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Critique

« Rituel » (« Ritueel »), un film de Hans Herbots (2021)

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Une banale excursion de plongée en famille qui tourne au drame en plein cœur de l’Afrique. Une plongeuse professionnelle qui fait de macabres découvertes dans les eaux du canal de Bruxelles. Une mystérieuse organisation basée à Matongue qui annonce des actions coups de poings sur fond d’héritage colonial discuté et de commerce de drogues… "Rituel" est un polar ambitieux qui remue les cendres encore chaudes d’un historique contentieux belgo-congolais pour toucher à quelques sujets sensibles d’aujourd’hui.

Sommaire

Une fille seule

Bruxelles aujourd’hui. Kiki est employée par la section médico-légale des services de police. C’est à elle qu’échoit le repêchage éventuel de corps - ou de ce qu’il en reste - cachés dans le fond des points d’eau du pays. Et justement, au cours d’une mission de routine par une froide matinée d’hiver, elle extirpe du lit ensablé et encombré du canal de Bruxelles, une main qui semble avoir été tranchée au moyen d’une scie. Une bien étrange pièce d’enquête qui la ramène à sa propre et douloureuse histoire personnelle. Petite-fille de fonctionnaires coloniaux qui ont dû fuir précipitamment le Congo au moment des troubles de l’indépendance, elle a é élevée aux côtés de Cézaire Nduke, fils du jardinier décédé de ces derniers et emmené en Belgique enfant. Après de brillantes études Cézaire est devenu conservateur à l’Africa Muséum de Tervuren et aide Kiki comme il le peut depuis le banal accident de plongée (une descente normalement sans danger dans des grottes-sous-marines) qui a emporté la vie de ses d parents, et où il était du voyage. À contrario de son propre frère Tom, qui flirte avec la petite délinquance et parait comme abonné aux mauvais coups à répétition.

Mains coupées & étranges disparitions

Très tôt, Kiki est approchée par le taciturne inspecteur Nick Cafmeyer qui enquête dans une histoire de trafic de drogue qui pourrait avoir un lien avec la main coupée retrouvée dans le canal. Leurs rapports sont difficiles et les deux hésitent quant à la direction à prendre dans la suite de l’enquête. L’une mène du côté d’une famille aisée de la capitale qui tire historiquement sa fortune de la culture du caoutchouc pratiquée à l’époque de "l'Etat indépendant du Congo" (nom officiel donné à la « colonie personnelle du roi Léopold II » jusqu’en 1908) et de l’exploitation très actuelle des métaux rares; et l’autre du côté d’un groupe de militants afro-descendants basé à Matongue qui milite activement pour la reconnaissance d’un génocide sur les populations locales perpétré à la même époque par les propriétaires belges de ces mêmes exploitations avec l’aval des autorités en place. Ces mêmes mains coupées qui renvoient directement au sinistre châtiment exercé à l’encontre des populations locales qui ne remplissaient pas leur quota de fourniture de caoutchouc et de mains-d’œuvre exigés ou sur ceux qui venaient à s’enfuir. Des activistes qui placent le pillage actuel des ressources minières du Congo par des multinationales sur le même plan symbolique, ont choisi la clandestinité et annoncent des actions coup de poing imminentes, obligeant la police à agir dans la précipitation alors que d’étranges enlèvements passés ont lieu dans différents lieux du pays. Kidnappings touchant des familles d’anciens coloniaux qui gardent le silence. Dans quelque zone interlope de la capitale belge, un jeune homme fauché et en manque et cherchant sa dose quotidienne, se voit proposer un bien étrange marché, qui s’avère très rapidement être de dupes.

Autant de rebondissements qui mettent à mal l’équilibre mental déjà fragilisé de Kiki depuis la disparition de ses parents, inquiète quant au comportement erratique de Tom et néanmoins troublée par le très singulier et taciturne inspecteur Cafmeyer .

Un polar belge 2.0 ?

Adapté d’un livre éponyme de l’auteure anglaise Mo Hayder (1962-2021), Rituel est revu (certaines intrigues et "particularités" du roman original ont été laissées de côté) et transposé dans une réalité belgo-bruxelloise aussi complexe que travaillée par les questions aussi sensibles que toujours d’actualité, liées à la colonisation et à ses héritages.

Tourné en néerlandais et aussi en français (langue dans laquelle s’exprime Ériq Ebouaney, Cézaire dans Rituel) par le réalisateur Hans Herbots qui a travaillé en Belgique et en Angleterre, aussi bien pour le cinéma que pour la télévision, ce polar hivernal prend pour cadre Bruxelles et sa périphérie, avec quelques forcément détours attendus du côté du Musée royal de l’Afrique centrale de Tervuren. Un ensemble architecturel et paysager construit à l’aube du XXème siècle comme vitrine propagandiste à l’action coloniale du Roi Léopold II et passé depuis par les filtres d'un long processus (et très discuté quant au résultat) interne visant à en faire un exemple d’institution décolonisée.

La grande et la petite histoire : aller et retour !

Le film entremêle constamment les fils de la petite et de la grande histoire dans le contexte de remise en cause du passé colonial. Petite fille de colons belges, Kiki est un être dévasté par la mort de ses parents qui ne peut s’appuyer dans son deuil que sur l’aide et le réconfort de son oncle « adopté » Cézaire. La main coupée retrouvée dans le canal la ramène à un passé pour lequel elle n’a toujours pas toutes les réponses à ses interrogations, bien au contraire. Kiki pressent rapidement que cette « affaire » aura des implications qui risquent de toucher toute les strates de la société belge, depuis les milieux d’affaire et économiques liés à l’exploitation des métaux rares, les familles d’anciens coloniaux et la communauté afro-descendante d’origine congolaise établie de longue date à Bruxelles et en Belgique. Et toucher du doigt la question de la poursuite de cette "colonisation" via la mainmise actuelle par des multinationales sur les richesses et matières premières d’un pays qui se débat toujours dans une extrême pauvreté.

C’est parfois beaucoup pour ce polar de facture finalement très télévisuelle (il y avait matière scénaristique à au moins développer une mini-série) baignant dans une (belle) lumière et un dépouillement hivernal. Si Rituel prend (pas mal de) son temps pour poser son intrigue, agencer ses multiples pistes de résolution, quitte à emprunter volontairement quelques impasses, la conclusion définitive de l’affaire saute aux yeux des spectateurs bien trop en amont de la conclusion du film. Et au final, on se demande toujours ce que les emmerdes à répétition du petit frère apportent à l’histoire ?!

On se réjouit à nouveau de voir tant de lieux de la capitale et à proximité (le canal, le Mirano et ses alentours, le musée de Tervuren) servir de décors idoines à ce film qui n’oublie tout de même pas sa petite romance (bancale) au passage…

Il est également probable que le film alimente et rallume les débats sans fin sur la colonisation belge, ses héritages mémoriels, patrimoniaux, économiques, et la situation actuelle du Congo. Mais Rituel défend quelque part l’idée qu’un débat mis sous l’éteignoir et laissé en l’état dans un entre-deux tranché qui ne convainc personne – entre ceux qui en défendent ses « acquis positifs » d’un côté, et de l’autre, tous ceux qui veulent avancer sur une totale décolonisation de nos sociétés et des esprits – est potentiellement plus dommageable qu'une véritable remise à plat des compteurs historiques.

Ritue(e)l, un film de Hans Herbots

Belgique - 2021 - 1h48

Texte : Yannick Hustache

Crédits photos: KFD & Cinebel

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Agenda des projections

Sortie en Belgique le 07 septembre 2022

Il est distribué dans la plupart des salles de Belgique

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