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Des révoltes qui font date #49

1871 // La Commune de Paris

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L’aventure de la Commune de Paris n’a duré que 72 jours et a peu touché le reste de la France. Elle fait pourtant figure de mythe. Sujet sensible pour les uns, embarrassés par son caractère révolutionnaire ultime et la délicate position d’un gouvernement français complice de l’ennemi prussien, objet de vénération et de célébration pour les autres, en particulier au sein du mouvement ouvrier. Le film monumental de Peter Watkins rend hommage à ce formidable mouvement de résistance, d'engagement et de sacrifices, à la fois dans son évocation – les espoirs, les déceptions et la brutalité de sa répression – et dans le processus citoyen mis en place pour le raconter.

Sommaire

Les Événements

Cette histoire commence en 1870. La guerre qui oppose La Prusse à la France, commencée le 19 juillet, provoque la chute du Second Empire, peu de temps après l’annonce de la défaite de Sedan (durant laquelle l’empereur Napoléon III est fait prisonnier). La République est proclamée le 4 septembre 1870 et un gouvernement provisoire est formé. Mais la guerre n’est pas finie pour autant. Des villes françaises sont prises les unes après les autres à l’automne… Quant à Paris, elle est assiégée depuis le 19 septembre et le sera encore pour plusieurs mois…

Depuis le début du siège, des comités de vigilance se sont constitués dans les quartiers et arrondissements de la ville. On y reproche la lenteur, l’indécision et l’inertie du gouvernement provisoire… L’idée de la Commune est déjà dans l’air (mot prestigieux, hérité de la tradition des communes insurrectionnelles de la grande Révolution). Des réformateurs et républicains convaincus (et non les républicains « modérés », incarnés par une bourgeoisie bonapartiste plutôt opportuniste) veulent se désolidariser du gouvernement provisoire plus soucieux de conserver ses privilèges et de produire des canons que de s’inquiéter des conditions de vie du peuple. Les comités de vigilance affirment leurs principes : tous cherchent à obtenir par tous les moyens possibles la suppression des privilèges de la bourgeoisie et l’avènement politique des travailleurs. En un mot : l’égalité sociale.

Durant l’hiver, Paris est plus que jamais isolée et affamée. Le 22 janvier, il y eut encore une tentative pour installer la Commune (après celle de fin octobre) mais elle échoua.

Désireux de pouvoir négocier avec une assemblée dont la légitimité ne pourrait être contestée, les Prussiens, lors de l’armistice du 28 janvier 1871, imposent des élections, qui ont lieu le 8 février. La France est divisée : le monde rural élit des représentants monarchistes ; Paris et les plus grandes villes des représentants républicains. Réunis le 12 février au Grand Théâtre de Bordeaux, l’Assemblée nationale, qui comporte une majorité de monarchistes, élit Adolphe Thiers, un conservateur libéral, et le place à la tête du pouvoir exécutif de la République française.

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Adolphe Thiers (1797-1877)

Le 19 février, Adolphe Thiers part à Versailles pour discuter avec le chancelier impérial Otto von Bismarck des conditions de paix. Il est convenu que 30.000 Prussiens occuperont le quartier des Champs-Élysées du 1er au 3 mars. Des patriotes et des gardes nationaux, craignant qu’on ne leur enlève leurs canons achetés par souscription, les rassemblent sur les hauteurs de Montmartre.

Des mesures impopulaires décidées par la nouvelle assemblée sont mal vécues par les citoyens (notamment la levée du moratoire sur les loyers dans une ville encore assiégée). De plus, la décision de son transfert à Versailles, faisant craindre un retour de la monarchie, est considérée par les Parisiens comme une insulte et accroît le mécontentement lié aux conditions humiliantes de la capitulation.

Durant le mois de mars 1871, des émeutes éclatent à Paris. Les bataillons de la Garde nationale créent une Fédération républicaine dirigée par un Comité central, dont les membres sont élus.

Le 18 mars, Adolphe Thiers veut rétablir l’ordre et désarmer la Garde nationale. Il envoie des troupes de soldats pour prendre le contrôle des arsenaux. Le peuple et les gardes nationaux dressent des barricades. Les soldats renoncent à enlever les canons et fraternisent avec le peuple (une fraternisation initiée par les femmes de Montmartre). Cependant, toujours en alerte, la population et la Garde nationale se mettent à élever des barricades.

Les membres du gouvernement quittent Paris et Adolphe Thiers ordonne le retrait de toutes les troupes sur Versailles.

