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Critique

« Serre moi fort », un film de Mathieu Amalric

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Une femme quitte sa famille pour lui redonner vie en imagination. Un road movie d’amour fou adapté d’une pièce de Claudine Galea.

Sommaire

« — Clarisse, esprit virevoltant qui met le monde en délire — ».

Au volant d’une AMC Pacer aux couleurs du passé, Clarisse s’en va. La voiture était celle que conduisait Marc, son mari, à l'époque où ils se sont rencontrés. Cet homme, elle le quitte à présent ainsi que leurs deux enfants, Lucie et Paul. Qu’ils se débrouillent sans elle, c’est bien de toute façon pour penser à eux qu’elle prend la route.

N'aie pas peur, je viens te chercher

Tôt le matin, les voilà dans la cuisine, attablés devant le petit-déjeuner, ils se demandent où est maman, chacun y a va de son hypothèse, personne ne sait, Clarisse ne le sait pas non plus, où elle est. Une journée passe, puis une semaine, un mois, une saison entière, Clarisse poursuit sa route. Mer, neige, montagnes, villes, villages : tout prend place dans un paysage déconstruit. Des allers retours entre le foyer, la route, le passé, le présent et l’avenir composent une odyssée affective autant que mentale.

« — Comme si c’était le travail même de la raison de prendre la consistance de ce qui la bouleverse. — »

Mathieu Amalric appartient à cette lignée des cinéastes qui se font un devoir de substituer le geste à la parole. Il passe le relai au personnage de Clarisse, esprit virevoltant qui met le monde en délire. C’est une mise en scène bousculée dont chaque élément tient par miracle en équilibre instable, comme en attente de redéfinition. Pas moins réceptifs, les décors révèlent leur disponibilité de pages vierges dont les assignations ne sont jamais que provisoires. Et c’est passionnant ce que cette embardée purement émotionnelle peut conserver d’intelligible, comme si c’était le travail même de la raison de prendre la consistance de ce qui la bouleverse.

Des sorcières, des mers, des dragons

Ainsi se précise ce voyage qu’on aurait cru entamé sur un coup de tête. Loin d’être gratuit, il se révèle aussi bien subjectivement nécessaire que moralement légitime. Subjectivement, l’aventure consiste à aller voir ailleurs, à s’extirper de la vie qu’on mène, autant pour la voir mieux que pour être mieux vu d’elle. Certes, la mise à égalité entre l’imaginaire et le réel donne les pleins pouvoirs à la rêveuse. Le scénario, c’est elle. Mais ce pouvoir, Clarisse en use avec parcimonie. Et si son idéal se brise, c’est de par sa volonté à elle. On peut très bien imaginer ne pas savoir, poser des images sur l’incertitude et la déployer comme autant de possibles et c’est ce que fait Clarisse : le contraire du démiurge

À l’origine du mélodrame figure l’idée que seule la musique possède la capacité d’exprimer ce qu’aimer veut dire. Un principe auquel l’héroïne du film ne peut que souscrire. Il y a les cassettes qu’elle se passe dans la voiture, les chansons sentimentales qui, on le sait, possèdent des vertus autobiographiques en quantité illimitée. Prélevé de Nage indienne, le titre Serre moi fort cite Etienne Daho : Oh, serre-moi fort, si ton corps se fait plus léger, je pourrai nous sauver. Dès lors, ne faudrait-il pas plutôt entendre : Serre moins fort ? D’où la disparition du trait d’union. La trajectoire de Clarisse est celle d’un lâcher prise. Là encore, la musique lui est d’un grand recours. Beethoven, Debussy, Ligeti, Schoenberg, Rameau, le conservatoire, Paris, la scène, le sourire de Martha Argerich : à l’égard de sa fille, Clarisse nourrit de hautes ambitions. Quand elle y pense, tout est possible. L’avenir doit endosser l’exubérance du présent inassouvi. Et pourtant, en s’éloignant, la mère accepte que l’enfant s’éloigne elle aussi, loin de son désir.

« — Seule la musique possède la capacité d’exprimer ce qu’aimer veut dire. — »

Nous pourrons remonter

D’image en image enfin, la démarche de Clarisse engage sur le plan moral un processus analogue à celui que Nietzsche identifie dans les termes d’éternel retour. Ainsi s’explique la joie sans faille de cette femme capable de plonger son visage dans la glace comme de surmonter ce qui, dans le chagrin, pousse à la défaite et au renoncement. Cette capacité à embrasser la vie dans ce qu’elle a de plus douloureux comme dans ce qu’elle a de plus inattendu est ce qui dote son imagination d’un principe de mouvement. Mouvement qui n’est pas celui de la fuite, du déni, mais qui traduit un rapport plus généreux avec le réel, une manière d’affronter les événements comme ils se présentent, ordinaires, merveilleux, atroces, irrésolus, ouverts à tous les possibles.


Texte : Catherine De Poortere

Crédits images : © Films du Poisson / Charles Paulicevich / Roger Arpajou

Les intertitres sont extraits des paroles de Nage indienne d'Etienne Daho.



Agenda des projections

Sortie en Belgique le 08 septembre 2021.

Distribution : Athena Films

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En Belgique francophone, le film est programmé dans les salles suivantes

Bruxelles, UGC Toison d'Or , Le Stockel , Cinéma Galeries

Charleroi, Quai 10

Liège, Sauvenière , Le Parc

Namur, Cinéma Cameo

Waterloo, Wellington

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