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Focus

« …And City for All ? » : 3 films sur la gentrification au Cinéma Nova

And City for All - Cinema Nova - bannière
De Portland à Washington – et à la ville fictive de Checkford –, de la fin des années 1970 à aujourd’hui, trois films entre fiction et ancrage dans le réel pour regarder en face les processus souvent sournoisement violents de transformation des centres urbains.

Sommaire

Il n’y a jamais vraiment d’entracte dans les travaux de nos villes, toujours un petit quelque chose à faire, ‘moderniser’, ‘revitaliser’, ‘régénérer le tissu urbain’, ‘embellir’, ‘mixifier’, ‘rendre la ville aux habitants’… Autant de formules qui sont souvent synonymes, sans jamais le dire, de ce mécanisme déloyal et sournois par lequel les populations des quartiers populaires sont volontairement remplacées par une couche sociale plus aisée. — programme du Cinéma Nova

A Bread Factory, Part One and Two de Patrick Wang (États-Unis, 2018)

Checkford est une petite ville fictive à l’est des États-Unis. Tellement petite qu’elle n’est pas assez grande pour deux centres culturels. Depuis quarante ans, c’est une ancienne usine, la Bread Factory, qui tenait seule ce rôle, à la fois théâtre, centre d’art et surtout centre social rassemblant les habitants. Mais une fondation vient de s’y installer, qui a pour but la promotion du travail de deux artistes-performers chinois : May et Ray. S’engage alors un duel pour l’attention des spectateurs, et pour les subsides de la ville, qui ne sont pas extensibles.

Après deux films, un drame et une tragédie, l’américano-taïwanais Patrick Wang présente ici une quasi-comédie. L’histoire de la ville, de ses habitants, de la Bread Factory, de May et Ray, nous est livrée au compte-goutte, à travers une narration fragmentée, une succession de scènes de genre confrontant les divers et nombreux personnages. Plus encore qu’un film choral, c’est un film mosaïque, un collage de moments de bravoure. La vie quotidienne dans sa banalité, et son absurdité parfois, est entrecoupée par les actes successifs des spectacles montés par les deux lieux : formels, flashy, ultra-contemporains pour May et Ray, complexes, classiques, collectifs pour la Bread Factory.

Si l’on comprend vite pour qui penche le cœur du réalisateur, ce n’est pas une simple querelle des anciens et des modernes, même si la tradition littéraire et théâtrale – d’Euripide à Tchekhov - est régulièrement mise en contraste, en antinomie inconciliable, avec l’avant-garde un peu ridicule, un peu prétentieuse, des nouveaux-venus. Derrière les choix artistiques, il y a également deux visions de la place de la culture dans la ville. Les uns défendent une vision locale, communautaire, sociale, les autres une vision commerciale, internationale. Le débat qui semble se dérouler sur le terrain de l’art, est en fait un affrontement économique et politique et c’est une colonisation par la gentrification qui menace avant tout la ville.

Patrick Wang avait à la base l’idée d’une mini-série, mais a préféré au final faire deux films (de deux heures chacun) centrés l’un – ce qui nous unit – sur la lutte pour sa survie de la Bread Factory, l’autre – un petit coin de paradis – sur le montage de la pièce « Hécube » d’Euripide. Tout au long de chacun s’entrechoquent des traitements, des styles, des genres, de la tragédie poignante au slapstick le plus absurde, de la parodie de théâtre russe à la comédie musicale, et du drame familial à la danse tik tok. Comme dans le film Me and You and Everyone We Know de Miranda July, la composition en mosaïque donne l’occasion à des explorations et des déviations multiples, qui reflètent les capacités de métamorphoses des artistes et des acteurs. [Benoit Deuxant]

2 fois 4 projections (pour chaque volet du film) du Vendredi 28 janvier au Dimanche 20 février


Property de Penny Allen et Eric Edwards (États-Unis, 1979)

Portland Oregon, à la seconde moitié des années 1970, un groupe d’atypiques post-hippie habitant un quartier ancien promis à la démolition tente de s’organiser et de racheter ses habitations. Travaillant déjà sur des problématiques liées à l’urbanisation des grandes cités et aux difficultés de se loger en ville pour une TV locale, la réalisatrice Penny Allen s’est inspirée de son travail d’enquête sur le terrain pour tourner un film où les acteurs (non-professionnels) ont gardé leur propre nom (ou parfois juste leur prénom ou surnom) à l’écran et qui a bénéficié pour le son de Gus Van Sant ((alors débutant dans le cinéma et « régional de l’étape »).