Le lendemain (19 mars 1871), le Comité central de la Garde nationale, maître de la capitale, décide de ne pas marcher sur Versailles, et d’organiser l’élection, au suffrage universel, d’un conseil municipal.

Le Comité central reçoit plusieurs délégations de grande villes (Lyon, Bordeaux, Marseille, Rouen, etc.) venues savoir quelle était la nature de leur révolution ; ces délégations repartent au plus vite pour aller donner le signal d’un mouvement analogue, qui est préparé partout. L’insurrection gagne de nombreuses villes durant la dernière semaine de mars (jusque début avril pour certaines) mais sera assez rapidement étouffée.

23 mars 1871

L’Association internationale des travailleurs se déclare pour la Commune et appelle les citoyens à voter.

26 mars 1871

Le peuple parisien élit 84 membres du conseil municipal. Les ouvriers et petits patrons sont nombreux parmi les élus restés en fonction ; les révolutionnaires sont majoritaires. Tous se veulent républicains et socialistes bien que les tendances soient diverses : les « jacobins » veulent faire revivre la république centralisée de 1792 ; il y a les « blanquistes » pour lesquels l’essentiel est l’action révolutionnaire et la prise du pouvoir politique ; les « proudhoniens », nombreux en milieu ouvrier et plus soucieux de réformes sociales, pensent que la solidarité ouvrière peut et doit transformer les rapports sociaux.

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Auguste Blanqui (1805-1881), républicain révolutionnaire, arrêté depuis le 17 mars et détenu au secret à la prison de Cahors, est le grand absent de la Commune.

28 mars 1871

Le Comité central de la Garde nationale remet le pouvoir au Conseil municipal qui prend le nom de Commune de Paris. Celle-ci s’organise bientôt en dix commissions, et vote ses premières lois : suspension de la vente des objets déposés au Mont-de-Piété (un système gouvernemental de prêts sur gages qui maintenait la classe ouvrière de l’époque en état d’endettement permanent), protection des locataires, des ouvriers, etc. Bientôt, on procédera à des réquisitions portant sur les biens du clergé, devenant biens nationaux, et on décrètera l’enseignement laïque, gratuit et obligatoire.

2 avril 1871

Adolphe Thiers, soutenu par Otto von Bismarck, a réorganisé son armée et commence à bombarder Paris. Les « Versaillais » encerclent une partie de la capitale française tandis que les Prussiens occupent des forts du nord et de l'est de la ville.

Les communards tentent des sorties mais essuient de lourdes pertes. Des chefs militaires et leurs officiers sont abattus. On parle d’exécutions sommaires. Des discussions s’engagent au sein de la Commune : la conception et la direction des opérations militaires est mise en cause mais ce ne sont pas les seuls problèmes. La Commune essaie tant bien que mal d’organiser les services paralysés par le départ d’un certain nombre de fonctionnaires (venus rejoindre, de gré ou de force, le gouvernement à Versailles).

Pour arrêter la guerre civile, des tentatives de conciliation sont entreprises par diverses associations (notamment des assemblées de maires de France) mais Adolphe Thiers reste inflexible.

À partir du mois de mai, les événements se précipitent en défaveur de la Commune. Les Versaillais s’emparent de plusieurs forts entourant la ville et tirent des bombes à pétrole pour incendier les quartiers. La succession de défaites militaires attise les dissensions entre les membres de la Commune. Un comité de salut public – impopulaire – est institué.

Dimanche 21 mai 1871

Les Versaillais entrent dans Paris. C’est le début de la « Semaine sanglante ». La guerre civile fait rage. Les Versaillais commencent à procéder à des exécutions massives. Dans les jours qui suivent, les exécutions sommaires visent aussi les femmes accusées d’être « pétroleuses ». Les soldats réguliers continuent d’avancer par mouvements tournants. Beaucoup de barricades sont prises entre deux feux et leurs défenseurs fusillés sur place. La dernière barricade est emportée le dimanche 28 mai 1871.

On estime que le nombre des victimes – hommes, femmes et enfants – de la Semaine sanglante est de 25.000 à 30.000 morts.

Dans le mois qui suit, la lutte est terminée mais la répression continue : entre 40.000 et 50.000 personnes sont arrêtées, condamnées à mort ou à la déportation en Nouvelle-Calédonie.


