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Critique

« Les Passagers de la nuit » de Mikhaël Hers

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Une promenade mémorielle dans le Paris des années 1980, à la grâce de ceux qui s'y perdent
On dit que l’on est de son enfance comme on est d’un pays et j’avais envie de me replonger dans cette période de ma vie, de revisiter ses tessitures, ses sonorités, ses images. Je suis fait de ces sensations, ces couleurs. Je les porte en moi. — Mikhaël Hers

Suite au départ de son mari, Élisabeth doit se trouver un travail. Puisqu’elle ne se sent apte à rien faire, elle va tout droit vers ce qu’elle aime : la radio. D’auditrice assidue, elle devient standardiste des Passagers de la nuit, un programme pour les gens comme elle, peu doués pour le sommeil. C’est là qu’elle rencontre Talulah qu’on a vu un peu plus tôt débarquer à Paris, sans adresse et sans but apparent. A l’étage de l’immeuble où Élisabeth vit encore avec ses enfants, tout près, à Beaugrenelle il y une chambre de bonne. Élisabeth invite la jeune fille à s’y installer, le temps qu’elle aussi se trouve une place.

L’histoire se déroule durant sept ans, de 1981 à 1988, sur un fil qui, sans s'y arrêter vraiment, tient un peu de la saga amoureuse, familiale, politique, sociale… C'est que Mikhael Hers ne fait pas grand cas des cadres narratifs qui structurent son récit, leur préférant tout ce qui déborde ou échappe à la brusquerie de l’événement, l’avant, l’après, l’en-deçà des mots, des images, le temps et la pensée dans leur cheminement machinal, quotidien, encore irréfléchi. Alors que partout ailleurs dans le cinéma les frontières entre la fiction et le documentaire ne cessent de s’amenuiser, Mikhaël Hers cultive l’art de la réminiscence comme s’il incombait au souvenir de prendre en charge toutes les données du sensibles qui font défaut à l’instant présent. Cette vision singulière est un parti pris auquel nous ont introduits les précédents longs métrages du cinéaste. Le Sentiment de l’été et Amanda témoignent en effet de la force de l’irrésolu. Les traumatismes ne sont pas des problèmes qui demandent à ce qu’on les affronte avec le muscles du cœur et de l’esprit. Maintenus hors champ, mille et un détails concrets signalent leur prégnance dans la vie des personnages. On est aux antipodes de la tragédie où toute l’action s’incline devant un drame qui arrive comme par extraordinaire. Le cinéaste choisit un autre camp, posant son regard là où ça se défait et surtout là où sa se reconstruit et se réinvente sans qu'il soit question de guérir de quoi que ce soit.

Dans la même logique d’ellipse qui tend à faire l’impasse sur le travail de deuil, cette entreprise de négation du chagrin, le réalisateur confie à un système de collage et d’incrustation tout ce qui relèverait de l’obscène et de l’indicible. En se mettant du côté de l’illusion rétroactive, il filme les années 1980 comme si c’était maintenant. Les tours du quartier de la radio qui ont toujours eu l'air daté se mettent soudain à faire sens. Il y aussi l’élection de Mitterrand, des archives, des reportages et des bouts de documentaires dont Mikhaël Hers prélève quelques échantillons pour les reverser directement dans l’image en y ajoutant des séquences tournées en 16 mm. Ces différents régimes qui se croisent rendent compte d’une réalité non moins hétérogène. Lorsque Talulah découvre à sa sortie en août 1984, Les Nuits de la pleine lune, cela fait déjà longtemps qu’à l’écoute de sa voix et de sa diction particulières le spectateur aura reconnu en elle une jumelle de Pascale Ogier, décédée au mois d’octobre de la même année. Des échos tels que celui-là, il y en a quantité dans Les Passagers de la nuit, ne serait-ce que par le biais de la radio, mais aussi dans la bande-son d’Anton Sankko, dans les chansons et la voix off citant Les Petites Terres de Michèle Desbordes, roman dont est extraite une longue citation où vient se loger, de manière parfaitement apocryphe, le titre du film :

« Il y aura ce que nous avons été pour les autres, simplement nous étions là, il y avait quelque chose de chaud, d’éternel, et nous n’étions jamais les mêmes, ces inconnus magnifiques, des fragments de nous, ces passagers de la nuit. — »

Le traitement du politique suit la même trajectoire. Jamais explicité, il infuse les rapports entre les êtres et le rapport au monde qu’ils ont en commun. La grâce singulière de ce cinéma, semble-t-il, est qu’il fait exister non pas seulement des personnages, mais des sensibilités. Il parvient, voilà ce qui est émouvant, à nous faire voir, nous faire sentir ce qui anime les êtres souvent à leur insu. Le courant de conscience tel qu’on le connaît en littérature trouve ainsi sa traduction à l'image. Les lieux, les époques, les accessoires, la lumière même et les corps qu'elle rencontre y deviennent les contours tremblants d'une seule grande et belle incertitude quant au fait d'exister et la place qu'on occupe. Une femme de cinquante sans emploi, un jeune poète qui veut vivre de sa plume, une fille engagée dans les mouvements contestataires, un homme timide et asocial, une jeune fille sans-abri : ces personnages insaisissables auxquels la société n’accorde que peu d’attention naissent d’un intime consentement à se perdre, sous un regard élégiaque qui leur accorde toute sa confiance.


Texte : Catherine De Poortere

Crédit images et distribution : © Cinéart

Films de Mikhaël Hers à PointCulture


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Agenda des projections

Sortie en Belgique le 25 mai 2022

En Belgique francophone, le film est programmé dans les salles suivantes:

Bruxelles : Palace, Stockel, Vendôme

Wallonie : Ath Ecran, Charleroi Quai 10, Jodoigne L'Etoile, Liège Les Grignoux, Louvain-La-Neuve Cinéscope, Marche-en-Famenne Cinémarche, Mons Plaza-Art, Namur Caméo, Nivelles Cine4, Rixensart CinéCentre, Tournai Imagix, Stavelot Versailles

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