afrique –, et malgré une numérotation allant de un à trente, ce qui frappe, c’est la pluralité quasi illimitée des sujets et thèmes exposés : histoire coloniale, postcoloniale, arts africains d’hier et d’aujourd’hui, anthropologie, linguistique, botanique, biologie, minéralogie, zoologie, écologie, vie sociale, ethnographie, ethnologie, géopolitique, économie, musicologie religion… mais aucun thème général ou particulier ne se détache, pas de suggestion/proposition d’une ligne rouge explicative, narrative ou thématique pour servir de guide à la visite !

AfricaMuseum ne prétend pas parler de tout un continent, mais son ambition semble bien être de présenter l’Afrique centrale (comprenez l’ancien territoire colonial belge comprenant le Congo, mais aussi le Rwanda et le Burundi, anciennes colonies allemandes devenues belges après 1918) avec un regard positif et neuf, (qui se voudrait) en rupture complète avec l’image de ces contrées héritée de l’époque de la colonisation. Une approche s’inscrivant dans « une perspective de décolonisation : exposer un narratif critique, des perspectives africaines plus présentes et contemporaines centrées sur l’Afrique d’aujourd’hui, tout en restant un lieu de mémoire pour l’histoire coloniale » peut-on lire dans un communiqué officiel de l’institution.

C’est, de fait, le propos dévolu à cet espace introductif rénové, sous les combles, nommé Un musée en mouvement, qui, fort de son ancienne statuaire coloniale mise au rebut dans une pièce débarras – bien qu’il ne soit mentionné de façon claire sur base de quels critères elles ont été déclassées –, et de tout un dispositif interactif mélangeant numérique et reconstitutions sous forme de mini diaporamas/maquettes qui insiste lourdement sur la rupture radicale opérée par le musée lors de sa « mue » récente.

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L’institution met en avant son statut de centre de référence scientifique, sa grande expertise en sciences humaines et naturelles, sa collaboration constante avec des institutions africaines, et ses nombreux partenariats dans maints projets de recherche internationaux, projets dont le cœur est désormais le développement durable. Un mur entier de publications est là pour étayer ce postulat d’être au service de la science. Un peu comme si cette « science » garantissait une neutralité objective du regard alors qu’elle fut maintes et maintes fois convoquée pour justifier et légitimer l’entreprise coloniale elle-même, rappelons-le !

De même, d’un point de vue strictement historique, Tervuren tend à vouloir se placer au-dessus de la mêlée, dans une sorte d’unanimité du propos, au lieu de plus simplement refléter les multiples chantiers d'investigation universitaires en cours et les débats (parfois) houleux qui agitent la recherche historique contemporaine. Et l’AfricaMuseum ne semble pas se soucier du difficile dépassement des subjectivités de départ dans un champ autant marqué par l’inégalité et l’exploitation, ni même de faire son mea-culpa de son propre rôle de diffusion, des décennies durant, de stéréotypes raciaux – racistes – s’appuyant sur un discours scientifique propagandiste.

Une histoire ou des histoires ?

Présentée essentiellement comme l’émanation d’un impérialisme européen et nord-américain de nature capitaliste, culminant au XIXème et début XXème, et basée sur une logique d’accaparement et d’exploitation brutale des richesses naturelles de l’ensemble de la planète par des intérêts privés, la colonisation a, pour ce faire, mobilisé des ressources et forces qui relevaient des États (diplomatiques, politiques, scientifiques…). Un phénomène très international (mais quasi exclusivement occidental) – on y retrouve des Belges, Américains, Suisses –, qui repose sur un système de concessions concédées à de grandes compagnies européennes (de France, Angleterre, Suède…).

Léopold II, souverain de l’État Indépendant du Congo, gère "son domaine" comme une affaire personnelle. L’É.I.C. fut, de ses origines (1885) jusqu’à sa cession à la Belgique en 1908, une sorte de « club » d’affaires international où les populations locales n’étaient finalement traitées que comme de simples ressources humaines, corvéables à merci.

