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Critique

« Le Sixième enfant », un film de Léopold Legrand

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Sous la forme d'un thriller social, ce premier long métrage d'un jeune réalisateur français formé à l'INSAS ose un regard neuf sur la maternité et réussit un très beau portrait de femmes.

Frank (Damien Bonnard) est ferrailleur. Il est aussi gitan. Fixé à Aubervilliers, il loge dans une camionnette avec Meriem (Judith Chemla) et leurs cinq enfants dont le plus jeune n’a pas encore fait ses premiers pas. Arrêté pour complicité dans un trafic de métaux, il doit son salut à un élan de sympathie de la part de Julien (Benjamin Lavernhe), un avocat d’affaires contacté presque par hasard.

Sur l’échelle sociale, tout oppose le gitan et l’avocat. D’un côté les dettes, le logement précaire et un travail toujours à la limite de la légalité. De l’autre, l’appartement dans Paris et les minutes qui valent de l’or. L'élément subversif qui vient brouiller cette théorie de classes se révèle assez vite sur le plan de l'intime. Julien et son épouse Anna (Sara Giraudeau), également avocate, souffrent de ne pas pouvoir avoir d’enfant. Au même moment, une nouvelle grossesse s’annonce du côté de Meriem. L’événement qui met en émoi la famille désargentée pourrait bien représenter une occasion à saisir pour le couple infertile, à condition que l'enfant à naître passe pour être celui d’Anna et Julien... A ce propos, la loi n'offre aucune ambiguïté : un tel acte relève du délit de traite d'être humain.

Malgré son caractère romanesque qui ferait croire qu’il s’agit d’une histoire vraie, l’intrigue n’est pas celle d’un fait divers mais d’un roman d’Alain Jaspard, Pleurer des rivières. Sur la thématique de la filiation et de la maternité, Léopold Legrand est l’auteur de deux courts-métrages réalisés lors de ses études à l’INSAS, Angelika, documentaire consacré à une enfant de l’assistance publique en Pologne, et Les Yeux fermés, une fiction tournant autour d’un jeune plongeur confronté à l’agonie de sa mère. De Léopold Legrand, on trouve aussi sur internet un court-métrage qui est l'adaptation d'une nouvelle du médecin urgentiste chroniqueur à Charli Hebdo Patrick Pelloux : Mort aux codes.

La description des milieux ou de modes de vie n’est pas l’élément central de ce premier long métrage. De même que la magistrature n’est pas traitée comme un sujet, la communauté des gens du voyage ne rentre pas dans une optique documentaire. La problématique de l’ancrage n’est essentielle qu’en tant qu’elle suppose un ensemble de valeurs et de croyances qui rappellent l’existence d’un collectif ou d’une autorité à laquelle il faudra bien un jour rendre des comptes. Loin de se faire l’écho d’une loi morale dont la puissance se devine amplement dans les hésitations, la peur et les réticences qui rongent les protagonistes, le film se place à hauteur de leur regard, fil rouge autrement plus délicat.

Cette manière compréhensive d’accompagner des trajectoires individuelles dans ce qu’elles ont de plus inconfortables et de plus moralement compliqué débouche sur un beau double portrait de femmes dans leur rapport intime et toujours singulier à la maternité. Le lien qui s’établit peu à peu entre Anna et Meriem a ceci de pénétrant qu’il demeure de bout en bout confus, malaisé et réticent. Le talent des actrices Sara Giraudeau et Judith Chemla n’est d’ailleurs pas étranger au sentiment qu’elles dégagent de ne pas savoir elles-mêmes ce qui les porte l’une vers l’autre : l’envie, l’intérêt, la reconnaissance, l’amitié ? L'intensité et la fragilité de leur pacte, parce qu’il ne produit aucun discours, incarne une échappée salutaire hors des polémiques qui occupent la question des droits procréatifs. Une proposition qui s’inscrit dans un mouvement plus général. Certes, l'intérêt du cinéma pour la question de la filiation ne date pas d'hier. Plus récente est l'attention accrue à d'autres facettes de la maternité. On pense par exemple à Petite maman de Céline Sciamma, Piccolo corpo de Laura Samani ou encore Les Enfants des autres de Rebecca Zlotowski.

A l'instar de ces réalisations féminines, Léopold Legrand sollicite la fiction en tant qu’elle peut questionner le réel. Ses choix de mise en scène témoignent du fait que pour lui le suspense est intrinsèquement lié au regard : son film bat et respire au rythme de ses personnages. C’est bien entendu une approche émotionnelle, avec les failles et les invraisemblances qu’implique le fait de garder cette ligne jusqu’au bout pour éclairer le travail des consciences aux prises avec un désir condamnable. En ce qui concerne les choses humaines, une telle approche n’en demeure pas moins une manière juste d’aborder les angles aveugles de la loi et de la morale. Ainsi, autour d’un faisceau d’inégalités impliquant croyances religieuses, classes sociales et capacités physiques, les personnages du film se frottent aux limites du droit et pointent l’endroit précis où, loin de les protéger, de les soutenir et en somme, de les aider à vivre, il ne fait qu’aggraver l’injustice et le malheur.


Le Sixième enfant - Léopold Legrand

France - 2022 - 92 minutes


Texte : Catherine De Poortere

Crédits images : © Cinéart


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Agenda des projections

Sortie en Belgique le 05 octobre 2022

Distribution : Cinéart


En Belgique francophone, le film sera distribué dans les salles suivantes:

Bruxelles : Aventure, UGC Toison d'Or, Stockel

Wallonie : Ath Ecran, Charleroi Quai 10, Habay Le Foyer, Jodoigne l'Etoile, Liège Les Grignoux, Louvain-la-Neuve Cinéscope, Marche-en-Famenne Cinémarche, Mons Plaza-Art, Namur Caméo, Nivelles Ciné4, Rixensart Cinécentre, Tournai Imagix art et essai, Waremme Variétés, Waterloo Wellington

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