Saisie dans la torpeur d’un été caniculaire, Portland apparait comme un autre foyer de contre-culture (pas très éloigné de San Francisco), de progressisme et d’écologie dont les quartiers à flanc de collines faits de bâtisses anciennes en bois abritent une faune bigarrée qui vivote et crée dans une certaine insouciance mais non sans former l’embryon d’une communauté où chacun est accepté tel qu’il est. Telle une onde de normalisation venue d’un centre-ville vendu au béton, aux tours et à l’économie financière, des quartiers entiers vont être soumis à une « rénovation » rapide synonyme d’expulsions et d’augmentations rapides des loyers. Vaille que vaille, Walt Curtis (poète, peintre et écrivain), Corky (Hubbert), nain sarcastique et chatouilleux, Marjorie (ex « escort girl »), Nathaniel, Christopher, Richard, Jack, Karen et les autres vont tenter de former un collectif de sauvegarde du quartier, de décider quelles tactiques employer, qui va les représenter et de mutualiser leurs maigres moyens pour tenter de racheter leurs propres habitations. Parfois desservi par le jeu hésitant de certains de ses protagonistes Property s’attarde autant sur le quotidien (et ses fêtes) de ses communautés (pauvres, artistes, noirs, homosexuels, ex-détenus, etc.) davantage attachés à leur liberté héritée des années 1960 et à leur mode de vie tranquille et localisé qu’à se transformer en machines à gagner des dollars pour la grandeur du pays, que sur leurs démarches administratives maladroites face à une machine qui ne reconnait comme valeur cardinale que celle du billet vert. Par ailleurs, le film se conclut sur une petite victoire à l’arraché, mais qui sonne néanmoins le glas des espérances collectives… Les années 1980 pointent déjà à l’horizon. [Yannick Hustache]

5 projections du Samedi 29 janvier au Dimanche 20 février


Residue de Merawi Gerima (États-Unis, 2018)

Tu as senti que notre fin était proche. Tu as apporté la seule arme que tu possèdes : une caméra. Tu pensais que tu pouvais nous sauver. Tu t’es pris pour un archéologue venu déterrer nos os enfouis sous le béton. — voix off au début de ‘Residue’

Après en être parti il y a plus de vingt ans, à la fin des années 1990, Jay (Obi Nwachukwu) roule vers Washington à partir de Los Angeles, un matelas à l’arrière de son pick up. Il déménage pour venir y tourner un film sur Eckington, son quartier d’enfance situé au Nord-Est de la capitale. Sur le répondeur de la maison familiale, il entend le message d’un agent immobilier lui proposant d’acheter la maison ; dans la rue les affichettes « Ready to sell ? », les panneaux « Warning – Security cameras in use » et « Neighborhood Watch Area » fleurissent ; le bruit des chantiers de rénovation des immeubles voisins se fait entendre. De nouveaux habitants – Blancs – sont apparus en masse, souhaitent à Jay la bienvenue dans son propre quartier d’origine ou l’enjoignent de baisser le volume du son de son autoradio… Une nouvelle forme de violence, plus sournoise – économique, culturelle et symbolique – est apparue ou a même partiellement remplacé celles plus anciennes et brutales liées à la drogue, aux gangs et à la police. Même le nom du quartier est en train de s’effacer, d’être rebaptisé. Eckington devient « NoMa » (North Massachussetts Avenue).

Le grand artiste de D.C., Imar Hutchins, dit que le mot ‘Legacy’ est trop fort pour décrire ce que les Noirs laissent derrière eux. Pour lui, ‘résidu’ est un terme beaucoup plus approprié pour décrire ce que laissent les Noirs ordinaires qui persistent contre vents et marées. Nous ne laissons pas de Rolex ou de manoirs, mais des bibelots, des casseroles, des meubles... — Merawi Gerima, dossier de presse du film

Pour aborder ce processus inscrit dans un temps qui passe qu’est par essence la gentrification, Merawi Gerima (fils des cinéastes Haile Gerima et Shirikiana Aina, tous deux liés au mouvement cinématographique afro-américain L.A. Rebellion) superpose, juxtapose et imbrique les strates temporelles. Ce puzzle chronologique mêlant souvenirs, films de famille et jeux d’enfants et fiction contemporaine raconte aussi, en parallèle à l’évolution de la ville, le vieillissement des habitants, les enfants devenus adultes, les adultes devenus personnes âgées, la mort, la disparition, les départs, les mères qui ont perdu leurs fils, les fils qui ont perdu leurs mères. Ce premier long métrage, péchant très ponctuellement par excès d’effets dans l’une ou l’autre scène onirique, impressionne surtout par la présence de ses acteurs (souvent non professionnels) et sa capacité à filmer la ville : les façades, la lumière tamisée qui perce dans les maisons, le vent dans les feuilles des arbres, une vielle chaise à bascule mise au rebut sur le trottoir… Une scène de visite au parloir d’une prison s’ouvre, après un long silence, vers quelque chose de très beau et de très surprenant que je ne révèlerai pas ici. Residue est aussi un film où le travail sur le son compte autant que celui relatif à l’image : montage de voix, déformations, effets de réverbération soulignant le sentiment d’étrangeté ou de déracinement de Jay, etc. [Philippe Delvosalle]

4 projections du Vendredi 28 janvier au Dimanche 20 février

Notices : Benoit Deuxant, Yannick Hustache et Philippe Delvosalle


Cinéma Nova
3 rue d’Arenberg
1000 Bruxelles