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Critique

« Hikikomori : les reclus volontaires ? » de Michaëlle Gagnet

"Hikikomori, les reclus volontaires ?" de Michaëlle Gagnet

télévision, adolescence, France, Japon, santé, Images mentales, solitude, reportage, enfermement, Michaëlle Gagnet

publié le par Emmanuelle Bollen

Musique oppressante, dans un environnement gris-noir. Seuls quelques tapotements de clavier et des volutes de fumée témoignent d’une présence humaine dans un cadre étouffant, souligné par l’omniprésence à l’écran d’images de portes fermées, de panneaux accrochés aux murs, de volets aux lignes horizontales strictes. D’emblée, un sentiment étrange d’enfermement et de temps suspendu s’installent chez le spectateur.

Sommaire

Définition – Hikikomori ou la recherche du cocon de solitude

Depuis deux ans maintenant, nous avons tous vécu des périodes de confinement en raison de la crise pandémique du Covid 19. Chacun.e d'entre nous l'a vécu à sa façon, découvrant souvent qu'il existait dans la population un panel de réactions, de ressources différentes face à cette situation mondialisée. Rien de comparable chez ces jeunes qui restent enfermés volontairement dans leur chambre des mois, voire ... des années!. En France, ils seraient des dizaines de milliers, beaucoup plus au Japon, à déserter volontairement toute vie sociale, scolaire ou professionnelle, d'où le terme "Hikikomori" du japonais signifiant "se cloîtrer". Une forte dévalorisation de soi, pas de préoccupation face à l’avenir, un désintérêt total pour le monde extérieur les caractérisent. Alors, ces ermites des temps modernes passent leur temps à dormir, à s’adonner à des jeux vidéo, à aller sur internet, la nuit et le jour se confondant en un temps linéaire qui ne se termine jamais.

La réalisatrice Michaëlle Gagnet a enquêté auprès de ces jeunes ados et adultes.

Raphaël, vingt-quatre ans, reclus depuis deux ans, a la phobie des autres. Lucas vit en retrait de la société depuis quatre ans. Ils n’ont plus goût à rien, ne sortent plus de leur lit et n’émettent que quelques grognements à peine audibles au travers de leur porte. Ils ne descendent plus pour les repas, ou très rarement, ne se lavent plus. Dans des cas extrêmes, ces jeunes font leur besoin dans une bouteille pour ne pas avoir à sortir de leur chambre. Les parents de Lucas, désemparés, ont fini par l’hospitaliser sous contrainte.

Une énigme pour la psychiatrie

Rien, en apparence, ne semble au départ, démarquer ces ados d'autres jeunes de leur génération . En se penchant plus en avant sur leur parcours, les chercheurs y découvrent que de nombreux facteurs peuvent expliquer ce retrait de toute vie sociale : des troubles du développement, du harcèlement, des événements familiaux traumatiques, la peur d’entrer dans le monde du travail et d’avoir à se soumettre au jugement d’autrui... Ces événements de vie sont souvent les moments fondateurs de leur isolement qui n’est certainement pas un choix, mais un moyen de soulager, d’anesthésier leur mal-être.

Quelles solutions ? Des solutions pour le jeune et l'entourage familial

« La famille, les amis n’osent plus demander des nouvelles, comme s’il n’existait plus »

Marie-Jeanne Guedj est une des premières psychiatres à s'être penchée sur ce comportement mystérieux. Une des premières aussi, à leur rendre visite pour qu’ils gardent contact avec l’extérieur : « Ils n’ont pas disparu du monde des humains », répète-t-elle aux parents désemparés devant cet enfant devenu un étranger, avec qui tout dialogue est impossible « Sommes-nous responsables ? Qu’adviendra-t-il d’eux après notre mort ? Vont-t-ils se suicider » ? s’interrogent ces derniers. Car la réclusion, c’est une souffrance qui s’étend progressivement à toute la famille, souvent jugée à tort comme responsable ou n’apportant pas de réponses adéquates au comportement de leur enfant. « Vous l’avez trop gâté, il faut le secouer ! » Chaque membre de la famille s’isole avec le problème qui en devient un sujet tabou, au risque de faire exploser la famille. C’est la double peine !

Outre des visites à domiciles menées par des psychiatres, des groupes de paroles existent. A l’hôpital ou sur les réseaux sociaux. Aël, reclus depuis quatorze ans dans une cabane dans le jardin de son père, a créé un page Facebook dédiée aux Hikikomori afin de casser leur mauvaise image de « paresseux ».

« Non, ce n’est pas un caprice ! C’est arrivé en BTS. Trop de stress, d’angoisse. Une fois enfermé, c’était la libération. J’étais bien. Mais petit à petit, j’ai glissé vers la souffrance. Je n’avais plus personne avec qui dialoguer, à part mon ordinateur ».

