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Critique

« Spencer », un film de Pablo Larraín (2021)

Spencer - credit Claire Mathon
Portrait d’une princesse à bout de souffle.

« A fable from a true tragedy » - « Une fable inspirée d’une réelle tragédie », c’est ainsi que le réalisateur chilien Pablo Larraín caractérise son nouveau film, Spencer. C’est aussi un film de Noël. Chaque année, la famille royale britannique se réunit pour célébrer la naissance du Christ, s’amuser et déguster de somptueux repas. La tradition veut que chaque invité soit pesé au début du séjour et à la fin de celui-ci, et qu’il ait pris du poids. Si ce n’est pas le cas, ce serait la preuve que la fête n’était pas réussie.

En ce matin du 24 décembre 1991, une action militaire débute : une colonne de véhicules de l’armée livre d’immenses et nombreux coffres métalliques – similaires à ceux qui contiennent des armes – aux cuisines du château de Sandringham. La brigade est à l’appel, et découvre les nombreux aliments qui seront préparés et présentés aux membres de la famille royale les prochains jours. Un panneau affiché sur un mur donne le ton de l’histoire qui va suivre : « Keep noise to a minimum: They can hear you » - « Réduisez le bruit à un minimum : ils peuvent vous entendre ».

Les voitures royales arrivent l’une après l’autre, débarquant princesses et princes, et enfin la reine elle-même. Elle est censée arriver en dernier, comme le préconise la tradition, mais une personne manque à l’appel, Diana. Celle-ci est partie de Kensington toute seule, sur un coup de tête, faisant fi de son service de sécurité. Dans les premières minutes du film, on la voit rouler, libre, dans sa Porsche décapotée, sur les routes de campagne. Elle est perdue, mais ça l’arrange : toute raison de retarder ce séjour qu’elle redoute est souhaitable.

Elle n’est pas heureuse, son mariage bat de l’aile, elle sait que son époux a une relation extra-conjugale, elle étouffe dans son rôle de princesse adorée du peuple et n’arrive pas à s’intégrer dans la famille royale. Ces faits sont avérés. Pablo Larraín les transforme en une fable qui tour à tour devient conte de Noël, film d’horreur, thriller psychologique, histoire d’amour maternel et mélodrame. Le spectateur n’en sort pas indemne. Pendant presque deux heures, il voit une femme au bout de sa vie, à bout de nerfs, à bout de souffle ; il voit une femme à qui on renie le droit le plus élémentaire d’être écoutée et d’être libre d’exprimer ses émotions et son point de vue. Tout est une tradition immuable au château, des cadeaux qu’on ouvre le 24 et non le 25 comme le reste du Royaume-Uni aux repas où la reine doit toujours arriver en dernier. Les vêtements que porte chaque membre de la famille royale sont sélectionnés à l’avance et – hasard ou jeu de mot un peu malencontreux ? – ceux de Lady Di sont désignés par des étiquettes affichant « P.O.W », ce qui veut dire « Princess of Wales » mais aussi « prisonner of war » en anglais (Princesses de Galles et prisonnière de guerre).

La princesse tente par tous les moyens de se faire voir et entendre, mais ses tentatives sont punies d’une manière extrêmement froide et insensible : Maggie, sa femme chambre préférée, avec qui elle peut s’épancher, lui est retirée dès la fin du premier jour ; Charles, son mari, lui rappelle à quoi elle s’est engagée en l’épousant et tente de la faire revenir dans ce moule dont elle déborde de toutes parts. Seuls ses enfants sont un refuge ; les scènes entre Diana, William et Harry débordent d’amour maternel, le seul amour qui est montré lors de ces jours, ou presque. Parce qu’il y a aussi ces moments furtifs mais réconfortants avec deux membres du personnel, indifférents aux bruits qui courent dans les couloirs et qui aboutissent toujours chez la reine, Maggie, la femme de chambre, et Darren, le chef cuisinier, qui lui prépare son soufflé aux abricots préféré.

Pablo Larraín a pris le parti de centrer son histoire autour de la princesse, de la femme qu’est Diana Spencer (le titre du film n’est pas anodin), rendant la plupart des autres membres de la famille royale quasiment invisibles. Il conte une fable dans laquelle des éléments fantastiques ont leur place, comme cette scène où Diana mange le collier de perles offert par son mari en même temps que son potage (le même collier qu’il a offert à Camilla d’ailleurs – ce qui a évidemment accentué la rage de Diana), ou les apparitions d’Anne Boleyn, reine du 16e siècle décapitée sur l’ordre de son mari Henri VIII d’Angleterre qui souhaitait épouser son amante du moment. Cette présence fantomatique est un vrai soutien pour Diana, un des seuls qu’elle trouve au château de Sandringham.

Cette fable est merveilleusement bien accompagnée par les compositions de Jonny Greenwood qui a écrit une musique à trois visages. Il s’est inspiré des airs baroques d’Albinoni pour créer une atmosphère très digne et royale qui très vite se mue en musique pour ensemble de cordes aux violons dissonants, rappelant Penderecki par moments. Celle-ci se transforme enfin en free jazz, libérant la princesse des contraintes tout en apportant malgré tout une tension extrêmement palpable. Il est clair que Pablo Larraín a l’art de trouver des compositeurs qui cadrent parfaitement avec ses images : c’était déjà le cas pour Jackie – au sujet un peu similaire – mis en musique par Mica Levi.

Spencer est un portrait extrêmement touchant d’une femme qu’on a enfermée et qui ne trouve aucun moyen de se libérer du carcan qui la cerne. Elle aimerait tant s’exprimer mais des lois tacites, des conventions, des traditions désuètes étouffent sa voix. Spencer montre que le changement n’est pas toujours possible quand les forces en présence sont trop puissantes, écrasantes. Mais il y a toujours de l’espoir !

Spencer, un film de Pablo Larraín

Etats-Unis, Royaume-Uni, Allemagne, Chili - 2021 - 1h51


Texte: Anne-Sophie De Sutter

Crédits photos: The Searchers et Claire Mathon pour la photo de bannière, ainsi que les deux suivantes


Agenda des projections:

Spencer - affiche

Sortie en Belgique le 15 décembre 2021, distribution The Searchers

Le film est programmé dans la plupart des salles en Belgique.

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