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Focus

3 questions aux cinéastes Effi Weiss et Amir Borenstein à propos de leur film « CHANCE »

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Non scénarisé et magnifiquement improvisé, « Chance » dépeint la tentative nocturne de quatre jeunes hommes soudanais de traverser le canal de la Belgique au Royaume-Uni pour y chercher l’asile. Entièrement tourné dans la remorque d’un camion, et basé sur les expériences vécues des protagonistes, ce docu-fiction est une rencontre rare, profondément humaine, avec quatre individus et avec une réalité trop souvent invisible. (synopsis du film)

La « chance » est une expression qui désigne ce moment déterminant, cette heureuse opportunité, qui permet à tout migrant d'arriver au Royaume-Uni, malgré les multiples obstacles.

PointCulture : Dans un très beau film d’atelier coordonné par Amir Borenstein en 2010, Histoires d’attentes, l’expérimentation cinématographique avec des jeunes MENA (Mineurs étrangers non accompagnés) au centre Fedasil ouvert de Neder-Over-Heembeek, avait déjà donné une tonalité particulière à ce sujet « invisible » (pour beaucoup d’entre nous) qu’est la condition des réfugié.e.s. L’humain avec ses doutes, ses aspirations, ses moments intimes, était au centre du film ; quant à la caméra – ce sont les jeunes qui (se) filmaient – elle était utilisée comme un outil réappropriation de leurs vécus et comme médium de (re)connaissance.

Dans CHANCE, ce ne sont plus les protagonistes qui manipulent la caméra mais l’humain est bien au cœur du film. Les matières premières sont leurs corps et leurs pensées. Le film est hybride à plus d’un titre : il s’agit d’un huis clos joué par les protagonistes sans être pour autant du théâtre filmé. Peu importe qu’il s’agisse de fiction ou de documentaire, c’est du cinéma. Les « acteurs » sont – ou ont été – des candidats qui ont tenté leur « chance » à de multiples reprises pour rejoindre le Royaume-Uni. Ce « mélange des genres » n’est pas éloigné de la démarche d’un cinéaste comme Peter Watkins.

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Film « CHANCE » – © La chose à trois jambes

  • Comment le film a-t-il pris cette forme hybride ? Était-ce un choix de départ ou cette forme s’est-elle imposée (ou a évolué) en travaillant avec les « acteurs/protagonistes » du film ?

Effi & Amir : Dans CHANCE, comme dans l'autre film cité (Histoires d'attentes), le choix de la démarche cinématographique est d'abord le résultat des circonstances, d'une réalité qui impose des contraintes. Dans le cas de CHANCE, ce choix a été fait très tôt, d'une manière spontanée ; il est inséparable de l'idée même du film. Rétrospectivement, on peut expliquer ce choix par ce qu'il n'est pas. Ce film n'a pas pu être un documentaire pour la simple raison qu'éthiquement nous ne pouvions pas demander aux protagonistes de risquer leurs vies pour un film. Quant à la fiction, scénariser un film pareil voudrait dire que nous écrivions leurs paroles et leurs actions à leur place. Le choix d'une mise en situation à l'intérieur de laquelle les protagonistes improvisent leur accorde une place qui nous semble juste et leur permet une liberté qui est revalidée à chaque moment du tournage – par leur choix spontané des mots et des gestes.

Notre objectif était de créer une situation où un réel peut émerger. Pour cela, il fallait mettre en place une réalité de tournage, dans le sens où elle n'est pas pré-écrite, elle n'est pas répétée, elle n'est ni découpée ni mise en scène. Cela est valable à la fois pour les protagonistes et l’équipe. C'est-à-dire que toutes les personnes présentes sur le plateau sont confrontées à une situation inédite.

Et donc le tournage de CHANCE a été pour nous, en quelque sorte, un pari.

