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Critique

ARMADILLO

publié le

Le genre du film de guerre en tant que film historique est en voie de se faire distancer par le film d’actualité, tourné alors que la guerre est encore en cours et que les enjeux et l’issue des combats sont encore incertains. Ce genre de film a […]

 

 

 

 

Le genre du film de guerre en tant que film historique est en voie de se faire distancer par le film d’actualité, tourné alors que la guerre est encore en cours et que les enjeux et l’issue des combats sont encore incertains. Ce genre de film a longtemps été tabou, et l’on a souvent préféré parler de conflits passés, si récents soit-ils, ou parler de toute autre chose, que de se lancer dans le difficile exercice de présenter objectivement un conflit autour duquel gravitent d’énormes questions morales et politiques autant que stratégiques. L’interdit a bien sûr été entamé par le film de propagande, lorsqu’il était question de profiter de n’importe quelle occasion pour stigmatiser l’adversaire et réclamer la vigilance et la coopération de la population civile ou encore d’user du cinéma comme d’un outil promotionnel pour l’effort de guerre. Les films américains, durant la Seconde Guerre mondiale, se terminaient ainsi généralement par un appel à acheter des war bonds, disponibles dans les salles de cinéma. Quelques réalisateurs se sont toutefois risqués à aborder la guerre en cours dans leurs films, comme Alfred Hitchcock, qui tourna Correspondant17 en 1942, intégrant à son film d’espionnage un message clairement antinazi, se terminant par une tirade véhémente contre les bombardements et la barbarie des forces de l’Axe, appelant l'Amérique à fournir des armes à l'Angleterre. À la même époque, Universal Picture choisira même de déplacer le personnage de Sherlock Holmes, déclaré «immortel», de son époque victorienne à l’Angleterre en guerre pour Sherlock Holmes and the Voice of Terror, tourné en 1942, qui se termine par un vibrant discours patriotique de Basil Rathbone/Sherlock Holmes. Mais ce discours d’unité nationale et d’appel à l’effort et au courage devant les difficultés de la guerre était alors le seul point de vue toléré, le film The Life and Death of Colonel Blimp, tourné en 1943 par Michael Powell et Emeric Pressburger, quoiqu’irréprochablement proanglais, sera ainsi fortement critiqué pour avoir osé inclure le personnage d’un officier allemand « sympathique » (et par ailleurs antinazi). La plupart des studios d’Hollywood refuseront d’aborder le thème de la guerre du Vietnam, à l’exception du film The Green Berets, de John Wayne, qui est un film de propagande un peu lourdaud, financé et soutenu par l’armée et le gouvernement américain, et qui tente de justifier l’intervention des États-Unis dans le Sud-est asiatique. Robert Altman, de son côté, réalisera bien son film M*A*S*H* en pleine guerre du Vietnam, mais le situera, diplomatiquement, en Corée, durant la guerre précédente.

Les conflits actuels, toujours en cours, en Irak et en Afghanistan, ont bien sûr attiré les réalisateurs, qui ont néanmoins longtemps hésité à prendre position, dans un sens ou dans l’autre, au risque de s’aliéner une partie du public s’ils se prononçaient pour ou contre les hostilités. Les documentalistes eux-mêmes ont peu abordé le sujet, autant à cause des risques que comporte le fait de filmer sur le terrain, dans une zone de combats, qu’à cause de la difficulté à réaliser un film objectif, non partisan, sur des campagnes aussi politiques que celles-ci. Suivre les troupes engagées sur le champ de bataille ne peut se faire sans un tant soit peu remettre en question leur engagement dans cette guerre. Il est ainsi malaisé de ne montrer que la partie qui concerne les simples soldats, et ne pas aborder les aspects qui sont du ressort de leur hiérarchie, voire des responsables politiques civils, tous à des milliers de kilomètres de là. Ce sera pourtant souvent l’option choisie, celle qui permettra alors de pointer du doigt les aspects les plus grotesques du conflit à travers la vie quotidienne et le sort de ces soldats. En effet, au-delà de ce qui fait de ces deux campagnes militaires des cas particuliers, la première chose qui ressort de toute tentative de les documenter, est l’absurdité de la guerre, telle qu’elle est vécue au jour le jour par les troupes. Il y a bien sûr beaucoup d’autres conflits absurdes, d'aucuns diront qu’ils le sont tous - sans même avoir à atteindre le niveau de ridicule de la guerre des Malouines - mais le décalage, maintes fois souligné, entre le niveau de maturité et de connaissance des engagés et la réalité du terrain est ici un point capital. Embarqués par devoir plus que par idéal dans un pays dont ils ne parlent pas la langue, dont ils ne comprennent pas la culture et qui les considère comme des envahisseurs étrangers, alors qu’on leur à présenté leur rôle comme étant celui de libérateurs, la situation de ces soldats est assez aberrante. On a par exemple beaucoup montré la dépendance des alliés envers les interprètes, souvent locaux, et rarement neutres dans leurs traductions. Mais le signe le plus marquant de cette absurdité, en contradiction totale avec l’aventure et l’exaltation véhiculées par l’imagerie guerrière, est avant tout l’ennui.

