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Critique

William Basinski : The Disintegration Loops

William Basinski - Disintegration Loops
Dès son invention par Fritz Pfleumer en 1928, sous forme d’une pâte de poudre d’oxyde de fer (Fe2O3) étalée alors sur un ruban de papier, la bande magnétique s’est imposée comme un support d’archivage et de mémoire.

bande magnétique - l'invention de Fritz PleumerD’abord sur un plan très fonctionnel, à l’articulation de l’ingénierie et du commerce : la bande quart de pouce dans le domaine du son, du côté des radios de l’Allemagne nazie à la fin de la Seconde Guerre mondiale, puis des autres radios nationales de l’après-guerre ; les bandes vidéo un pouce, puis deux pouces, mises au point par la division électronique de la boîte de production de Bing Crosby en 1951 (avant d’être perfectionnées et adoptées en l’espace de cinq ans par toutes les chaînes de télévision américaines) et même des bandes d’un demi-pouce pour le stockage des données des premiers ordinateurs des années 1950. Chacun de ces formats étant d’ailleurs ensuite miniaturisé pour un usage plus souple (plus mobile) ou amateur : citons l’enregistreur sonore portable quart de pouce Nagra, inventé par Stefan Kudelski en 1950 qui rendit possible les tournages in situ de la Nouvelle Vague et du cinéma direct ainsi que beaucoup d’enregistrements ethnomusicologiques, ou la minicassette 0,15 pouce commercialisée par Philips au début des années 1960.

Mais aussi, par ricochet, sur un plan plus métaphorique. Que l’on pense au projet de field recordings (enregistrements de terrain) Cassette Memories du Japonais Aki Onda qui, au bout d’un certain temps, plutôt que de prendre une nouvelle musicassette (vierge) pour chaque nouvelle balade de captation sonore décida de réenregistrer au hasard sur une de ses bandes déjà utilisées. Le nouvel enregistrement impliquant, du coup, aussi une perte et un effacement. Et le projet devenant une sorte d’allégorie du caractère sélectif de notre mémoire et du corollaire dialectique du souvenir : l’oubli.

Qu’on pense aussi au projet Disintegration Loops de William Basinski.

Né à Houston au Texas en 1958, clarinettiste classique et saxophoniste jazz de formation, le jeune William Basinski (désormais new-yorkais et très marqué par les musiques de Brian Eno et Steve Reich) développe à partir de 1978 sa propre forme de tape music (construite chez lui autour de la superposition de boucles jouées en parallèle sur une série de magnétophones).

[En 2001,] au cours de l’archivage et de la numérisation de boucles analogiques de bande magnétique pour une œuvre que j’avais réalisée en 1982, je découvris quelques merveilleuses pièces pastorales que j’avais oubliées, faute de les avoir enregistrées auparavant. (…) Avec excitation, je me mis à transférer la première boucle sur support CD, la mixant pour un nouveau morceau avec des contre-mélodies de synthétiseur Voyetra. Avec stupeur et horreur, je réalisai vite que la boucle de bande magnétique se désagrégeait : au fur et à mesure qu’elle tournait et se répétait, des particules d’oxyde de fer se transformaient en poussière, atterrissant à l’intérieur du magnétophone et laissant sur la bande des taches de plastic nu (synonymes de silences dans les portions correspondantes du nouvel enregistrement) — W. Basinski, notes de pochette (traduction personnelle)
La longue plage pastorale, ultrarépétitive et hypnotique de plus d’une heure qui fait l’essentiel du premier volume des Disintegration Loops (trois autres CD sortiront en 2003) propose donc une musique qui naît sur les cendres d’une autre qui, au même moment, disparaît. Basinski, qui se fait photographier sur la pochette du disque en Thomas Chatterton au moment de sa mort (ce poète romantique anglais s’est suicidé en 1770 à l’âge de dix-sept ans), a aussi sorti une version DVD des Disintegration Loops 1.1 où il reprend les images qu’il a filmées depuis son toit de Brooklyn de l’effondrement des tours du WTC le 11 septembre 2001, accentuant du coup encore les connotations crépusculaires de l’œuvre.



Philippe Delvosalle

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