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Critique

« The Painter and the Thief », un documentaire de Benjamin Ree (2020)

The painter and the thief
Le portrait d’une artiste et d’un voleur et de leur relation improbable et électrique. Un documentaire aux allures d’un film de fiction.

Sommaire

Oslo, 2015. La jeune artiste tchèque Barbora Kysilkova expose à la galerie Nobel ses peintures photoréalistes. Peu après le vernissage, deux de ses plus grandes toiles (« Chloe and Emma » et « Swan Song »), exposées en vitrine, sont volées. La police retrouve et arrête les coupables mais les œuvres ont disparu de la surface de la terre, laissant Barbora orpheline de deux œuvres qui lui tenaient à cœur.

Après avoir lu diverses coupures de presse, le réalisateur Benjamin Ree contacte l’artiste et lui propose de tourner un documentaire à propos du cambriolage. Elle accepte, elle aimerait apprendre à connaître le voleur ; celui-ci, Karl-Bertil Nordland, consent également quelques semaines plus tard à ce projet.

The Painter

Ree commence par reconstituer l’affaire, se focalisant sur Barbora. Il montre des images du vernissage, tournées par une amie de l’artiste, puis il la suit au procès. Des dessins des protagonistes, esquissés (par Barbora) dans le style d’un artiste de tribunal, viennent combler l’absence d’images. Mais il y a du son : Barbora a enregistré la scène avec son téléphone : elle rencontre Karl-Bertil pendant une pause et lui demande si, après avoir purgé sa peine, il accepterait de la rencontrer. Il acquiesce.

Il retrouve Barbora dans son atelier pour une première rencontre. Elle l’interroge, il a tout oublié de cette journée, il était sous l’influence de drogues. La froide lumière de l’hiver baigne leur visage ; de Barbora n’émane que de la douceur et de l’empathie. Elle veut juste savoir, elle ne veut pas accuser. Dès cette première conversation, une certaine intimité s’installe.

« Tu te souviens de tous tes crimes ? (…) – Non – Tu n’as donc pas un journal ou un truc du genre ? – La police a ça. » — dialogue entre Barbora et Karl-Bertil

Barbora lui demande s’il veut bien poser pour elle. Il accepte. Elle commence une esquisse au fusain, puis se lance dans un immense portrait à la peinture à l’huile. Quand Karl-Bertil voit l’œuvre pour la première fois, il ne peut plus retenir ses émotions. C’est à ce moment-là que Benjamin Ree a compris que son projet initial prenait une plus grande ampleur.

Le réalisateur commence alors à raconter le passé de Karl-Bertil en montrant photos et images d’archives : il n’a pas toujours été le junkie qu’il est aujourd’hui. Il était bon élève, faisait du BMX, mais il a été traumatisé par le divorce de ses parents, restant seul chez son père toujours absent tandis que son frère et sa sœur vivaient avec leur mère. Les tatouages dont est recouvert son corps expriment la violence de ce passé, et sont autant de témoignages d’une vie chaotique.

« Il déteste le concombre dans un hamburger et les ananas sur une pizza. Il adore les vieilles églises norvégiennes en bois. » — Barbora à propos de Karl-Bertil

The Thief

Après cette présentation du point de vue de Barbora, Benjamin Ree recommence l’histoire mais en partant de la perspective de Karl-Bertil.

« La première fois que j’ai rencontré Barbora dans son studio, je me suis dit qu’elle pouvait peut-être m’arnaquer. Me voulait-elle du mal ou essayait-elle de me démasquer ? Mais il s’est avéré que je n’avais pas à avoir peur. » — Karl-Bertil

Et c’est là que l’histoire prend une ampleur émotive toute particulière. Le voleur a connu de nombreux traumatismes qui l’ont transformé en la personne qu’il est maintenant, junkie et petite frappe sans avenir, mais c’est un homme intelligent et sensible. Karl-Bertil esquisse rapidement un portrait très nuancé de l’artiste. Il comprend que le passé de cette femme n’est pas rose non plus et qu’elle se cache derrière ses propres blessures et son insécurité. Sa première description est cependant empreinte d’un certain humour, en miroir de celle de la peintre.

« Elle n’aime pas les fleurs en plastique ni acheter des vêtements. Et elle n’aime pas le féminisme scandinave. » — Karl-Bertil à propos de Barbora

Fiction ou documentaire ?

L’histoire aurait pu s’arrêter là, mais, comme dans un film de fiction, elle connait divers rebondissements et le réalisateur continue à filmer. Il passe d’un point de vue à l’autre, créant une structure peu conventionnelle, et dévoile, au fur et mesure des images, le déroulement du temps. Il a en effet filmé Barbora et Karl-Bertil pendant trois ans, se perdant parfois un peu dans certains détails mais créant en fin de compte un portrait très fin de deux personnes blessées, de deux humains qui se demandent comment être vus et aimés. Le spectateur a parfois du mal à croire qu’il s’agit d’un documentaire ; les hasards de la vie ont créé une histoire qui pourrait être celle d’un film de fiction. Cette impression est aussi liée à l’attention toute particulière que Ree porte aux images, à la lumière, au cadrage. Les scènes dans l’atelier sont particulièrement étudiées, comme un artiste qui place ses personnages sous certains angles et dans un certain éclairage pour en faire le portrait.

Ce documentaire rappelle quelque part le film de Céline Sciamma, Portrait de la jeune fille en feu, dans lequel une relation s’établit entre peintre et modèle, mais The Painter and the Thief est beaucoup plus sombre, par son histoire évidemment, mais aussi à cause des images imprégnées par le manque de luminosité de l’hiver norvégien. Les lumières artificielles et les néons blêmes des bâtiments publics ont remplacé les lueurs discrètes des bougies. Les bâtiments imposants d’Oslo sont loin des étendues marines et de la plage, loin des horizons ouverts de la Bretagne.

Avec ce documentaire, Benjamin Ree réussit à pénétrer dans l’intimité d’un homme et d’une femme, rencontrés par hasard, créant un portrait fascinant d’humains combattant leurs démons et en quête de reconnaissance. Les deux points de vue ont la même importance, et comme le dit Karl-Bertil à un moment : « Elle me perçoit très bien, mais je la perçois aussi ». Finalement, Karl-Bertil avouera qu’il a volé les tableaux de Barbora « parce qu’ils étaient si beaux ». Et c’est le cas.

The Painter and the Thief, un documentaire de Benjamin Ree

Norvège - 2020 – 1h42 – VO st. FR & NL


Texte : Anne-Sophie De Sutter

Crédits photos : Dalton Distribution


Agenda des projections :

Sortie en Belgique le 14 juillet 2021, distribution : Dalton Distribution

En Belgique francophone, le film est programmé dans les salles suivantes :

Liège, Le Churchill

Namur, Cinéma Caméo

Painter and the thief Poster

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