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Armadillo, le film de Janus Metz, ne fait pas exception. Comme l’avaient fait avant lui des fictions telle le très moyen Redacted de Brian De Palma, des séries du type Generation Kill, ou les documentaires Gunner Palace, La section White et Ultime avant-poste, ce qui est mis en avant est l’aspect routinier, puissamment ennuyeux du travail quotidien des soldats. Le réalisateur suit ici deux conscrits d’un contingent danois, Mads et Daniel, dont la première mission est un « tour » de six mois dans la province d’Helmand, en Afghanistan. Leur section est positionnée à Camp Armadillo, sur la ligne de front, où ont lieu de violents accrochages avec les talibans. Nous les suivons depuis leur départ du Danemark jusqu’à la fin de leur mission. Dans l’intervalle, on les voit s’acquitter avec le plus grand sérieux de leurs occupations mi-militaires, mi-humanitaires. Leurs patrouilles se déroulent sans histoires, même si la population se montre peu coopérative. Malgré leurs tentatives de dialogue avec les afghans, les bonbons offerts aux enfants, les dédommagements offerts aux éleveurs et aux fermiers pour compenser les dégâts occasionnés par les combats, un fossé persiste entre eux et la population civile, entraînant méfiance et paranoïa de part et d’autre, et provoquant chez les jeunes soldats une relative désillusion sur l’utilité de leur fonction. Les cinq premiers mois de leur séjour sont ainsi décrits comme totalement dépourvus d’événements. Pas le moindre taliban en vue, pas la moindre échauffourée, leurs seules préoccupations sont d’ordre purement domestique, et se focalisent de plus en plus sur leur plus grand défi, survivre à l’ennui. Dans ce moderne « Désert des Tartares », on les voit tenter d’occuper leurs loisirs en jouant à des jeux vidéo (des jeux de guerre et des shooters en grande majorité) et en regardant des films pornos. Ce manque cruel d’action, ce vide, sera toutefois comblé du jour au lendemain, lorsque brusquement les choses vont s’accélérer, de manière presque disproportionnée. Une escarmouche, un attentat, une route piégée, et une embuscade culminant dans un premier et ultime engagement direct avec les talibans, qui se termine sur une victoire danoise, et cinq « combattants armés » afghans abattus, et le film se termine. Cet écart entre la lenteur accablante des premiers mois et la brusque violence de l’opération est à l’image de ce nouveau type de conflit, et signale sans doute la fin du film de guerre héroïque. Dans cette nouvelle guerre de position, l’ennemi est invisible, mêlé à la population, ou bien embusqué au Pakistan entre deux raids, et les soldats sont eux isolés, perdus en terre irrémédiablement étrangère, sous la menace constante d’une attaque ou d’un attentat. Les rares engagements de cette guerre de harcèlement sont tous de faible envergure, des escarmouches mineures, mais tout aussi mortelles pour autant. Face à cette guérilla, les principales victimes sont les nerfs des soldats, et leurs illusions.

Benoit Deuxant

 

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