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Critique

« Nouvel ordre » [Nuevo Orden] de Michel Franco

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cinéma, armée, Mexique, dictature, Révolutions, Amérique Centrale, sortie ciné, ghetto, Coup d'État, Michel Franco

publié le par Yannick Hustache

Le Mexique, aujourd’hui. Un mariage mondain vire au carnage alors qu’un soulèvement populaire met les quartiers de la capitale à feu et à sang. Au décompte des victimes et survivant·e·s, la mariée manque à l’appel.

La mariée était en rouge

C’est jour de noces dans une famille de la haute bourgeoisie de Mexico. Marian va épouser Daniel, jeune cadre prometteur de bonne extraction , laquelle ne semble pourtant qu’apprécier modérément (c’est même la guerre larvée entre Alan, frère de Daniel et Marian) cette « effrontée un peu bohème » qui se marie en tailleur rouge. Mais rien ne semble devoir perturber cette journée, ni l'eau du robinet qui, durant un court moment est verte, pas plus que les échos de troubles révolutionnaires qui secouent les quartiers populaires de la cité, même pas les invités qui arrivent en retard, les habits tâchés d'une espèce de peinture/pâte verte collante. C’est que les murs de la résidence où a lieu le mariage sont hauts, placés sous bonne garde d’un service d’ordre qui veille au grain et assez éloignés finalement des faubourgs à problèmes. C’est pourtant à ce moment que s’invite un ancien employé de maison dont la femme – qui elle aussi travailla pour la famille – a besoin d’une opération chirurgicale d’urgence que seule un établissement privé peut lui offrir immédiatement. Si ses anciens employeurs lui confient une petite partie de la somme nécessaire, ils le font avec une gêne palpable et sans traîner. Peu après le départ du vieil homme, Marian est mise au parfum de sa démarche désespérée, et excédée de ne pas avoir été prévenue, décide de se rendre malgré tout, avec la somme manquante à la maison du vieux couple dans les quartiers pauvres en ébullition, en compagnie de Christian, un membre de la famille du quémandeur, lui-aussi au service de la maisonnée.

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Révolution verte

Entretemps, les émeutes vertes se transforment en une vague de chaos qui déferle sur toute la ville. S’invitant à la fête, avec également quelques soutiens à l’intérieur, les révolutionnaires armés tirent dans le tas, prennent les invités en otages, les molestent et saccagent les lieux non sans avoir emporté tout ce qui semblent avoir un peu de valeur à leurs yeux.

Dans une Mexico à feu et à sang, Marian et son chauffeur ont toutes les peines du monde à arriver à destination, l’armée et ses (?) milices affiliés ayant entamé le bouclage des quartiers. Légèrement blessée, elle trouve in extremis refuge chez Christian, mais sans aucun moyen de communication, le réseau téléphonique ayant été coupé.

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Ordre nouveau.

Le lendemain, alors que le calme semble revenu dans un décor cauchemardesque de fin du monde, ce sont des militaires masqués qui font irruption chez Christian et sa mère. Mais au lieu de ramener Marian auprès des siens sans nouvelles depuis la veille, elle est dépouillée de tous ses objets de valeur et conduite dans un centre de détention secret. Là, elle est déshabillée, humiliée, privée de son identité (elle porte désormais le numéro 16) et parquée dans un enclos humain où elle n’a plus d’autre valeur aux yeux de ses ravisseurs que celle de la hauteur du montant de la rançon à "discuter" pour une hypothétique libération. Des kidnappeurs militaires qui, après avoir envoyé une vidéo de Marian à Daniel afin d’exiger une rançon, passent par Christian et sa mère pour négocier toujours plus d’argent, sans offrir de garanties qu’elle sera effectivement relâchée un jour. Des demandes successives qui ont le don d’excéder ces proches du désormais tout puissant pouvoir militaire en le pressant d'agir promptement !

Bloody Revolution*

Dès son entame, le film adopte le ton d’une fable sociale sur le versant catastrophiste d’une société Mexicaine profondément inégalitaire, clivée entre quelques familles ultra-riches et influentes qui veillent jalousement sur ses privilèges et sur le choix de celles et ceux qui sont en droit d’en être (ce mariage voulu comme somptueux), vivant dans des quartiers sécurisés, et une part écrasante de la population qui peine à assurer sa propre subsistance et demeure cantonnée à des quartiers surpeuplés dépourvus des services les plus essentiels.

