Compte Search Menu

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l’utilisation de cookies permettant d’améliorer le contenu de notre site, la réalisation de statistiques de visites, le choix de vos préférences et/ou la gestion de votre compte utilisateur. En savoir plus

Accepter
Critique

SEYA

publié le

Oumou SANGARÉ : « Seya » (World Circuit, Grande-Bretagne, 2009)

 

 

 

 

 

Retour en beauté de la diva malienne

Depuis « Oumou. », le double best of doté de six titres inédits paru en 2003, Oumou Sangaré se faisait attendre. Cette diva du Mali, dont la voix fait tourner les têtes, avait sans doute fort à faire avec ses autres vies : femme d’affaires, femme de scène (elle a chanté avec Tracy Chapman, Trilok Gurtu, Meshell Negeocello…) et femme engagée dans la dénonciation de la polygamie, du mariage forcé et de l’excision.
Après deux ans de maturation, la chanteuse dévoile enfin une nouvelle production : Seya.
D’emblée, cet album soulève quelques craintes : on le dit « très produit », « avec beaucoup d’invités » (de fait : Djelimady Tounkara, Cheick Tidiane Seck, Bassekou Kouyaté, Tony Allen…). Oumou Sangaré serait-elle tombée dans la soupe de la « World Music » (au sens péjoratif du terme bien entendu) ? Aurait-elle sacrifié son énergie et son inspiration puisée auprès de la tradition wassoulou, la force de sa musique aux sirènes aseptisées et nappées d’effets de synthé de la « musique du monde » formatée ? Aurait-elle succombé aux tentations d’une certaine variété africaine qui ne rêve que de succès internationaux ?
En fin de compte, non. Fidèle à la tradition wassoulou et en même temps résolument tournée vers la modernité, elle arrive à concilier les deux sans jamais tomber dans les écueils d’une musique convenue, créée uniquement pour plaire aux oreilles occidentales.
Avant de rentrer dans le vif du sujet, c’est-à-dire les onze plages de cet album, et afin de cerner plus précisément quelle est la part traditionnelle et quelle est la part moderne des nouveaux morceaux d’Oumou Sangaré, voici quelques mots concernant la musique dite wassoulou dont la grande chanteuse malienne se veut l’héritière.
Une précision lexicale d’abord : le terme « wassoulou » désigne à la fois un genre musical et une région forestière du sud-est du Mali. Ce sont des Peuls qui vivent dans cette région et ils y parlent le wassoulou n’ke, une variante du bambara.
Il faut savoir que, contrairement à ce qui se passe chez les Mandingues, le rôle de musicien-chanteur chez les Peuls n’est pas réservé à une caste de griots, mais ouvert à tous. Ce qui a laissé le champ libre à une plus grande créativité et à l’apport de nouveaux styles. La musique wassoulou en est une heureuse conséquence : à l’origine de cette musique, il y a la musique des sociétés de chasseurs, probablement une des plus anciennes traditions vivantes d’Afrique. La transformation qu’a connue l’instrument sacré des chasseurs qu’est le donso n’goni (luth) est une bonne manière de présenter l’apparition de la musique wassoulou. À partir de celui-ci a été créé le kamele n’goni, un des éléments emblématiques de la musique wassoulou. Plus petit et plus aigu, il a d’abord été censuré par les parents et les chefs de village, mais peu à peu il a gagné l’assentiment, particulièrement apprécié des jeunes car emblématique d’une musique plus attractive pour eux.
Mais le véritable élément-phare de ce style musical, ce sont bien les chanteuses. Elles ont même reçu le nom de « kono », ce qui signifie « oiseau ». Et pourtant on est bien loin de l’image qu’on pourrait se faire de la chanteuse-oiseau, se complaisant exclusivement dans la pureté de la voix et la beauté du chant : ces femmes ne gardent généralement pas leurs langues dans leur poche. Nahawa Doumbia, qui a été l’une des premières femmes à faire connaître le genre, s’est justement démarquée des autres chanteuses de la région en chantant l’amour, mais aussi en critiquant sévèrement la polygamie et les mariages forcés.
Ces deux derniers sujets constituent également le cheval de bataille d’Oumou Sangaré. « Sounsoumba » et « Wele wele wintou », deux des onze plages de ce nouvel album sont entièrement consacrées à la dénonciation du mariage forcé et appellent à une meilleure considération de la femme ; ces deux thèmes réapparaissent régulièrement tout au long de l’album.
Le deuxième morceau de l’album, « Sukunyali », est dédié aux immigrés Soninké. Ceux-ci, bergers et semi-nomades, vivent au Mali dans la zone frontalière de la Mauritanie. Pour rendre hommage aux Soninké, la musique s’habille de rythmiques syncopées, proches des musiques touarègues, la région dont il est question - le Sahel - se reflète à merveille dans le style musical adopté : dénué d’ornementation, plus rugueux, brut, moins mélodique.
Oumou s’amuse à alterner modernité et tradition : après une « Kounadya » avec basse, batterie, guitare, plutôt pêchue, elle nous projette dans l’univers des chasseurs wassoulou avec « Donso » (« Chasseurs ») où elle psalmodie les paroles plus qu’elle ne les chante en faisant référence à toute une symbolique qui leur est propre.
S’ensuivent deux chansons très traditionnelles, toutes en douceur, qui s’écoulent paisiblement. Elles traitent l’une, des relations harmonieuses, l’autre, du besoin d’avoir confiance en la vie. Deux chansons assez semblables finalement, tant du point de vue musical que du sujet traité.
« Seya » nous entraîne dans un tout autre registre musical : plus moderne, plus dansant. Une chanson de retrouvailles qui dégage une belle énergie positive.
Après un hommage à une griotte des années 60, « Mogo Kele » fait se déployer toute la puissance de la texture vocale d’Oumou Sangaré, chanté haut perché, presque parlé sur un ton plus grave, le tout sur un lit répétitif qui prend presque des allures de transe.
Le final, moins majestueux que le morceau précédent, clôture l’album sur une note festive et dansante, parfaitement en équilibre entre l’apport traditionnel et la créativité moderne.

Isabelle Delaby

selec5

Classé dans