Or, Aël n’est jamais parvenu à exprimer à ses parents les abus sexuels dont il a été victime à l’âge de douze ans… N’arrivant pas à formuler leur désarroi, paralysés par la peur du futur et du monde adulte, de nombreux jeunes, comme Aël, trouvent du réconfort dans ce type de groupe de parole.

Enfin, la visite chez des psychologues, l’hospitalisation offrent également de nombreuses possibilités d’un retour à la normale pour ces jeunes en détresse. Coupés du carcan familial parfois anxiogène, ils trouvent en ces lieux des personnes formées qui prennent le temps de les écouter et de leur redonner confiance en eux, passage essentiel en vue d'une réinsertion réussie. A l’hôpital Saint-Anne, Lucas a retrouvé le goût des interactions sociales et le courage de se défaire d’une éducation familiale extrêmement exigeante.

Et au Japon ?

Le phénomène Hikikomori est apparu au Japon dans les années nonante, avec comme toile de fond la crise économique, le chômage, la pression scolaire et familiale. Ils seraient plus d’un million mais beaucoup échappent aux statistiques.

Un ancien reclus y a fondé l’association « New Start » qui héberge des jeunes à la demande des parents. Ils y apprennent à vivre en communauté, à être solidaires, à redevenir autonomes, à trouver du travail (boulangerie, restaurant). Les résultats sont très encourageants et démontrent qu’une durée de soins de plusieurs mois est souvent nécessaire. Marie-Jeanne Guedj s’y rend chaque année pour s’en inspirer et implanter en France une association similaire.

Cependant, il est à souligner que la culture nippone est différente de la nôtre et davantage propice à engendrer ce type de comportement. En effet, au Japon, l’individu a naturellement tendance à s’effacer devant le groupe, les désirs individuels n’ayant peu ou pas de place. Dès lors, la peur de décevoir les parents en ne suivant pas leur choix (meilleures études, meilleur emploi, meilleure entreprise) est vécu comme une honte sociale, un échec abyssal. D’où l’explosion du phénomène Hikikomori au Japon, en particulier des personnes âgées, enfermées parfois depuis des dizaines d’années ! Ikeida, 57 ans, vit reclus depuis… 34 ans ! Il ne sort qu’à de très rares occasions, souvent la nuit. Sa famille, ses amis l’ont renié.

« Si je suis trop longtemps en contact avec d’autres personnes, je deviens fou ».

Coupés de leurs proches, isolés, ils décèdent souvent dans l'anonymat le plus total. L'odeur de leur corps putréfié, l'accumulation du courrier alertent les voisins. Des sociétés spécialisés se rendent sur place afin de nettoyer les lieux et d'essayer d'identifier la personne décédée.

Conclusion

Cette fuite en avant devant un quotidien devenu oppressant n’est pas une fatalité. De nombreux chercheurs dans le monde entier se penchent maintenant sur la question. « On nous suit, on ne nous lâche plus » témoigne un père très ému devant une assemblée de spécialistes.

La grande force de ce film est de nous éclairer sans tabous sur un mal décidément très mystérieux. Il nous ouvre les yeux sur les exigences parfois démesurées de nos sociétés modernes, au point de s’en abstenir. Et surtout, il nous donne une note d’espoir, à l’instar de cette porte fermée du début du film qui s’entrouvre un peu : un temps de soin et de réinsertion sont essentiels pour un retour progressif à la vie extérieure. Oui, il est possible de reprendre le cours d’une vie normale, même si celle-ci a été mise entre parenthèses pendant quelques années !

Manu Bollen


Projection


Le documentaire est projeté le Jeudi 17 février à 15h dans le cadre des Rencontres images mentales 2022
Espace Delvaux - 3 rue Gratès - 1170 Bruxelles


Pour aller plus loin

podcasts :

La Paresse est l’avenir de l’homme – 4 épisodes d’une trentaine de minute

https://www.franceculture.fr/emissions/series/la-paresse-est-lavenir-de-lhomme; Journal d’un hikikomori, 3 épisodes d’une quinzaine de minute :

https://www.france.tv/slash/hikkikomori/toutes-les-videos/

livre à destination des ados :

« Je suis un Hikikomori » de Florence Aubry, édition Mijade, 2010 : https://www.babelio.com/livres/Aubry-Je-suis-un-Hikikomori/202159

Travaux de la photographe Maïka Elan :
« I Felt Safe Here » : Portraits of Hikikomori people living in Chiba, Japan

Sites, blogs :

https://hikikomori.blog/

https://hikikomori-france.fr/

DVD disponibles chez PointCulture :

Film « De l’autre côté de la porte » de Laurence Thrush, 2008

Film « Tokyo ! » de Joon-ho Bong, Leos Carax, Michel Gondry (troisième volet)

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