Autofinancée, la colonisation du Congo a été « vendue » aux Belges comme une œuvre civilisatrice, voire comme un travail d’évangélisation nécessaire, au moyen d’une propagande efficace qui jouait autant sur la différenciation des « races et peuples » que sur une évidente fascination envers la proximité supposée entre les colonisés et l’état dit de nature, la part sauvage dont l’homme blanc serait davantage éloigné…

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Le Soir

C’est essentiellement le rôle dévolu à la salle 29 (Histoire Coloniale et Indépendance) et ses nombreux diaporamas et lignes du temps, de retracer ce qui s’est passé entre la « découverte » de ces contrées par les Portugais jusqu’à l’indépendance arrachée en 1960. Recontextualisé selon un récit qui se voudrait sans ambiguïté sur la nature même du processus colonial, mais toujours très orienté depuis un point de vue occidental et belge.

L’histoire du Congo précolonial est à peine esquissée dans une salle de taille modeste et insérée au sein d’un ensemble plus vaste, qui est celui de l’évolution des lignées humaines depuis 2 000 000 d’années. Mais, étrangement, l’articulation chronologique de cette présentation continue de prendre la période coloniale comme référent temporel essentiel : on passe d’une période précoloniale vue comme un bloc historique homogène, au point zéro (l’arrivée des Belges), suivie de l’enchainement logique : ère léopoldienne, État Indépendant du Congo, Congo belge, et enfin, pour terminer, la marche vers l’indépendance (et en vague fil rouge illustratif : les évolués). Certaines explosions de violence contre la domination belge, comme la révolte dans les mines d’uranium de Shinkolobwe (celles qui fourniront le minerai des bombes américaines de 1945), ne sont pas reprises. Peu ou pas d’éléments factuels peu connus en lien avec l’histoire économique et sociale du Congo nous sont livrés. On passe ainsi sous silence que les syndicats n’y ont été autorisés que dans les années 1950 et que seule une fraction réduite du peuple belge s’est enrichie grâce au Congo.

On s’étonne aussi, dans cette présentation des faits : l’indépendance du Congo qui tombe, sans qu’on sache ici exactement pourquoi, en cette année 1960 ! Elle semble n’être qu'une victoire arrachée essentiellement sous la poussée et l’action de forces endogènes, dans un contexte international de guerre froide, relativement peu explicité, sans non plus rapporter le soutien et les quelques appuis favorables à l’indépendance en métropole, et sans trop faire cas de la persistance des mêmes acteurs économiques occidentaux, après la conquête du pouvoir par des chefs d’État locaux ! Absence d’éléments aussi sur l’Afrique et le Congo/Rwanda/Burundi de l’après 1960.

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On en viendrait presque à oublier (ou à être maintenus dans l’ignorance) que le site de Tervuren a été financé dès l’origine grâce aux bénéfices de l’État Indépendant du Congo, ainsi que, d’ailleurs, l’origine criminelle de ces mêmes bénéfices, venant pour une bonne part de l’exploitation du caoutchouc.

On ne trouve trace d’aucune remise en cause globale de la colonisation et de ses crimes, ni d’une condamnation morale explicite de ces mêmes crimes et le musée semble (ce n’est pas clair) toujours souscrire à l’idée que la Belgique a officiellement mis fin aux abus et exactions à dater de 1908. Le visiteur n’est jamais placé en position de ressentir dans sa chair ce qu’était la violence coloniale, qui n’a d'ailleurs pas cessé après 1908, et est demeurée partie intégrante du processus colonial lui-même, toujours présenté sous ses oripeaux civilisateurs.

Rien ou presque ne vient vraiment ternir l’image du souverain de l’État Indépendant du Congo, Léopold II, malgré la réalité des enlèvements d’enfants, du travail forcé et du pillage des ressources, des mains coupées (évoquées en quelques lignes) dans une région qui se trouvait sous son autorité. A ce titre, les effets personnels de Henry Stanley (son représentant dévoué sur place) sont, eux, toujours exposés ! Or, comme le rappelle Toma Muteba Luntumbue, historien d’art rencontré en décembre 2019, « le fait colonial est partout dans l’espace public, dans la statuaire mémorielle, dans les noms de rues portant ceux des personnes qui ont porté le projet colonial de Léopold. La famille royale a du sang sur les mains ».

« le fait colonial est partout dans l’espace public dans la statuaire mémorielle, dans les noms de rues portant ceux des personnes qui ont porté le projet colonial de Léopold. La famille royale a du sang sur les mains ». — Toma Muteba Luntumbue

Le flou règne aussi sur la responsabilité officielle du gouvernement belge dans la disparition de Patrice Lumumba en 1961, dans des circonstances toujours partiellement obscures.

