Compte Search Menu

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l’utilisation de cookies permettant d’améliorer le contenu de notre site, la réalisation de statistiques de visites, le choix de vos préférences et/ou la gestion de votre compte utilisateur. En savoir plus

Accepter
Critique

« Les cinq diables », un film de Léa Mysius

Les cinq diables

feu, montagne, David Lynch, Alpes, sorcellerie, David Cronenberg, Adèle Exarchopoulos, odeurs, piscine, BIFFF2022Plus

publié le par Yannick Hustache

Vicky, une petite fille plutôt solitaire voue un attachement viscéral à sa mère. En outre, la gamine possède un sens olfactif hors du commun et collectionne en secret des objets qui conservent le souvenir de la personne qui l’a eu en sa possession. Mais la vie de l'enfant change du tout au tout à l’arrivée de sa tante Julia au sein de la maisonnée.

Sommaire

Une vie moins ordinaire

Les journées de Joane (Adèle Exarchopoulos) sont des plus chargées en cette fin d’automne en Rhône-Alpes, du côté de la Vallée de l'Oisans. Entre son travail à la piscine où elle s’occupe d’un peu tout (tour à tour monitrice, surveillante, caissière, concierge…), la charge du ménage et des courses, elle trouve encore le temps de nager chaque jour dans les eaux presque glaciales d’un lac de montagne, à l’abri des regards extérieurs (alors que la chose n’est pas sans danger) mais sous l’œil scrutateur de sa petite Vicky (Sally Dramé) qui ne la quitte pas d’une semelle. D’ailleurs, Joane remarque que sa fille qui possède un odorat hyper développé est capable de retrouver/pister sa mère au nez, quand bien même celle-ci dissimule son corps parmi les fourrés. Deux solitudes très liées par-delà du sang au final. Vicky est rejetée par les autres enfants de son école et passe le plus clair de son temps seule et/ou recluse dans sa chambre au milieu de sa collection secrète de bocaux aux objets/souvenirs/mélanges olfactifs en grande partie liés à sa mère. Laquelle traverse une période plutôt creuse avec, Jimmy Soler (Moustapha Mbengue) le père de la petite, et entretient sur son lieu de travail des liens plutôt tendus avec son (ex) amie Nadine (Daphné Patakia) au visage déformé. Un équilibre précaire qui menace d’éclater à l’arrivée de Julia (Swala Emati), la sœur de Jimmy, alcoolique au comportement des plus étrange. Une intrusion au sein du noyau familial qui semble éveiller chez Vicky de bien curieuses facultés paranormales.

Les amis américains

Déjà auteure d’un premier long-métrage en 2017 (Ava), Léa Mysius revient avec un second film qui affiche d’entrée « son genre » ! Ce cinéma fantastique à la sauce U.S., si prisé en terre de France qui peine (un peu) à trouver ses propres représentants dans un pays à l’exceptionnelle cinéphilie. Dès son introduction, les flammes incendiaires et les jeunes danseuses en tenue de spectacle renvoient au final du Carrie (1976) de Brian de Palma. Un film tiré d’un livre de Stephen King qui prend pour décor, dans la plupart de ses livres et nouvelles, son Maine natal et ses vastes étendues forestières, des espaces par essence lié à la magie et à ceux qui en sont le(s) dépositaire(s). Dans cette vallée des Alpes, c’est la nature, ses bois touffus et sombres et ses points d’eau qui semblent à être à l’origine des talents particuliers de Vicky, et constituent pour Joane et sa fille un havre unique où se scellent leurs liens filiaux déjà si forts.

