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Critique

Triptyque - « Wheel of Fortune and Fantasy », un film de Ryusuke Hamaguchi

Wheel of Fortune and Fantasy

Japon, cinéma japonais, cinéma en salles, Ryusuke Hamaguchi, Wheel of Fortune and Fantasy

publié le par Anne-Sophie De Sutter

Réalisé juste avant « Drive my car », « Wheel of Fortune and Fantasy » est un triptyque racontant les histoires de trois femmes évoluant dans la société contemporaine japonaise.

Ryusuke Hamaguchi aime raconter des histoires de la vie de tous les jours au Japon. Dans Drive my Car, il s’était attaché à la relation entre un régisseur de pièces de théâtre et la femme qui conduit sa voiture dans Hiroshima ; dans Senses, il a suivi trois amies qui se dévoilent et se révèlent dans un film de cinq heures ; dans Asako I & II, il raconte l’histoire d’une femme qui épouse un homme qui ressemble comme deux gouttes d’eau à son amour de jeunesse. Wheel of Fortune and Fantasy - Contes du hasard et autres fantaisies en français – reprend certains de ces thèmes. Il s’agit ici d’un triptyque, de trois histoires juxtaposées et séparées par un mini-générique. Les acteurs sont différents et les seuls points communs se retrouvent dans la manière de filmer et de présenter les choses. Et il s’agit à chaque fois d’histoires de femmes.

Dans la première, Mieko vient de terminer un shooting photo et rentre en taxi avec sa meilleure amie Tsugumi. Celle-ci raconte sa dernière rencontre amoureuse pendant le long trajet, tandis que la voiture parcourt les autoroutes de Tokyo, de nuit. Au fil de la discussion, Mieko se rend compte que l’homme en question est son ex, et après avoir déposé Tsugumi, elle va confronter celui-ci dans son bureau. La seconde histoire met en scène Nao, une femme mariée et mère de famille qui a repris ses études mais qui a comme amant un étudiant. Celui-ci lui demande de piéger le professeur (et écrivain) qui a refusé de lui donner son diplôme, Segawa. Leur rencontre se passe dans son bureau et prend un tour imprévu. Pour terminer ce triptyque, Hamaguchi nous emmène à Sendai, dans le nord du Japon. Natsuko y est retournée pour une réunion d’élèves, vingt ans plus tard. Au moment de quitter la ville, elle croise Aya, son amie de l’époque. Cette dernière l’invite chez elle pour une conversation qui dérive vers les souvenirs du passé.

Dans ce film, ce sont les dialogues qui sont au centre de l’histoire. Souvent tournés en plans fixes, reliés entre eux par un montage très minimaliste, ils prennent leur temps. Des éléments s’ajoutent à l’histoire, pièce par pièce, jusqu’au moment où le spectateur se rend compte qu’il a été mené en bateau et qu’il n’aurait pas dû se fier aux apparences. Dans la première partie, Mieko se révèle être une jeune fille un peu énervante, qui ne sait pas trop ce qu’elle veut. Est-ce qu’elle aime encore son ex ? Ou est-elle juste jalouse de Tsugumi ? Au début du second épisode, Segawa a l’air très ennuyé que Nao soit venue le voir mais il fait son devoir d’écrivain en lui donnant un autographe. Il ne croise pas son regard, il exige que la porte de son bureau reste ouverte malgré les tentatives de Nao pour la fermer et poursuivre son plan de vengeance. Au fil des scènes, un lien se crée pourtant entre eux. Quant à la dernière histoire, ce serait dommage de divulguer plus de détails. C’est la plus intéressante des trois, celle qui fait sourire malgré un côté doux-amer très présent.

Hamaguchi lie ces chapitres par sa manière de les concevoir et de les filmer, en créant des répétitions d’espaces : les conversations qui sont au cœur de chacun d’entre eux se font dans un endroit fermé ; avant ou après, il y a des plans à l’extérieur, de jour ou de nuit, dans la ville. Ce sont souvent des scènes très horizontales : un personnage marche et la caméra le suit en un long travelling. Hamaguchi révèle son talent dans sa manière de filmer les paysages urbains sans rien révéler de leur spécificité ; il a un amour tout particulier pour les tunnels et les passages pour piétons aériens (et pour les parois uniformes délimitant les chantiers). A l’intérieur, il ne rajoute rien : ce sont des bureaux éclairés au néons, ou le salon d’une maison de banlieue.

Comme dans ses autres films, Hamaguchi fait le portrait de la société japonaise contemporaine, mettant en scène des femmes qui évoluent dans un monde d’hommes et qui tentent de trouver leur place, et parfois c’est très abrupt. Elles sont très directes dans leurs paroles, ne prenant aucune précaution ni aucun fard. Elles choquent et blessent, sans réfléchir ou tout à fait délibérément. Mieko du premier épisode en est l’exemple type, mais aussi Aya et Natsuko du troisième. Elles se révèlent bien plus que prévu dans leur rencontre suite à une question très directe d’Aya. Il y a souvent des quiproquos qui enveniment les discussions, et puis qui s’atténuent, créant une tension qui parcourt tout le film ; les paroles bouleversent et renversent l’ordre établi. Hamaguchi a l’art de filmer les rencontres et laisse le temps aux protagonistes d’exprimer leurs sentiments et leurs désirs, ajoutant parfois quelques scènes se passant bien plus tard dans la chronologie, pour donner une conclusion à l’histoire. D’autres sont laissées sans vraie fin, et ce n’est pas plus mal. C’est un film qui raconte l’amour, sous toutes ses facettes, du désir sexuel à la rupture, avec de nombreux moments d’ambiguïté et en se terminant par la rédemption et la reconnaissance.

Wheel of fortune and fantasy, Ryusuke Hamaguchi

Japon – 2021 – 2h01


Texte: Anne-Sophie De Sutter

Crédits photos: September Film


Wheel of Fortune and Fantasy

Agenda des projections:

Sortie en Belgique le 27 avril 2022, distribution September Film

En Belgique francophone le film est projeté dans les salles suivantes :

Bruxelles : UGC Toison d'Or, Cinéma Galeries, Le Stockel, Vendôme

Wallonie : Charleroi Quai 10, Liège Le Churchill, Namur, Cinéma Cameo, Rixensart Ciné Centre, Stavelot Ciné Versailles

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