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L’injustice y apparait très tôt dans le film, au travers de la demande de l’ancien domestique qui, malgré des années de cotisation, de travail et d’économie n’est capable de réunir qu'une toute petite partie de la somme nécessaire à une opération chirurgicale dans un hôpital privé. Si ses anciens employeurs lui font l’aumône, c’est bien plus pour lustrer l’image de générosité factice à donner un jour de noces qu’un véritable acte altruiste. Le réalisateur s’attarde d’ailleurs à plusieurs reprises sur le petit rituel d’ouverture du coffre de la famille pour en montrer l’importance centrale au sein du palais (et qui sera dévalisé lors du pillage). Élément perturbateur ou "toléré" en cet éden douillet sous cloche dorée, Marian découvre par ailleurs le jour de son mariage que le code a été changé…

Quand la propriété est prise d’assaut par les révolutionnaires tâchés de vert, on mesure toute la différence entre l’aspect très pâle - caucasien - et en bonne santé de l’assistance sélect’, et les gueules marquées, burinées et finalement très indiennes des assaillants.

Des activistes plutôt nihilistes qui ne semblent nourrir d'aucune aspiration politique et économique, n’avoir aucun leader ni discours mais seulement d'arracher pour une fois des richesses qui leurs sont habituellement refusées dans un grand bain de sang vengeur et salvateur.

Et au lendemain des évènements, toute trace d’agitation révolutionnaire a disparu, se met alors en place un régime militaire de nature concentrationnaire. Les quartiers sont quadrillés et les mouvements de population strictement encadrés par des militaires qui ont tout autorité pour entrer où ils le veulent, arrêter, rançonner qui ils veulent et abattre le moindre suspect ou « gêneur » sans sommation et sans devoir rendre de compte.

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Un Ordre Nouveau mis en place avec une facilité presque déconcertante qui laisse à penser, même si une certaine ambiguïté demeure, que la révolution des pauvres n’était en fait que la phase d’un plan soigneusement élaboré (et que donc, les verts ont été manipulés de bout en bout et remplacés par d'autres verts...) pour installer un régime ultra-réactionnaire basé sur l’armée et les intérêts sauvegardés de la minorité fortunée. Et non pas la réponse musclée d’une société donnée dans l'urgence face à un coup d'éclat révolutionnaire. Et dès la mise en place des zones d’internement, une politique violente de ségrégation et d'épuration se met en place (envers les non-Mexicains ou ceux qui ne parlent pas espagnol…) et opère à un premier écrémage sociologique meurtrier.

Mais dans ce compte très noir, ramassé (moins d’une heure trente) inscrit dans son époque dans un pays bien identifié (voir le plan de lever de drapeau final) qui, malgré la pauvreté d’une grande partie de ces citoyens entretient une force armée pléthorique et surarmée, le ver de l'accaparement a pourri inlassablement toutes les parties du fruit. À peine au pouvoir, les militaires, aux manières décidément très mafieuses (enlèvement, extorsion, disparition, exécution…) se mettent ci et là à agir de façon « inappropriée », entrainant, certes, une vigoureuse reprise venue d'en haut, mais qui n’aura que pour seule finalité de ne pas ternir l'image et d'effacer les couacs le Nouvel Ordre… Quitte pour cela à accepter quelques sacrifices.

Desservi par des acteurs tous très bons, bien qu’inconnus de ce côté-ci de l’Atlantique et avec un sens du rythme haletant et une mise en scène efficace, oppressante mais sans jamais céder au pathos et au spectaculaire pour le spectaculaire, New Order dresse un état des lieux sombre, étouffant et quasi sans espoir d’une société par nature inégalitaire, toujours encline à adopter à un moment ou l’autre de son histoire une forme concentrationnaire, cachée parfois sous des oripeaux révolutionnaires.

La claque de cette fin d’année.

Texte : Yannick Hustache;

*Bloody Revolution est un titre du groupe punk anglais Crass (1984)

Photo : De Filmfreak

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Agenda des Projections

Sortie en Belgique le 08/12/ 2021.

Le film est programmé dans les salles suivantes

Bruxelles : Palacehttps://cinema-palace.be/fr

Wallonie : Plaza-arthttp://plaza-art.be/

Quai 10 : https://www.quai10.be/

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