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Critique

« La Ruse » [Operation Mincemeat], un film de John Madden

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guerre, Seconde guerre mondiale, espionnage, Winston Churchill, deception, manipulation, Navy

publié le par Yannick Hustache

« Operation Mincemeat » ou le récit presque invraisemblable d’une entreprise d’intoxication stratégique majeure à un moment charnière du second conflit mondial. Une histoire de guerre et d’espionnage dans lesquelles les Britanniques sont passés maîtres. Et pour cause…

Sommaire

À l’assaut de la forteresse Europe !

Début 1943, alors que les Anglo-Américains en sont encore à réduire difficilement les dernières forces de l’Afrika Korps en Afrique du Nord (Tunisie), l’état-major des Alliés, pressé par Staline, examine les différents scénarios envisageables pour remettre un pied au sein de la forteresse Europe tout en évitant un bain de sang. L’option Sicile est rapidement envisagée et à travers elle de sortir au plus vite l’Italie de la guerre et de drainer quelques divisions Allemandes depuis le théâtre d’opération russe vers la Méditerranée où Hitler conserve toujours de solides divisions en réserve sur son pourtour.

Alors que le déclenchement d’Husky (nom de code du débarquement en Sicile) est fixé au 10 juillet, deux officiers des services secrets du Double Cross System ou XX System (une émanation du MI5, chargée de la sécurité intérieure) Anglais vont concevoir et élaborer un plan d’intoxication destiné à faire croire au Grand quartier général des forces germaniques (l'OKW) que les Alliés allait débarquer en Sardaigne, en Grèce ou encore, dans les Balkans.

Le corps du délit

Les deux officiers du renseignement Britanniques, Ewen Montagu (Colin Firth) et Charles Cholmondeley (Matthew Macfadyen) vont être placés sous l’autorité d’un haut gradé de marine, John Henry Godfrey (Jason Isaacs), qui se méfie d’eux et n’a que peu d’égards pour le stratagème élaboré par ces deux officiers singuliers, à la différence d’un Winston Churchill (Simon Russell Beale), qui sait pourtant mieux que personne ce qu’un débarquement raté et sanglant peut signifier comme conséquences (Premier Lord de l’Amirauté durant la guerre de 1914-1918, Churchill, il va être tenu pour responsable de l’échec de l’opération amphibie dans les Dardanelles en 1915-1916) approuve l’audace du plan.

Point d’orgue des habituelles stratégies de « deception » (tromperie) dans lesquelles les services secrets Britanniques sont passés maîtres – déplacements de troupes fictives, création d’une armée fantôme, rumeurs & ordres bidons ébruités à destination des mouvements de résistance locaux et de l'ennemi – Montagu et Chomondeley ont l’idée de déposer un cadavre d’officier anglais munis d’une mallette contenant de faux mais précieux documents le long des côtes espagnoles (le pays dirigé par Franco est neutre durant la guerre mais regorge d’espions des deux camps). Seulement le temps presse, les cadavres d’hommes noyés en âge de porter les armes n’encombrent guère les morgues par temps de guerre et la supercherie, pour être efficace, requiert un scénario crédible, une préparation menée dans le plus grand secret où absolument rien ne peut être laissé au hasard, et chaque détail soupesé sous ses plus infimes implications.

Les deux architectes d’operation Mincemeat (littéralement opération viande hachée) vont réunir autour d’eux une équipe mixte de militaires au CV « littéraire », et ce pour donner corps et crédibilité maximale à la couverture de Glyndwr Michael, dans les faits, un indigent sans famille, décédé d’une pneumonie, et devenu, le « promu » major William Martin des Royal Marines, assigné au Quartier Général des opérations combinées et mort en mer avec de précieux documents relatifs aux futurs débarquements alliés contenus dans une mallette enchainée à son bras. Ainsi d’ailleurs que quelques autres effets personnels dont la (vraie) photo d’une petite amie (fictive) du nom de Pam.

Guerre des nerfs, guerre des cœurs.