Fire Screams With Me

Mais Les cinq diables est avant tout un film lynchien sur son versant Twin Peaks. Les références sont ici presque si légion - mais toujours subtiles - qu’au-delà de l’évident hommage, on peut se demander si ce second long-métrage n’a pas servi d’exorcisme cinématographique à Léa Mysius. Les montagnes, les lacs et forêts dans leurs parures automnales et hivernales et les mentalités locales de cette région retirée n’ont rien à envier dans leur isolement splendide à celles de la cité aux deux pics sise aux frontières du Canada. Les expériences de sorties de conscience immédiates de Vicky se font depuis une chambre dont les motifs renvoient directement à la red-room de la série susnommée, le corps d’une jeune femme enveloppé dans un linceul et le style des photos de famille (et les rideaux…) sont une évocation directe au destin funeste de Laura Palmer. Mêmes intimités anxiogènes indéfinissables régnant au sein des deux foyers familiaux. Sans oublier la surveillante/institutrice de petite taille de l’école de Vicky qui pourrait être la jumelle européenne du nain de la série en costume rouge qui débitait ses phrases à l’envers. Enfin, tant dans sa structure narrative en forme de ruban de Möbius, sa temporalité éclatée et la subjectivité toute puissante des points de vue, sans oublier son final en double point d’interrogation, ainsi que la présence récurrente d’un bien étrange objet d’échange, Les cinq diables semble construit sur le modèle de l’inépuisable matrice cinématographie que reste Mulholland Drive, mais sur une tonalité de fond moins sombre, et presque flanqué d’une possible un happy end.

Un casting cinq étoiles

Bien écrit, filmé dans une palette de couleurs et de tons allant du minéral (l’eau, les roches, la cité) aux rendus ardents extrêmes des flammes et des sentiments, Les cinq diables est porté par un formidable duo d’actrices qui donne toute sa force et sa crédibilité aux liens mère-fille qui les unissent. Le regard de Sally Dramé (Vicky) semble littéralement transpercer le spectateur avec la même intensité qu’il est capable de se projeter dans les méandres complexes du flux temporel. Adèle Exarchopoulos (Joane) est presque solaire dans ce rôle de mère aimante, de femme plongée en désarroi sentimental, dévorée par les secrets du passé, mais toujours combative et décidée à aller de l’avant (ses baignades en solitaire ne sont pas sans danger). La caméra de Léa Mysius s’attarde longuement sur ce corps sculpté sans exagération par la pratique du sport et comme objet de désir. Patrick Bouchitey en papy dépassé mais aimant et paniqué est tout à fait crédible. Mais on n'en dira pas autant du jeu du trop effacé Jimmy Soler (Moustapha Mbengue) dont la voix et le débit vocal ont bien du mal à résonner à l’écran.

Par ailleurs, Les cinq diables n’élude en rien certaines problématiques actuelles (le racisme et la difficulté de s’inscrire au sein d’un terreau local fort et isolé de tout, la confusion des sentiments, la difficulté de faire face à l’irrationnel, l’impossible réparation), le film feint flirter avec le registre de la sorcellerie (féministe) pour aller chercher ses marques du côté d’un cinéma fantastique qui se défie de ses poncifs et codes habituels, un peu à la façon de la série Les Revenants de Fabrice Gobert, cinéaste sous-estimé qui partage avec Léa Mysius, la même attention apportée au son et aux musiques indissociables de la stupéfiante photographie du film. Outre les magnifiques arrangements de cordes et de structures electro flottantes et inquiètes signés Florencia Di Concilio, la bande-originale du film résonne des titres des trop rares (feu) Electrelane et Soap & Skin…

Tandis que le spectateur, à l’unisson des voix jumelées et maladroites de Joane et Julia ne peut plus au final se défaire de cet earworm populaire tout droit sorti des années 1980 dont le titre même semble superflu…

Les Cinq Diables de Léa Mysius

France, 1h35

Texte : Yannick Hustache

Crédits photos: O'Brother & Cinebel

Agenda des projections

Sortie en Belgique le 21 septembre 2022, distribution O'Brother

Le film a été montré à l'édition 2022 du Brussels International Fantastic Film Festival BIFFF2022

Le film est projeté dans la plupart des salles en Belgique.

Classé dans