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AfricaMuseum

Paradoxes

Difficile aussi de passer outre les contingences lourdes imposées par une structure muséale monumentale du XIXème siècle où les initiales de Léopold II semblent partout inscrites dans les matériaux. À deux endroits au moins, des vestiges de l’expérience coloniale demeurent malgré tout visibles, comme un palimpseste qui laisserait finalement revenir d’anciens caractères d’écriture que l’on pensait effacés. Ainsi, dans la salle des Rituels et Cérémonies (numéro 29 sur le plan), où des vitrines présentant un large panel d’objets artistiques cérémoniels et religieux datant de l’époque coloniale alternent avec des écrans numériques, des mini-capsules où des Congolais (et Afro-descendants) de tous âges et de toutes couches sociales confondues font part de leurs expériences de vie quotidienne au pays ou dans ceux où ils se sont établis, et de leurs traditions, de leur confrontation aux institutions, alors que les murs conservent encore des motifs (cartes murales d’un monde qui n’existe que parce qu’il est découvert par les Occidentaux) et décors d’époque. Certaines pièces ont été contextualisées géographiquement et historiquement, un bon point, mais, partout, le spectateur est placé dans un rapport de connivence et d’émerveillement plutôt que dans une position qui le pousserait à s’interroger et à en savoir davantage.

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Wikimedia Commons

On a, une fois encore, un peu de mal à mesurer cette « rupture » voulue par le musée quand l’Africain moderne de 2019 parait comme indéfectiblement relié à un passé révolu. Cette lecture, même voulue comme moderne, continue de se référer davantage à des concepts toujours aussi flous de populations indigènes, de tribus, d’ethnies… et jamais à des groupes sociaux établis ou en devenir, voire, plus simplement, à des individus. En outre, on sait que les rituels variaient fortement d’une région à l’autre et que des changements sociaux et sociétaux importants se sont produits sans lien aucun avec la colonisation. On est de nouveau dans une conception où la modernisation est vue comme un processus contraignant imposé de l’extérieur et non comme une réappropriation collective originale et constante des populations indigènes à partir d’apports hétérogènes multiples.

Quelque part, on reste une structure coloniale, avec des Congolais qui parlent de façon bienveillante des sociétés indigènes. Or, en 2019, la réalité du monde n’est plus ethnique ou identitaire mais davantage trans-locale, selon Boris Wastiau, directeur du Musée d'ethnographie de Genève. Les individus mobilisent des identités multiples, différentes d’une génération à l’autre, qui évoluent au cours d’une vie. Aujourd’hui, on peut se sentir Kinois par identification et habiter Bruxelles ou Dubaï !

en 2019, la réalité du monde n’est plus ethnique ou identitaire mais davantage trans-locale — Boris Wastiau

Étrange, finalement, cette proximité/mixité entre un dispositif numérique destiné à montrer les représentants d’une Afrique plurielle d’aujourd’hui, et des objets de rites anciens qui, originellement investis d’une puissance magique, ne sont pas supposés être conservés et exposés dans un lieu clos tel qu'un musée, visibles à tout moment, à tous les regards. Et, au XXIème siècle, dans un contexte de renouveau religieux via les églises évangéliques, ces objets sont généralement rejetés parce que relevant de cultes dépassés ou considérés comme païens.

S’il ne faudrait pas oublier que si ces pièces patrimoniales remarquables abondent, elles sont avant tout des œuvres arrachées à leurs usages premiers et le fruit d’une déprédation sans contrepartie, et ce même si elles ont pu, dans ce cas, bénéficier d’un travail de conservation/restauration de qualité. Quand bien même, il est généralement impossible de connaitre la façon dont elles ont été acquises, et auprès de qui, bien que régulièrement contextualisées géographiquement et historiquement. Ce qui vient encore compliquer le débat sur les restitutions d'objets artistiques et historiques qui s'amorce à peine !

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Autre incongruité : situées quasi à l’opposé, dans ce magnifique puits de lumière qu’est la Grande Rotonde, quatre statues en bronze doré (signées Arsène Matton) de l’époque léopoldienne côtoient une œuvre moderne d’Aimé Mpané (Nouveau souffle ou le Congo bourgeonnant) placée légèrement en retrait !

