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Critique

Amies pour toujours - « Kuessipan », un film de Myriam Verreault (2019)

Kuessipan
Dans « Kuessipan », Myriam Verreault a filmé un portrait sensible et intelligent de deux jeunes filles innues qui suivent des voies différentes, semées d’obstacles. C’est aussi l’histoire de leur attachement à la communauté autochtone et de leur désir d’y échapper.

Le son des vagues, la nuit. Deux points lumineux au loin. Ils se rapprochent progressivement et révèlent les visages de deux fillettes portant des lampes frontales. Elles pêchent des petits poissons au bord de l’eau puis rejoignent la famille de l’une d’entre elles, passant la soirée autour d’un feu de camp, chantant – très faux – quelques mélodies pour amuser la compagnie. Mikuan et Shaniss jurent qu’elles seront amies pour la vie.

On les retrouve quelques années plus tard, elles ont 17 ans. La vie dans la réserve innue (1) d’Uashat, sur la Côte-Nord (à l’est du Canada, au nord du Québec), n’est pas aisée. Dans ce village de pêcheurs aux maisons uniformes, enseveli sous la neige six mois durant, il n’y a pas beaucoup d’opportunités pour les jeunes. Shaniss (Yamie Grégoire) a été confrontée dès son enfance à l’alcoolisme de sa mère et à un père absent. Elle est déjà maman d’une petite fille ; son compagnon, Greg, a du mal à gérer ses émotions et sa colère et il laisse parfois libre cours à son agressivité. Mikuan (Sharon Fontaine-Ishpatao) a grandi dans une famille unie, entre un grand frère joueur de hockey, une petite sœur, des parents aimants et une grand-mère complice. La réserve est trop petite pour elle, elle rêve d’un ailleurs, d’une vie différente et elle s’inscrit à un atelier d’écriture qui lui ouvrira de nouvelles voies. Elle y revoit ce garçon, Francis, qu’elle avait embrassé lors d’une sortie dans un bar, suite à un pari des amis du jeune homme. Leur attirance est mutuelle mais cette relation avec un Blanc éloigne Mikuan de son amie Shaniss, de même que son souhait d’étudier à Québec. L’incompréhension de la vie quotidienne innue par Francis apporte d’ailleurs les quelques éléments comiques de l’histoire.

Le film suit les deux amies pendant quelques mois, de l’automne à l’hiver, partageant leurs joies et les drames, leurs disputes et leurs réconciliations. Il raconte avec beaucoup de sensibilité leurs doutes quant à leur vie future. Shaniss restera dans le petit monde étriqué de la réserve sans trop d’autre perspective que de fonder une famille nombreuse, alors que Mikuan se voit ailleurs.

La réalisatrice canadienne Myriam Verreault s’est inspirée du roman éponyme de Naomi Fontaine, autrice innue née dans la communauté d’Uashat, et les deux femmes ont écrit le scénario ensemble. Verreault a voulu s’imprégner de la culture locale et la préparation du film a duré cinq ans, pendant lesquels elle a multiplié les voyages d’immersion dans la région de la Côte-Nord. Elle souhaitait montrer comment ces communautés étaient encore attachées à certaines traditions, certes en voie de disparition, mais aussi comment elles étaient plongées dans la modernité. Les maisons sont confortables, les supermarchés bien remplis, les téléphones portables omniprésents. Quant aux dialogues, ils sont révélateurs de cette double tendance : les parents et grands-parents parlent innu, les enfants leur répondent en français (québécois), ou dans un mélange des deux. La réalisatrice a choisi comme acteurs des habitants de la réserve ; certains avaient de l’expérience, d’autres pas du tout, et cette proximité renforce le propos, tout particulièrement parce que ces peuples ne sont que rarement représentés au cinéma.

Le film aborde des thèmes universels, mais en parle de manière locale. Il était clairement important pour Myriam Verreault d’évoquer les problèmes des communautés indiennes, encore souvent traités de « sauvages » par les Canadiens blancs (cela provoque d’ailleurs une altercation entre jeunes au début du film) mais certaines de ces grandes questions sont introduites d’une manière un peu artificielle : les discussions sur l’écologie et l’exploitation des terres des autochtones se passent dans une classe, entre élèves et cela ressemble un peu à un discours étudié à l’avance. D’autres sont abordées plus frontalement, dans le déroulement du récit : la pauvreté, l’alcoolisme, les violences conjugales… Ces sujets sont brûlants dans le Canada d’aujourd’hui, à un moment où sont découverts de nombreux corps d’enfants autochtones, inhumés autour de pensionnats où ils ont été emmenés de force pour les transformer en « bons Canadiens ». L’excellent documentaire de Gwenlaouen Le Gouil, Tuer l’Indien dans le cœur de l’enfant diffusé récemment sur Arte (et toujours disponible en VOD) met le doigt sur ces questions. Diverses études montrent également que les femmes autochtones sont bien plus sujettes aux violences conjugales que les Blanches, et que la police a tendance à classer ces affaires sans suite. Ce sont d’ailleurs également des sujets abordés par la chanteuse inuit Tanya Tagaq.

La vie dans une réserve oscille entre deux attitudes, deux sentiments : la notion d’enfermement, de prison et celle des grands espaces. La première domine le film : l’essentiel des scènes se passe à l’intérieur, dans les maisons, dans la cabane au milieu des bois, dans un village dont les limites sont bien définies par la loi. Elles sont entrecoupées par des passages plus libres, à l’extérieur, et la beauté des paysages est à couper le souffle. L’immensité de ces régions s’oppose frontalement à l’exiguïté des enclaves créées par le gouvernement canadien. Et les textes poétiques lus par Mikuan en voix off durant tout le film ajoutent de l’épaisseur, de l’émotion à ces images.


(1) Les Innus (anciennement Montagnais, et à ne pas confondre avec les Inuits) sont un des peuples premiers du Canada, originaires de l’est de la péninsule du Québec-Labrador.



Texte : Anne-Sophie De Sutter

Images : Mooov


Agenda des projections :

Sortie en Belgique le 7 juillet 2021, distribution : Mooov

En Belgique francophone, le film est programmé dans les salles suivantes :

Bruxelles, Le Palace

Bruxelles, Vendôme


Kuessipan de Naomi Fontaine est disponible aux éditions Mémoire d'Encrier, de même que ses autres romans, Shuni et Manikanetish.

Le groupe Kashtin que Mikuan fait écouter à Francis est présent dans les collections de PointCulture, de même que des disques de Claude McKenzie et Florent Vollant. Les disques sont référencés ci-dessous.

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