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Critique

Nouvelles héroïnes : « Overseas », un film de Sung-A Yoon

Overseas
Overseas est un portrait touchant et surtout plein de dignité de femmes philippines qui quittent leur univers pour se lancer dans un monde inconnu, au service de familles riches qui les considèrent très souvent comme des esclaves.

Depuis les années 1970, et sous l’impulsion du président Ferdinand Marcos qui était alors confronté à un désastre économique, les Philippines envoient à l’étranger de très nombreux travailleurs pour y gagner des devises étrangères (environ 27 milliards d’euros par an, soit un dixième du PIB) et pour combattre le chômage. En 2019, quasi 10 millions de Philippins (ou 10% de la population) occupaient des postes d’employés de maison en Arabie saoudite, d’ouvriers sur des chantiers navals au Japon ou sur des sites de construction dans les Émirats arabes, de nounous à Singapour, ou encore de chanteurs et musiciens dans des provinces reculées de Chine et dans les bars de Dubaï. Ils prennent également une place importante dans la marine marchande, représentant le quart des équipages mondiaux. L’actuel président Rodrigo Duterte parle des « bagong bayani », les nouveaux héros.

Ce phénomène a eu des conséquences aux Philippines même. De nombreuses écoles spécialisées ont vu le jour et diverses agences organisent le travail à l’étranger. C’est dans un de ces centres de formation pour employées de maison et nounous que Sung-A Yoon a posé sa caméra.

Overseas

Un premier plan fixe filme une jeune femme qui fond en larmes en nettoyant les toilettes. Le ton est donné, la tâche de domestique n’est pas de tout repos.

« Ne pleurez jamais devant votre employeur. C’est un signe de faiblesse. Les Philippins ne sont pas faibles. » — Overseas

Un second plan, filmé de l’extérieur, nous invite à l’intérieur de la maison. Commence alors un genre de huis-clos, dans les différentes pièces du centre de formation, aménagées pour recréer une « vraie » maison. Ce sera le lieu de travail des femmes une fois qu’elles seront à l’étranger ; le monde extérieur n’existe plus, ou juste pour aller faire les courses.

Les plans restent fixes, englobant une pièce entière, ou se rapprochant, filmant les visages de chacune. Ils montrent comment les futures domestiques apprennent à faire la toilette de bébé, à mettre la table, à enlever les poussières, à plier le linge… sous le regard acéré de l’enseignante qui corrige la moindre faute.

« L’exercice fait l’excellence. » — Overseas
Overseas

Des femmes qui ont déjà travaillé à l’étranger, souvent pour des contrats de deux ans, guident les nouvelles, et leur proposent des jeux de rôles, recréant des situations de leur vécu, des situations qui pourraient faire sourire mais qui souvent révèlent le tragique du rôle de la servante, invisible. Dans d’autres plans, elles se confient, racontent leurs souvenirs, bons et mauvais.

« Elle me traitait vraiment comme un chien. » — Overseas
« Je chantais pour me sentir mieux. » — Overseas

Une des formatrices tente d’armer les jeunes femmes, leur donnant des conseils sur la meilleure manière de réagir dans diverses situations, tout particulièrement en cas d’avances sexuelles ou de viol. Elle leur rappelle leurs droits et leur donne une marche à suivre en cas de problème. Les jeunes femmes évoquent entre elles le meurtre de Joana Demafelis, retrouvée dans le congélateur d’un couple du Koweït.

« Vous êtes des travailleuses philippines émigrées. Vous êtes là pour être domestiques. Mais vous êtes des êtres humains, pas des animaux. » — Overseas

A divers moments du documentaire, les femmes expriment leurs sentiments, parlent de leurs attentes – gagner de l’argent pour soutenir leur famille et pour pouvoir commencer une nouvelle vie aux Philippines. Elles décrivent également leurs peines, souvent liées au fait qu’elles ne verront pas leurs enfants pendant ces contrats de deux ans. Elles les abandonnent à de la famille, ne sachant pas trop comment ils vont être soignés et s’ils les reconnaîtront à la fin de leur absence, à leur retour.

« J’aimerais être architecte. C’est mon rêve. » — Overseas
Overseas

Pendant la formation, Sung-A Yoon filme uniquement en plans fixes à l’intérieur, ou dans l’enceinte de la maison. Certains moments d’introspection des femmes les montrent dans une pièce sombre, avec le regard tourné vers la fenêtre, vers l’extérieur. Et puis, les cours se terminent et le monde des jeunes femmes se met en mouvement, tout comme la caméra qui les suit au centre médical, dans les bureaux de l’administration, et même le jour du départ, de nuit. Les visages, pensifs ou dodelinant déjà de fatigue, sont à peine éclairés par les réverbères et les phares des voitures et jeepneys. Une nouvelle vie les attend, une vie très incertaine et probablement semée d’embûches.


Overseas, un film de Sung-A Yoon (2019)

Belgique, France – 90’


Texte : Anne-Sophie De Sutter

Crédits photos : Iota Production


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