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Critique

« One Second », un film de Zhang Yimou

ONE SECOND 002 ©Bai Xiaoyan
Avant tout une ode au cinéma d’antan et à la pellicule en celluloïd, « One Second » du réalisateur chinois Zhang Yimou pose également la question de l’individuel face au collectif en pleine période de la Révolution culturelle des années 1960 et 70.

Un paysage où les dunes s’étendent à l’infini, quelque part au nord-est de la Chine. Un homme (appelons-le « le fugitif » - le film ne lui donne pas de nom) apparaît progressivement ; il a l’air perdu mais il a un but bien défini : voir les quelques secondes d’images de sa fille sur la séquence d’actualités n°22. Lorsqu’il arrive au village, la projection est terminée et on l’informe que la suivante aura lieu plus à l’est, dans l’unité suivante. On comprend vite que la période est celle de la Révolution culturelle (1966-76), celle du collectivisme qui a rassemblé les Chinois en unités de travail dans divers lieux du pays, qui a fait table rase de la culture ancestrale, et qui a aussi été une époque de méfiance et d’oppression.

Le fugitif surprend un voleur qui subtilise une boîte contenant une des bobines du film. Commence alors un jeu du chat et de la souris qui ressemble très fort aux films burlesques de Buster Keaton. Le voleur, qui est en fait une voleuse, une jeune fille orpheline s’appelant Liu, aux cheveux hirsutes et aux airs de garçon manqué, et le fugitif s’approprient à tour de rôle la bobine tout en cheminant sur la route désertique menant au prochain village. Ils sont pris en stop par un chauffeur de camion à qui ils racontent leur histoire, ajoutant de nombreux éléments fictifs pour l’attendrir.

Ils se retrouvent finalement dans la communauté suivante et le fugitif a récupéré la bobine tant convoitée. Entre alors en scène le projectionniste, « Monsieur Cinéma », qui est interrompu dans sa tentative de démêler les fils de l’histoire de Liu et du fugitif par l’annonce d’une catastrophe : son fils qui devait amener les bobines restantes a été distrait et l’une d’entre elles – la bobine d’actualités – s’est démantibulée : la pellicule s’est déroulée, a traîné sur le sol pendant des kilomètres et s’est complètement emmêlée.

A une époque où le divertissement est rare, c’est le drame. Toute la communauté attendait avec impatience la séance de cinéma, même s’il s’agissait d’un film (de propagande) vu et revu (Fils et filles héroïques de Wu Zhaodi, 1964). Craignant perdre son poste, le projectionniste met en branle une opération de sauvetage et de nettoyage de la bobine, demandant de l’aide à tout le village.

Ces images montrent l’importance de la collectivité, chaque main peut aider, les hommes font du feu pour chauffer de l’eau tandis que les femmes nettoient délicatement les bandes pendues sur une immense corde à linge. Tous ont un rôle à jouer pour le but final commun. Mais parallèlement à cela, le film suit trois individus, chacun avec sa personnalité, ses envies et ses désirs. La jeune Liu cherche de la pellicule pour fabriquer un abat-jour après que celui de son petit frère a été détruit (ou volé ?) par les gamins un peu voyous du village. Monsieur Cinéma connaît une certaine notoriété grâce à sa fonction de projectionniste et craint les réprimandes – il veut vraiment continuer à exercer de rôle. Quant au fugitif, il s’est évadé de son camp de travail quand il a appris que sa fille de 14 ans apparaissait dans la séquence d’actualités n°22. C’est sa seule et dernière occasion de la voir : elle a renié son père à cause de son méfait et tente maintenant de racheter la faute paternelle en étant une citoyenne communiste modèle. Si au début, le film part vers le burlesque, le ton devient plus sérieux et les émotions contradictoires des protagonistes principaux sont montrées avec finesse, grâce au jeu tout en nuances des acteurs Zhang Yi et Wei Fan, et de l’actrice Li Haocun.

One Second aurait dû être présenté à la Berlinale de 2019 mais a été retiré par le gouvernement chinois quelques jours avant sa projection à cause d’un « problème technique ». Est-ce qu’il y avait vraiment un souci avec le film ? Ou était-ce juste un euphémisme et le régime a-t-il voulu exercer son pouvoir de censure ? Le sujet de la Révolution culturelle reste délicat – l’insertion de larges extraits de Fils et filles héroïques est peut-être postérieur au montage initial – , et Zhang Yimou a déjà vu certains de ses films interdits (Vivre ! et Epouses et concubines). Ces dernières décennies, il était plutôt rentré dans le rang, participant notamment à la cérémonie d’ouverture des Jeux Olympiques de 2008, et s’était fait remarquer par de superbes films de wu xia pian (des films de sabre chinois) comme Le secret des poignards volants ou Hero.

Même si One Second est un film de moins grande envergure, l’attention portée aux images et à leur composition est toujours au premier plan, que ce soit dans les étendues infinies des dunes, sur la route perdue au milieu de nulle part ou dans la salle de cinéma, un bâtiment aux murs en pierres et béton bruts. Quand la pellicule est pendue aux films pour sécher (comme les nouilles larges et plates de la même région) ou quand le projectionniste créée une boucle avec un long extrait de celle-ci, la composition devient vraiment intéressante, avec des jeux de lumière et de transparence. Il y a peu de musique, à part ces chants superbes et un peu lancinants appartenant à la tradition de la région du Qinghai.

One Second est un récit du quotidien mais qui s’inscrit dans la grande histoire, une histoire que Zhang Yimou transmet avec beaucoup d’émotions et de délicatesse, ravivant les fantômes du passé tout en restant dans les limites de ce qu’il peut montrer dans l’ombre de la censure chinoise. C’est également une ode au cinéma d’antan, à la matière – le celluloïd si fragile – qui a aujourd’hui disparu des salles de projection. On peut y voir une certaine nostalgie pour cette matière qui se découpait et recollait sans ordinateur, au gré des envies du réalisateur ou du projectionniste, mais certainement pas pour l’époque dont le film suggère les importants travers.

One Second, Zhang Yimou

Chine – 2020 – 1h44


Texte : Anne-Sophie De Sutter

Crédits photos : Paradiso Films, Bai Xiaoyan

La filmographie de Zhang Yimou à PointCuture


Agenda des projections

Sortie en Belgique le 1er juin 2022, distribution Paradiso Films

En Belgique francophone, le film est programmé dans les salles suivantes:

Bruxelles : Aventure, UGC Toison d'Or , Vendôme

Wallonie : Ath L'Ecran, Charleroi Quai 10, Tournai Imagix, Mons Plaza Art (dès le 15/06)

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