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Critique

« Nomadland », un film de Chloé Zhao (2020)

Nomadland - Chloe Zhao

Etats-Unis, cinéma, Nomadisme, cinéma en salle, années 2020, 2020, Nomadland, Chloé Zhao, Frances McDormand

publié le par Anne-Sophie De Sutter

Une autre image des États-Unis, celle des nomades qui ont tout perdu ou presque, et qui vivent de petits boulots saisonniers. Un film qui, malgré son thème difficile, n’est pas misérabiliste.

Fern (Frances McDormand), la soixantaine, a presque tout perdu. Son mari est décédé, elle a été licenciée suite à la fermeture de l’usine dans laquelle elle travaillait, usine qui était la seule raison d’être de la cité minière d’Empire (Nevada), qui a été rayée de la carte par la même occasion (le code postal a tout simplement été supprimé). Elle a été expulsée de la maison qui lui avait été mise à disposition par l’entreprise. Il lui reste des affaires qu’elle a entassées dans un box de stockage et son van, qu’elle a aménagé pour pouvoir y vivre. Elle prend la route et devient nomade, allant de petit boulot en petit boulot. Elle trouve du travail pour quelques semaines chez Amazon, un travail répétitif mais qu’elle aborde avec bonne humeur. Elle y rencontre Linda May, elle aussi nomade, comme beaucoup d’employés intermittents, qui garent leur camionnette ou mobile-home sur un parking aménagé à cet effet par la multinationale.

C’est la fin de l’automne, il fait glacial et gris dans cette partie des États-Unis. Après la fin de son contrat, elle reste un moment dans la région, espérant trouver un autre travail mais elle n’est plus vraiment « employable » d’après les critères du bureau de placement. Le froid a finalement raison d’elle et elle se souvient de la proposition de Linda May : elle pourrait la rejoindre en Arizona pour le « Rubber Tramp Rendezvous », une rencontre annuelle pour les travailleurs nomades comme elle. Elle trouve une communauté très unie, même si chacun suit sa route une fois le conclave terminé.

En 2017 paraissait le livre Nomadland, dans lequel Jessica Bruder décrivait la vie des sexagénaires et septuagénaires américains qui, après la Grande récession de 2008, ont perdu leur travail, leur maison, leurs acquis sociaux. Beaucoup ont pris la route, vivant de petits boulots. Ils sont devenus des migrants dans leur propre pays, dans la lignée des pionniers qui ont traversé le territoire de part en part au 19e siècle, des déracinés de la Grande dépression qui ont tenté de trouver une vie meilleure, des « hobos » qui parcouraient le pays en sautant de train en train. Touchée par le livre, Frances McDormand a contacté la réalisatrice d’origine chinoise Chloé Zhao pour en faire un film. Celle-ci avait déjà réalisé deux longs-métrages s’intéressant à la nation indienne, au cœur du Dakota du Sud.

La réalisatrice a pris le parti de n’employer que deux acteurs professionnels, Frances McDormand et David Strathairn ; tous les autres personnages jouent leur propre rôle. Cela donne au film un côté documentaire, Frances/Fern prenant en quelque sorte le rôle d’hôte, de journaliste, laissant parler avec beaucoup d’empathie les divers personnages qui se dévoilent au fil des images. Il n’y a pas vraiment d’histoire, de fil narratif, sauf cette tentative amoureuse un peu maladroite de Dave envers Fern (et qui aurait tout aussi bien pu être supprimée du film). L’histoire accumule des vignettes, qui s’ajoutent l’une à l’autre pour former un tout. Même si, à certains moments, la tension monte chez le spectateur qui craint le pire, comme dans tout bon film d’Hollywood, et pourtant celui-ci n’arrive jamais. Il n’y a pas d’attaques de Hells Angels, pas de décès tragique, pas d’accident catastrophe. Il y a juste cette panne du van de Fern, qui contrarie son plan initial et qui lui fait prendre un détour qui montrera une autre facette du personnage.

Même si le côté documentaire est très présent, Nomadland est avant tout l’histoire d’une femme, solitaire mais appréciant la compagnie à intervalles réguliers, une femme qui a du mal à faire la paix avec son passé, une femme qui sait ce qu’elle veut par moments et puis qui est totalement perdue à d’autres. Beaucoup de scènes se passent à l’aube ou au crépuscule, dans une sorte d’entre-deux comme la vie nomade, sans domicile fixe. Le film n’est pas misérabiliste, malgré son sujet ; il y a un certain espoir, de l’euphorie même, et une vraie liberté chez les personnages.

C’est aussi un road movie qui nous emmène du Nevada au Nebraska, de l’Arizona à la Californie. Il montre les superbes paysages états-uniens, au détour des pérégrinations de Fern. Elle accepte du travail saisonnier mais découvre en même temps la région, que ce soient les collines arides des Badlands ou les arbres géants du parc de Joshua Tree. Il y a aussi des paysages industriels, des stations-service, des passages à la laverie, qui rythment l’histoire. Certaines images sont dominées par le gris de la roche et de la neige, d’autres par les tons dorés du soleil qui se couche. Elles sont accompagnées des sons du piano de Ludovico Einaudi, mais leur côté un peu trop convenu et même parfois new age distrait parfois le spectateur de la beauté des plans larges.

Nomadland a reçu de nombreux prix (Lion d’or de la Mostra de Venise, Golden Globe, Oscar) ; ceux-ci sont mérités. C’est un film prenant, rendant honneur aux superbes paysages américains ainsi qu’aux personnes qui y vivent, même si cette vie n’est pas simple. Frances McDormand est une fois de plus magnifique dans son personnage, dans lequel elle s’est complètement immergée. C’est aussi un rôle qui montre que les femmes de plus de cinquante ans ont toujours leur place dans le cinéma.


Texte : Anne-Sophie De Sutter

Crédits photo : Searchlight Pictures


Agenda des projections:

à partir du 9 juin 2021 dans tous les cinémas de Belgique

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