Un cliché authentique qui est celui de Jean Leslie (Kelly Macdonald), secrétaire du D.C.S. dont les idées et propositions viennent renforcer la plausibilité du scénario « William Martin » qui doit par ailleurs beaucoup au storytelling d' un jeune officier du renseignement naval et écrivain en herbe à l’imagination fertile, et répondant au nom de Ian Fleming… Une précieuse assistante rapidement au centre d’un triangle sentimental dont les deux autres sommets Cholmondeley/Ewen Montagu sont tenus de collaborer malgré leur relative inimitié/rivalité et les circonstances particulières liées à la nature de leurs engagements. Montagu qui pensait terminer la guerre à un poste peu exposé vient d’envoyer sa femme aux États-Unis (cette dernière étant juive) à un moment où le couple traverse une crise. De plus, Ewen héberge chez lui un frère dilettante dont les facéties (son amour du fromage islandais…) et l’anticonformisme pacifiste le rende suspect de sympathies communistes aux yeux de l’amiral Henry Godfrey, qui charge dès lors Cholmondeley de garder un œil sur lui en échange d’un service. Cadet mal aimé au sein de sa famille, Charles essaie depuis des mois de faire rapatrier le corps de son frère décoré tombé au combat. Il a obtenu une fin de non-recevoir qui « pourrait changer » en fonction « des résultats de Mincemeat » selon l’amiral !

Ici Londres, les Anglais parlent aux Anglais !

Operation Mincemeat (La Ruse) appartient à cette génération récente de films qui reviennent sur les évènements clés ou méconnus du dernier conflit mondial vu du côté Anglais ou Britannique. Des films tels The Darkest Hour (Joseph Wright, 2017), Churchill de Jonathan Teplitzky (2017) ou même le Dunkirk de Christopher Nolan (encore 2017) cristallisés autour de moments charnières et où la décision finale (le succès) l’a été par le fait et l’action de figures connues (Churchill) ou demeurées obscures (dans ce film) en lutte principalement contre la frilosité opérationnelle ou le défaitisme de leur propre camp. Ici aussi, on ne voit que très peu l’ennemi, les Allemands ou les Italiens, et tout le film baigne presque tout le long dans un clair-obscur de fin de journée ou d’aube grisâtre (même la scène du débarquement en Sicile à proprement parler). Mais pourquoi donc les grosses productions d’aujourd’hui même dans l’action fuient-elle à ce point la lumière vive de l’astre du jour ?

Mais pourquoi donc les grosses productions d’aujourd’hui même dans l’action fuient-elle à ce point la lumière vive de l’astre du jour ? — -

On pourrait aussi objecter que Operation Mincemeat (La Ruse) soufre d’anglo-centrisme prononcé. Bien que le film soit également une coproduction américaine, les seuls « yankees » à l’écran sont les simples ploucs G.I. (dont l’un est un soupirant de Leslie), chair à canon d’Husky, comme si les Britanniques occupaient la tête pensante du corps du dispositif et les Américains, les membres… D’autres part, le film, tant dans ses décors de grandes bâtisses londoniennes, de sous-sols secrets et surtout de pubs « So English » à l’ambiance colorée (et jazz) et alcoolisée, que dans ses références de l’ordre du quasi préquel à l’univers futur du plus célèbre agent secret de la planète (on trouve des M et des Q qui testent des gadgets étranges ou meurtriers au sein du service d’espionnage !) accumule les indices trop visibles d’une certaine anglicité historique à succès sur petit et grand écran. On pense aussi à un Colin Firth un rien figé qui semblent avoir investi le corps et les postures nobiliaire de Hugh Bonneville (Robert Crawley dans Downton Abbey) et qui a pour assistante et proche conseillère Penelope Wilton, également au casting de la célèbre série.

Du sel dans le haché ?

Du reste, si le film se regarde sans déplaisir et son intrigue demeure lisible sans que l’on doive en refaire trois fois le scénario pour en saisir toutes les subtilités et bien qu'un ou deux détails de l'opération restent au final non élucidés, il bénéficie d’une seconde partie axée autour du périple agité du cadavre de Martin et de sa mallette vers les autorités allemandes au milieu d’un ballet d’espions et d’indicateurs qui rehausse son rythme dans son tiers final, jusqu’à là un peu pataud. Tout comme arrive le dénouement final et la prévisible réconciliation des opposés, le film est un peu cousu de fil bleu (couleur des uniformes de marine), plaisant mais rarement prenant ni urgent, et porté par des acteurs en (léger) déficit d’incarnation.

Des condiments avec sa viande, quelqu'un?

Texte : Yannick Hustache

Crédits photos : Cinebel, Netflix, Broadway Cinéma, Kinepolis

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Operation Mincemeat de John Madden

  • GB-USA : 2020, distribution Warner Bros.

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