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Critique

ENCERCLEMENT (L')

publié le

Richard Brouillette, L’encerclement, la démocratie dans les rets du néolibéralisme

L’encerclement…, malgré son nom, n’est pas le patient décorticage explicatif d’un complot ourdi en coulisses à des fins de domination du monde, mais bien la description du lent cheminement d’une pensée, depuis les lieux obscurs de sa formulation jusqu’à sa complète interpénétration du réel, au point d’être confondu avec lui. Mais c’est aussi le premier jalon d’une réfutation idéologique qui a bien du mal à faire entendre son point de vue !

A priori, le propos paraît austère et un visionnage distrait pourrait laisser filtrer l’idée que ce film a trait à des évènements relevant de la partie gauche de la ligne du temps, celle des histoires, faits et gestes dûment consignés et dont on mesure à peu près de manière consciente les répercutions sur le moment présent. Mais ici, c’est une attention pleine et entière du spectateur qui est sollicitée. Choix du noir et blanc, image « granuleuse », tournage en 16mm, cadrage rigoureux couplé à un montage faussement placide – seulement à rebours de la frénésie « clipesque » devenue la norme télévisuelle de bien trop de reportages d’aujourd’hui – musique pianistique au toucher contemporain, l’austère parti-pris formel adopté par le Québécois Richard Brouillette pour L’encerclement, reflète parfaitement son désir de demeurer rivé au(x) « texte(s) ». Un dispositif, sans voix off ni inserts d’aucune sorte, qui s’en remet au pouvoir (intact) de fascination de la parole en s’épargnant au maximum le recours à des « lubrifiants visuels » (dixit l’auteur), ces images d’archives ou des reconstitutions susceptibles « d’orienter », ou du moins de perturber le sens des interventions des participants d’un documentaire qui fait le pari de l’intelligence de son public. Pas courant !

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L’idée maîtresse de ce film est énoncée telle un postulat démontré et… démonté en dix chapitres. Ou comment l’idéologie néo-libérale, de simple discours économique élaboré au sein d’obscurs cercles intellectuels s’est peu à peu infiltrée dans toutes les strates de la société pour produire une pensée unique à visée globale (mondiale), un « principe de réalité » qui se voudrait à la fois ‘ahistorique’ (Bourdieu) – c’est-à-dire dégagée des contextes socio-économiques particuliers – et autolégitimée, autrement dit, qui possède ce luxe intellectuel de devoir faire l’impasse d’explications sur sa véritable nature ou sur ses origines. Mais se trouve paradoxalement en position de force de s’imposer partout et à tous ! L’allégorie d’Adam Smith « de la main invisible du marché qui tend naturellement à s’autoréguler » est lumineuse, car elle attribue une causalité « naturelle », donc irréfutable, à l’un de ses plus intouchables fondamentaux.

Et c’est davantage à l’idéologie qu’au cours de la bourse que s’attaque L’encerclement. Comment, en se réappropriant le credo libéral originel (des Locke, Ricardo…), mais en le coupant de sa dimension éthique (l’antienne du « bien commun ») au profit d’une supposée « indiscutable efficacité », les adeptes zélés du néo-libéralisme (l’ajout du préfixe lève en outre la confusion avec le « libéral » à l’américaine qui est plutôt un homme de gauche) et au travers d’un réseau complexe d’articulations qui part de « think tanks » (cellules de réflexion, boîtes à initiatives) et transite par le relais de « fondations » généreusement dotées (financées par le privé), pour aboutir aux plus hautes instances politiques, sont partis à l’assaut des esprits et des systèmes économiques de la planète !

Une pensée dont les fondements sont posés dès 1938 (colloque Walter Lippmann) et 1947 (Société du Mont Pèlerin), et qui connaît un premier champ d’application dans les réformes économiques mises en place sous Pinochet dans le Chili des années’70. Privatisation à outrance, mesures anti-inflationnistes et régime forcé des attributs de l’État sont les grandes lignes d’une doctrine étayée par l’école dite de Chicago (le monétarisme de Milton Friedman) et que reprendront à leur compte les Reagan et Thatcher, avant d’intégrer presque «telles quelles» les futurs programmes d’ajustement structurel du F.M.I… Et aujourd’hui, les gouvernements de gauche comme de droite n’ont jamais autant convergé dans le même sens et tentent de conserver à tant bien que mal les faveurs de marchés financiers hyper volatils dont on n’ose à peine espérer – et malgré un krach bousier récent (2008) – une amorce de régulation.

Espace de savoir et de transmission privilégié, le monde de l’Enseignement, au travers de sa réalité québécoise, est montré comme un territoire de conquête (des esprits) qui aiguise les appétits de « généreux mécènes privés » au service (indirect) des entreprises. Une fabrique de « serviteurs du système » comme le rappelle Omar Aktouf, pour souligner que les évolutions idéologiques vont de pair avec maints (ré)aménagements linguistiques.

Et c’est à une patiente déconstruction d’un discours néolibéral tellement sûr de son fait qu’il en devient édifiant (le «libertarianisme» défendu par le directeur du Le Québécois Libre) et cache mal une haine primaire envers l’État, les associations citoyennes et la démocratie (!), contrastant avec une très angélique conception de la libre entreprise que convie L’encerclement. Noam Chomsky, Ignacio Ramonet, Suzan George, (Oncle) Bernard Maris déboulent quelques statues d’une idéologie capitaliste parfois défendue de manière caricaturale (seul défaut du film), au moyen d’un argumentaire certes, désacralisant, mais qui souligne de façon inquiétante la marginalisation de fait de toute pensée critique envers la doxa néolibérale !

Yannick Hustache

 

 

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