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Critique

Ce qui n’a pas de nom n’existe pas : « Piccolo Corpo » de Laura Samani

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En terre ancestrale d’Italie du Nord, Laura Samani filme la longue marche d’une mère en quête d’un miracle pour sa fille mort-née. Tourné en lumière naturelle avec des acteurs non professionnels parlant en dialecte, ce premier long métrage ouvre une belle interrogation sur la façon dont les croyances se vivent dans le corps.

En Italie, à l’aube du XXème siècle. Agata a mis au monde une fille mort-née. Pour la sauver des Limbes, séjour des âmes privées de baptême, la jeune femme veut croire qu’un miracle est possible. Il suffirait d’une seule respiration pour que le petit corps puisse être nommé et trouve sa place au paradis, l'au-delà étant pour la mère l’unique espoir de revoir son enfant. Le cercueil fixé sur son dos, elle se met en marche vers un sanctuaire du souffle où, lui dit-on, le miracle pourrait se produire.

En chemin, Agata rencontre Lynx. De même qu'elle lui dissimule l'objet de sa quête, son identité à lui demeure insaisissable. Par intérêt mutuel, ils décident malgré tout de faire route commune. Il se peut qu’au début, ce compagnonnage ait vocation d'associer des contraires, mais l’opposition – autrement dit les rapports de force – est vite dépassée pour laisser toute la place à quelque chose de plus grand et de plus ambigu.

Des rives de l’Adriatique jusqu’au cœur enneigé des Alpes, de forêts en villages inconnus, leur voyage suit une trajectoire qui entrelace réel et imaginaire. Devant l’énigme que représente la montagne, les êtres qui la peuplent constituent une menace plus immédiate et concrète. En optant pour un tournage en dialectes vénète et frioulan, Laura Samani a tenu à convoquer la profusion d’une Italie pré-fasciste, la diversité de ses cultures. Les acteurs non professionnels, recrutés sur place, s’expriment dans leurs propres mots. A travers eux aussi bien que dans une vision dénuée d’artifices, la cinéaste se met à l’écoute de l’esprit des lieux en se fiant à ce qu'ils recèlent de mémoire. Les sanctuaires du souffle sont une réalité historique dont l’anthropologue français Jacques Gelis a rendu compte dans Les Enfants des limbes (2006) (voir l’article du Monde à ce sujet : Cimetière des innocents), ouvrage qui a bien entendu servi de référence à la cinéaste.

Une chose m’interpellait : pourquoi était-ce presque toujours des hommes qui effectuaient le voyage jusqu’aux sanctuaires avec les cadavres de leur bébé ? Pourquoi ne parlait-on jamais des femmes, de leurs attentes, leur souffrance, leur impuissance ? N’étant ni historienne ni anthropologue, j’ai voulu que ce soit une femme qui accomplisse ce périple. — Laura Samani

Le regard porté sur ces deux vies marginales que sont Agata et Lynx est, lui, habité par des interrogations plus actuelles. Si, de manière évidente, la modernité de Lynx est lié au trouble de son genre, celle d'Agata réside dans son refus de se plier à la coutume qui voudrait qu'elle garde le lit, le temps que la blessure se referme. Vécu comme un prolongement désiré de la grossesse, le poids du bébé n’entrave pas sa quête. Ce qui n'est pas le cas de son corps meurtri d’accouchée. La douloureuse montée du lait et les pertes de sang font de chaque mètre de terrain conquis sur la montagne un calvaire que la jeune femme couve en silence, plus déterminée que jamais à atteindre son objectif.

Dans l’attention qu’elle accorde à l’expérience propre aux femmes au regard de l’Histoire, tant relativement à leur corps qu’à leur statut et à leurs conditions de vie, Laura Samani entretient plus d’un point commun avec la Céline Sciamma du Portrait d’une jeune fille en feu. Mais Piccolo corpo s’en éloigne aussi radicalement. En effet, loin de chercher à dégager de son récit une leçon politique, la cinéaste italienne reste au plus près de ses personnages en se mettant à hauteur de leurs croyances.

Aussi, contre les forces de l’oubli que sont les voix pieuses de son entourage, la fuite d’Agata incarne un acte de désobéissance fondé avant tout sur son vécu de mère. C’est en effet méconnaître la stricte réalité de la grossesse que de nier la profondeur de la relation qui, pendant neuf mois, se noue dans l’obscure cavité du ventre. En aucun cas la rupture d’un tel lien – un lien intérieur – ne peut advenir d’un simple constat de décès. C’est contre une logique sociale qui ne prend en considération qu’un infime pan de la maternité, à savoir, la biologie, que s’insurge un personnage mû par une énergie - dira-t-on - surnaturelle.



Piccolo corpo, Laura Samani

Italie- 2021 - 1h29


Texte : Catherine De Poortere

Crédit images : © Vedette films et Arizona Distribution.


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Agenda des projections

Sortie en Belgique le 27 juillet 2022, distribution Vedette Films.

En Belgique francophone, le film est programmé dans les salles suivantes:

Bruxelles : UGC Toison d'Or, Cinéma Galeries

Wallonie : Liège Le Churchill, Namur Cinéma Cameo, Tournai Imagix, Mons Plaza Art, Charleroi Quai 10, Nivelles Ciné4

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