Enfin, si Tervuren se présente à présent comme le lieu de mémoire d’une « histoire partagée », il semble aller vite en besogne et réconcilier, rapidement et à peu de frais, Belges et Congolais, replacés in extremis à égalité dans les termes de l’échange…

Histoires naturelles

On le répète, dès les premières salles d’exposition, le musée insiste sur la spécificité scientifique de l'AM, de ses nombreux domaines de recherche et multiples publications, de son expertise reconnue.

Au niveau des sciences naturelles (en gros), c’est pratiquement toute l’aile Sud, des salles 9 à 19 pour Paysages et Biodiversité et les compléments Paradoxes des Ressources et Cabinet des Minéraux (salles 20 à 23), qui est consacrée aux sols et sous-sols, à la faune et à la flore dans leur infinie diversité, et insiste à bien des endroits sur le caractère absolument unique et donc précieux de celles-ci.

À brûle-pourpoint, on rappellera qu’outre le fameux cuivre du Katanga, c’est du sous-sol congolais qu’ont été extraits les minéraux d’uranium qui ont servi à la fabrication des bombes nucléaires de Hiroshima et Nagasaki en 1945. Ou que le contrôle des métaux rares (comme le coltan), abondants à l’Est du Congo et indispensables au développement des nouvelles technologies de communication, est source de conflits meurtriers et de déplacements massifs de populations, et de redistribution des cartes géopolitiques depuis la fin des années 1980.

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Pourtant, cette partie, assez didactique et ludique, passionnera particulièrement les jeunes publics avec ses animaux de grande taille (bien que l’éléphant et la girafe accusent leur vétusté) taxidermisés hors et sous vitrines, ou encore un bocal géant contenant un fœtus d’éléphant, approchables sans danger au sein de leurs lieux de vie respectifs via des lunettes de réalité virtuelle. Ajoutées à la subdivision consacrée aux origines de l’humanité dont le berceau est en Afrique, ces reconstitutions, toujours sous forme d’animations de la vie animale dans un biotope particulier tel que la jungle équatoriale, et une section logique sur les modifications parfois brutales sur la biosphère dues à l’extension des activités humaines et à ses effets déjà sensibles sur le changement climatique, on est davantage dans le registre voisin du Muséum. Ou alors, ça se justifie uniquement dans le cadre d’une vue d’ensemble de la région de l’Afrique centrale, et du travail de prospection sur les faunes et flores par les équipes de recherche scientifique du musée.

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Le Soir

Mais on en revient à ce qu’on disait plus haut, et ces questions devraient être remises dans une perspective historique et notamment par rapport aux conséquences durables de la colonisation et de l’indépendance. Les problèmes écologiques et climatiques actuels en sont l'une des conséquences les plus directes.

Reste un constat : cette section ne devrait-elle pas se trouver tout simplement ailleurs ?

Cultures...

Autre aile, autre façon de procéder. La partie « culture(s), côté chaussée de Louvain, subdivisée en deux parties : de 1 à 6 pour les Langues et Musiques et de 28 à 30 pour les Rituels et Cérémonies.

Un sas (salle 8) semble marquer une ligne de démarcation entre l’ancien et le moderne. Moseka, sorte de robot artistique, régule la circulation des visiteurs de bruyante façon, et l’invite à découvrir le travail de quelques artistes congolais contemporains. Certains y voient une sorte d’alibi culturel mais, à nouveau, un public qui ne serait pas familiarisé avec ces codes parfois étranges et difficilement compréhensibles – soit la toute grande majorité des visiteurs – passera à côté.

Ici encore, c’est la découverte en mode ludique qui prime. Les possibilités d’écouter des sons caractéristiques des principales langues parlées en Afrique centrale, ou de s’essayer (virtuellement) à la pratique d’instruments exposés sont nombreuses, mais l’ensemble manque vraiment d’un fil rouge narratif intelligible ou d’articulations critiques : de belles pièces, quelques repères géographiques ou sonores, des détails techniques parfois amusants, mais c’est à peu près tout ;

alors que, paradoxalement, ce parcours se conclut sur Studio Rumba, une pièce entièrement dédiée à la rumba, cette expression musicale locale déjà riche d’une longue histoire qui se renouvelle sans cesse, dans une disposition sons/portraits/photos/explications qui sert là – enfin ! – totalement son propos.