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Film « CHANCE » – © La chose à trois jambes

PointCulture : Le film repose sur l’improvisation des protagonistes et, à l’image, il se dégage une certaine prouesse dans ce « décor » tout en sobriété. Dans une lumière crépusculaire, la caméra, au plus près des corps, glisse de l’un à l’autre pour suivre leurs échanges, leurs débats, ou montrer leur désarroi, et le spectateur – qui pourrait être une cinquième personne – peut éprouver l’enfermement et la tension (voire le suspense) en temps réel. Il est plongé dans une expérience singulière qui consiste à « vivre » au plus près de ce qui n’est jamais montré. La durée – nécessaire – de certaines séquences est là aussi pour nous faire percevoir ce vécu dans un temps réaliste (en réalité, plusieurs heures d’attente et d’incertitude).

  • Comment s’est déroulé le tournage et sur combien de temps ?

Effi & Amir : Le tournage principal que constituent la plupart des rushes du film a duré deux jours. Comme le but était de créer une réalité de tournage la plus proche possible d’une réalité vécue, on a dû respecter aussi un temps de tournage suffisamment proche des faits racontés dans le film. Le décor, à l'intérieur de la remorque, en faisait partie évidemment et on a travaillé tous les détails avec les protagonistes, puisque ce eux qui connaissaient ce lieu. Le tournage s'est déroulé en huis clos dans la remorque d'un camion.

Une équipe de quatre personnes a partagé l'espace avec les quatre protagonistes. Seul le chef op était proche d'eux (comme un cinquième passager), l'ingé son, par exemple, n'a pas perché, mais était à l'écart, derrière des boîtes en cartons. Il n’y a eu aucun découpage et les seules directives données au chef opérateur étaient de rester proche des protagonistes, de ne pas changer la focale, de filmer en continuité jusqu'au moment où une coupe était imposée par une batterie épuisée, une carte mémoire remplie ou autre.

Ensuite, quelques mois plus tard, on a tourné à l'extérieur, dans un parking privé ; la scène d'ouverture est aussi faite de la même manière – laissant les protagonistes agir comme ils jugent bon et en les suivant. À ces trois jours de tournage s'est rajoutée une journée complémentaire au stade du montage.

Au montage on a suivi la même logique, en privilégiant de longs plans séquences pour garder exactement la sensation de temps réel. Mais aussi pour respecter et honorer la justesse de jeu des protagonistes et la maîtrise impressionnante avec laquelle ils ont géré la situation.

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Film « CHANCE » – © La chose à trois jambes

PointCulture : Le son participe à la tension palpable tout le long du film. Les protagonistes (enfermés dans la remorque du camion) sont sans cesse sur le qui-vive, à l’écoute du dehors, et chaque bruit venant de l’extérieur devient une source d’interrogation et d’incertitude.

  • Pouvez-vous nous en dire plus sur l’utilisation des sons ?

Effi & Amir : Effectivement le son était un outil pour évoquer un extérieur. Le son est la seule indication d’un monde qui se trouve en dehors du camion, un monde auquel les protagonistes n’ont pas accès. Ce sont des indices qu’ils interprètent à leur manière, autant qu'ils peuvent. Ce qui est important de souligner aussi c’est que les spectateurs, étant eux-mêmes enfermés dans le camion avec les protagonistes, n’en savent pas plus qu'eux. C’est à travers ces derniers qu’ils obtiennent toute information et littéralement voient la réalité via leur regard (et leurs oreilles).

La plupart de sons extérieurs n’ont pas été rajoutés à la postproduction mais ont été diffusés en temps réel, au tournage, à l’extérieur du camion. Suite aux discussions préparatoires avec les protagonistes, nous avons préparé plusieurs « événements sonores » susceptibles de créer des réactions chez eux et de faire avancer l’intrigue. Ils n’étaient pas au courant et ont réagi – ou pas – à ces sons, d’une manière spontanée et imprévue.


Chance (Belgique - 2020 - 75 min) est projeté au Cinema Nova ce vendredi 25 juin en présence des cinéastes, Effi Weiss et Amir Borenstein. Cette projection est suivie d'un concert de Cheikhou Ba, Zakaria Bocoum & Baptiste Beignon-Pivert.

D'autres dates de projection sont prévues au Cinema Nova : ici, la page du site avec les jours.

Le site des cinéastes

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Affiche du film « CHANCE » – © La chose à trois jambes

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