Le Film

Pour évoquer cette période insurrectionnelle qui dura un peu plus de deux mois, Peter Watkins opère une mise en scène déroutante et passionnante, n’hésite pas à dépasser certaines limites des genres (documentaire et fiction), en utilisant un médium « anachronique » censé relayer les faits de l'époque. Fidèle à sa manière si particulière d’envisager un film, Peter Watkins annonce d’emblée son programme : un certain Gerard Watkins se présente au spectateur comme étant un journaliste de la télévision dans un film à la fois sur la Commune de Paris et sur le rôle des mass médias dans la société d’hier et d’aujourd’hui ! Aurélia Petit s’annonce : elle joue le rôle de Blanche Capelier, journaliste de la « Télévision Communale ». C’est quelqu’un qui « aime tellement son métier face à la caméra, qu’elle en oublie de dénoncer et de mettre en cause le pouvoir des médias, ce qu’elle représente entièrement. »

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Aurélia Petit et Gerard Watkins interprétant le rôle des journalistes dans La Commune (Paris 1871)

Pour raconter les événements, il y a donc une télévision « officielle » qui débite des informations lénifiantes, tandis qu’une télévision libre jaillie du Paris insurgé s’efforce de capter la fureur populaire.

Les locaux dans lesquels se joue cette histoire dramatique (une usine désaffectée de Montreuil dans laquelle, cent ans plus tôt, Georges Méliès avait installé ses studios) sont investis par Armand Gatti et sa compagnie La Parole Errante. Cette usine est décorée de manière à recréer l'atmosphère du XIe arrondissement pendant la Commune de Paris.

La journaliste nous invite à imaginer que cette histoire commence le 17 mars 1871...

Les « comédiens » ne sont pas des professionnels ; ce sont des citoyens (habitants des environs) qui, à la suite d'un appel à participation, se sont portés volontaires pour interpréter les rôles. Bien que ces femmes, ces hommes et ces enfants « jouent » des personnages, leur interprétation, face caméra, lorsqu'ils s'adressent à nous, leur donne une attachante proximité, nous reliant quelque part aux « vraies » personnes d'une période révolue, donnant chair à ces « anonymes » de l'histoire.

Par un astucieux anachronisme, en filmant la chronique des événements vécus de l'intérieur par des journalistes de la télévision, le film ne traite pas seulement de ce formidable sujet de manières vivante et contemporaine mais aussi de la crise des mass médias audiovisuels (télévision, cinéma, radio) et porte, indirectement, sur la crise dans l’éducation, notamment l’éducation aux médias (un enjeu majeur qui consiste à apprendre à décortiquer les médias et l’énorme industrie qu’ils représentent). Ce film de près de 6 heures tente d’aborder ces questions, et, par sa forme (notamment de longs plans-séquences d'au moins dix minutes, en suivant la chronologie des événements), essaie de proposer des alternatives aux processus en œuvre dans les médias actuels. En quelque sorte, Peter Watkins invite à s'emparer de ce film comme d'un outil.

Car cette mondialisation, vue à travers les médias, nous implique toutes et tous, et, en premier lieu, les professionnels des médias, les responsables des chaînes et des programmes, les réalisateurs, les producteurs… qui, à de rares exceptions près, sont totalement complices de ce processus autoritaire. Selon le cinéaste, il y a un refus de remettre en cause ce qu’il nomme la « monoforme ». C’est-à-dire la façon de hacher les films en petits bouts ; un découpage rapide ; un matraquage continu de sons ; une caméra en perpétuel mouvement. Il est important d’y voir une forme narrative organisée, qui n’a rien à voir avec la complexité du monde ou la gamme de possibilités du cinéma et de la télévision… en tant que supports de création, d’expressions artistiques ou types de communication.

Le spectateur est entraîné, à travers cette structure narrative mono-linéaire, par un formatage frénétique et manipulateur. Cette « monoforme », employée délibérément, ne nous laisse pas le temps de penser, ni d’espace pour une participation démocratique permettant une remise en cause, un questionnement de notre société de consommation.

La mondialisation, ou le marché néolibéral, a un coût humain très élevé, par négligence, exploitation, déclassement, etc. « Ce système dans nos confortables pays européens est maintenu au pouvoir par les mass médias… propageant sans cesse, encourageant et diffusant sans cesse des incantations pour nous faire adhérer à l’expansion de la société de consommation. De plein de manières, souvent de façon subtile et insidieuse… mais, au vu de notre passivité, de manière très efficace. » - Peter Watkins, in Peter Watkins, Lituanie 2001 (France – 2001 – 32 min) de Peter Watkins, Jean-Pierre Le Nestour et Caroline Lensing-Hebben.

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