Les explications de la partie Rituels et Cérémonies, quant à elles, relèvent davantage de l’anecdote (amusante) ou de chromos sympathiques (les visiteurs peuvent manipuler certains artefacts, les enfants peuvent s’inscrire à un atelier…), mais l’absence d’une véritable contextualisation peut donner l’impression que ces pratiques et objets renvoient à une période prémoderne, dépassée et archaïque, sans lien avec aujourd’hui…

Pourtant, au sortir de cette partie finale, on sait peu de choses sur le comment on vit de nos jours au Congo, au Rwanda et au Burundi. On n’a pas vraiment eu les outils de compréhension et d’analyse pour adopter une vraie rupture de perspective sociologique (certains parleraient d’une révolution copernicienne !). Tervuren, malgré les quelques efforts consentis, reste une sorte de musée des autres vu par les Belges, le portrait déformant et déformé, surchargé, sur-signifiant et confus (puisque tout s’y mélange) tendu par les ex-colons aux ex-colonisés, toujours pas envisagés ni montrés comme acteurs de leur propre histoire.

A titre d’exemple, Toma Muteba Luntumbue tire le constat que l’identité congolaise s’est construite, après l’indépendance, sur un très fort sentiment de nationalisme. Mais à Kinshasa, métropole de 10 à 15 000 000 d’habitants, le métissage entre personnes issues de toutes les parties du Congo est important et les enfants adoptent le parler local et laissent tomber celui de leurs parents… On ne trouve aucun rebond de la sorte dans ce musée encyclopédique (un Que Sais-Je en dur ?) qui conserve un caractère d’autorité là où il devrait tendre à la co-construction et avoir pour objectif l’intersubjectivité ! Le MRAC est une vitrine, non une interface, qui juxtapose jusqu’à l’étourdissement, mais ignore ce que l’interdisciplinarité veut dire !

...l’identité congolaise s’est construite après l’indépendance sur un très fort sentiment de nationalisme. Mais à Kinshasa, métropole de 10 à 15 000 000 d’habitants, le métissage entre personnes issues de toutes les parties du Congo est important et les enfants adoptent le parler local et laissent tomber celui de leurs parents… — Toma Muteba Luntumbue

L’AfricaMuseum, en tant qu’institution fédérale, et pour terminer par une métaphore facile, me fait penser au résultat régulièrement bancal qui peut émerger d’un compromis politique à la belge où tout le monde se retrouve un peu à l'issue d'interminables pourparlers. On y trouve un peu (beaucoup) de tout – de l’histoire, des sciences, des arts, des objets accumulés en pagaille, une structure monumentale centenaire, etc. – dans une disposition, certes volontariste mais illisible, qui ressemble à une vitrine surchargée toujours poussiéreuse malgré, ici et là, quelques beaux effets pour « faire moderne ». Un lifting raté parce que l’on a préféré conserver en l’état sans heurter trop les sensibilités d’ici, et demeurer sur une certaine continuité plutôt que de se risquer à une rupture complète, pourtant indispensable quand on déplore la persistance forte de stéréotypes issus de la colonisation dans la société belge actuelle et de la difficulté de les dépasser dans la confrontation quotidienne avec des populations avec lesquelles nous vivons pourtant depuis longtemps !

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Walking in the Park

Lors de notre visite à la mi-février, la nature sortait doucement de sa torpeur « hivernale ». Des traces de vert et de timides floraisons commençaient à pointer ici et là dans ce vaste domaine ouvert sur la forêt de Soignes (des sentiers de randonnées partent directement du parc) entre ses structures de jardins à la française, ses vallons boisés – encore impactés par les tempêtes de l'hiver et ses branches et troncs jonchant le sol – et ses étangs et vestiges d’anciens canaux parcourus de doux sentiers pédestres qui, parfois, peuvent accueillir les vélos. C’est un espace aéré, s’ouvrant d’un côté sur la localité de Tervuren elle-même, mais aussi le(s) point(s) de départ de promenades à travers la forêt de Soignes, parfois même jusqu’à Bruxelles…

On est reparti par l’un d’eux sur des kilomètres de sentiers forestiers, aux dénivelés parfois déroutants, le bruit d’une circulation routière en fond discontinu venant nous rappeler que l’on se rapproche d’une métropole…

Sacrée journée !

Yannick Hustache.