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Critique

RAISON DU PLUS FORT (LA)

publié le

Au Maroc, 70% des jeunes n’ont qu’un rêve, celui de prendre un hypothétique billet aller, destination l’Europe, avec espoir de non-retour. Ils n’ont qu’une envie: flamber leur vie, changer

Au Maroc, 70% des jeunes n’ont qu’un rêve, celui de prendre un hypothétique billet aller, destination l’Europe, avec espoir de non-retour. Ils n’ont qu’une envie: flamber leur vie, changer
d’horizon, quitter leur pays où il n’y a pas d’avenir (37% des jeunes sont sans emploi et 20% de la population vit avec moins d’un dollar par jour).
Soit ils embarquent dans des « pateras » et payent leur trajet 1500 euros (le salaire de toute une vie), soit ils essayent de se cacher dans des paquebots en partance pour la belle Europe, celle qui les fait rêver et où, pensent-ils, l’argent et le travail les attendront à bras ouverts. Hélas, ce n’est pas un bras qui les accueille mais plutôt une gifle et de cela, le documentaire Brûler, disaient-ils… ou Les raisons de la colère de Jawad Rhalib n’en parle guère. Il s’attache surtout à ceux qui restent, aux mères qui ont à la fois envie de les voir partir pour qu’ils puissent leur envoyer de l’argent mais qui ont peur qu’ils soient écrasés contre un remorqueur ou bien noyés en pleine mer. Et lorsqu’ils échouent, il y a la honte, le difficile retour à la case départ avec un séjour en prison.
Pourquoi partir ? Pourquoi ce périple ? Pour pouvoir avoir ce que nous avons et eux pas, une vie décente et un peu d’avenir, avoir ce à quoi chacun devrait avoir droit: une vie normale, avec plus d’un dollar par jour. Une fois sortis de prison, certains jurent par tous les dieux qu’ils ne recommenceront jamais plus, trop dégoûtés d’avoir été floués. D’autres essayeront encore et encore, gardant toujours un mince espoir.

Et tout cela pour arriver ici, dans nos « vertes » contrées. Mais une fois atteint le rivage tant convoité, ce sera la grosse désillusion. Car ici aussi l’injustice et la précarité sont monnaie courante avec, en sus, les préjugés. C’est le sujet du documentaire La raison du plus fortde Patric Jean. L’envie de tourner ce documentaire lui est venue suite au rapport sur la corrélation entre les immigrés et la délinquance, commandé par le ministre belge de la justice, Marc Verwilgen. Évidemment, ce rapport a maintes fois été cité et montré en exemple par les partis d’extrême droite (le Vlaamse Blok en premier).
Son constat amer ne se limite pas à la Belgique. Il ira aussi en France et dira « J'ai beau traverser l'Europe, passer de ville en ville, rien ne se ressemble et pourtant tout est pareil: les beaux quartiers, les cités ouvrières, les rues des immigrés jetés au loin près des usines et que l'on désigne comme des repères de bandits, de voleurs, de voyous. Et qui font le bonheur des journaux télévisés. »
Il n’y a pas de place dans nos belles cités pour les immigrés, ils seront relégués en seconde zone, loin de la vue des touristes. C’est le début de l’exclusion, mais celle-ci ne se résume pas au logement, elle s’étend aussi au monde des études, comme le résume bien Kamel d’Amiens : « À partir du moment où on accumule un certain nombre de personnes ensemble ayant des problèmes, on concentre tous les problèmes, on les met tous ensemble. C’est vrai que la misère liée à la précarité, à l’emploi, à la formation, la frustration de ne pas pouvoir consommer dans un pays où la consommation est en abondance etc., ça commence par la frustration, frustration qui conduit à l’angoisse, angoisse qui conduit à la dépression. La dépression peut conduire après, ou à se foutre une balle dans sa tête, ou extérioriser ça avec la violence, avec tout ce que tu peux. C’est toutes ces choses qui s’entremêlent et qui font que tout ça est concentré à un endroit précis, décentralisé. »
Mohamed lui, il cherche du travail et son constat sera lui aussi plein d’amertume : « Pour rechercher du travail, on dit souvent : il faut taper à dix portes, il y en a une qui va s’ouvrir. Nous qui sommes d’origine étrangère, il faut qu’on tape à vingt portes pour espérer qu’il y en ait une qui s’ouvre. Donc, j’ai souvent eu affaire à des patrons qui me disaient : Moi, je suis pas raciste mais j’ai peur que mes clients, quelques-uns de mes clients, eux, le soient et on risque de louper quelques contrats à cause de ça. Donc, excuse-moi, je peux pas t’embaucher. Pour aller chercher un emploi derrière ça, c’est pas évident, quoi. On a peur que ça se reproduise. Parce qu’on se dit, j’ai rien fait, merde, j’ai rien fait, c’est une injustice, quoi, pourquoi moi, quoi ? ».
Il sera beaucoup question de préjugés dans ce film. Le constat, lui, est affligeant. On ne donne pas sa chance à tout le monde, on ferme une usine et on ouvre une prison 500 mètres plus loin. Il nous parle de l’enfermement aussi bien social qu’urbain et carcéral. Des préjugés qui vont bon train, des cases dans lesquelles on met les gens, sans leur donner la possibilité d’en changer.
Ces deux documents sont d’une pertinence rare dans une société où le repli sur sa propre vie et le chacun pour soi dominent. Ils nous montrent sans fard la réalité des réfugiés, une réalité qui est parfois loin de notre regard.

TM


Au  lieu de combattre la pauvreté, on combat les pauvres. L'Europe : ses quartiers riches et ses banlieues de misère où se généralise la "tolérance zéro". On construit une prison quand on ferme une usine. Les pauvres en général et les jeunes issus de l'immigration en particulier sont  l'objet de toutes les peurs. Passant de l'autre côté du miroir et brisant les clichés, le film les montre dans leur humanité, dans une rue, une prison, un tribunal ou une cave de cité, avec leurs émotions, leurs envies, leurs peurs et leur désespoir. Loin d'une image de la démocratie européenne où tous ont leur chance, le film, prenant à témoin la France et la Belgique, offre un regard critique et émouvant sur une société parfois sordide et brutale, la nôtre. "Quelle drôle d'époque ! Que sommes-nous en train de faire ? Avons-nous perdu la raison ?" (Patric Jean)

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