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Des révoltes qui font date #32

1984-1986 // La grève des mineurs britanniques / Le "Statement" de Test Department

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En 1981, Margaret Thatcher ordonne la fermeture des mines de charbon britanniques. S’ensuit un démantèlement progressif qui mènera à une grève de près d’un an (entre 1984 et 1985). Ponctuée par des affrontements très violents, la confrontation entre le syndicat des mineurs et le gouvernement prit des allures de guerre civile. Le soutien aux mineurs arriva de toutes parts, parfois de manière inattendue.

Sommaire

Le milieu musical ne fut pas en reste, et parmi les musiciens les plus impliqués se trouve le groupe Test Department. Le collectif sera de tous les combats, jouant avec la chorale des mineurs gallois, invitant le mineur du Kent Alan Sutcliffe sur plusieurs titres, comme le morceau « Statement » où il énumère ses souvenirs récents de brutalité policière durant les assauts des piquets de grève. Des années plus tard la mémoire de ces affrontements est encore très vive, et le groupe a monté en 2014, pour le 30e anniversaire des événements, le spectacle multimédia DS30, utilisant les nombreux films, photos et documents sonores qu’il avait collectés à l’époque.

La grève

À 35 ans de distance, il peut sembler que s’intéresser encore aux grèves des mineurs britanniques de 1984-85 n’est qu’un exercice de nostalgie. Il était pourtant clair à l’époque qu’il ne s’agissait pas de sauver les puits menacés de fermeture ou les emplois des ouvriers, mais d’une offensive plus large du gouvernement Thatcher pour défaire définitivement la gauche britannique. De la même manière qu’elle venait de défaire le parti travailliste dans les urnes, Thatcher comptait mettre un terme définitif à l’opposition de gauche en brisant les syndicats ouvriers, dont le puissant syndicat des mineurs.

Son argument de départ semblait sensé, les mines anglaises étaient en plein déclin, et son idée de restructuration violente plaisait à l’électorat de droite et aux tenants de l’idéologie néolibérale de productivité et de rentabilité. Mais derrière les motifs de façade se trouvait surtout l’idée d’une guerre sociale entre elle et la contestation de son ordre nouveau. Pour gagner ce combat, elle aura recours aux moyens les plus radicaux. On raconte que l’image de la police britannique se transforma alors sans retour, passant de celle du « bobby » sympathique et serviable, à la version brutale qu’on connait aujourd’hui. Son emploi quasi militarisé, les arrestations musclées, les charges à cheval contre les manifestants, comme lors de la célèbre « bataille d’Orgreave » qui opposa 10000 grévistes à 5000 policiers (et sera le sujet d’un excellent film de Jeremy Deller) ont brisé le mythe du policeman bienveillant et son estime auprès de la population.

Outre l’usage politique des forces de l’ordre, les médias ont également été manipulés pour discréditer le mouvement de grève et retourner contre eux l'opinion publique. Les arrestations arbitraires, les faux témoignages et l’usage de « taupes » infiltrées et d’agents provocateurs sont devenus la tactique de base, une forme d’état d’urgence permanent. Jouant à fond son personnage de « dame de fer », Margaret Thatcher va traiter la grève comme elle a traité l’incident des Malouines ou la question de l’IRA, comme une guerre dont elle devait sortir victorieuse, après avoir écrasé définitivement son ennemi.


Le groupe

Le groupe Test Department est originaire du sud de Londres, du côté de New Cross, dans un quartier qui était alors, pré-gentrification, « un gigantesque taudis » selon leurs propres termes. Lancé en 1981, il se compose d’un noyau dur, Graham Cunnington, Paul Jamrozy, Jonathan Toby Burdon, Paul Hines et Angus Farquhar, autour duquel gravitent de très nombreux collaborateurs. Né dans une ambiance post-punk, le groupe a évolué très rapidement en prenant à la lettre l’appellation de « musique industrielle » de l’avant-garde de son époque. Là où les pionniers Throbbing Gristle ou Cabaret Voltaire évoquaient l’imagerie et le son de l’industrie, Test Dept va se plonger plus radicalement dans la matière, adoptant une instrumentation volontairement dépourvue des guitares du rock, et recyclant – comme leurs confrères Einstürzende Neubauten en Allemagne ou Laibach en Slovénie – des barils, des plaques métalliques, des pièces de carrosserie, des instruments de chantier. Ils vont également et surtout adopter une ligne de plus en plus politique et contestataire.

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Leurs concerts vont prendre une dimension de spectacle total, prenant la forme d’événements uniques, dans des lieux inattendus – usines abandonnées, viaducs, dépôts de chemins de fer, châteaux médiévaux – et vont faire intervenir un nombre croissant de collaborateurs et d’éléments extérieurs. Organisées sous le nom de Ministry of Power, ces actions deviendront de plus en plus théâtrales et ambitieuses. Le spectacle The Unacceptable Face of Freedom qui accompagnera le disque du même titre, réalisé dans le dépôt de Bishopsbridge à côté de la gare de Paddington, comportera, entre autres, les sculptures de l’artiste Malcolm Poynter, les chorégraphies de Jacob Marley et la Company of Cracks, un livret/script de Jonathan Moore, des décors de Tom Dixon, une fanfare de cuivres, des interventions pyrotechniques de Ra Ra Zoo, et des visuels réalisés par Jack Balchin, Brett Turnbull et Martine Thoquenne.

Le show comportait aussi les textes déclamés par Alan Sutcliffe, un mineur du Kent qui sera un collaborateur régulier du groupe. Leur rencontre avait eu lieu un an plus tôt lors de la tournée précédente, intitulée Fuel to Fight, et accompagnant l’album Shoulder to Shoulder. Le groupe avait réalisé de nombreux concerts de soutien aux mineurs en grève, levant entre autres des fonds pour le Miners’ Hardship Fund, et intervenant directement dans les usines, sur les piquets de grèves. De cette époque date également leur collaboration avec le South Wales Striking Miners’ Choir.

« Statement »

Un des moments de bravoure du spectacle est « Statement », un morceau où les percussions abandonnent leurs rythmes circulaires lancinants pour adopter une cadence chaotique, infernale, reproduisant le chaos du texte. Alan Sutcliffe y raconte son arrestation lors d’un piquet de grève. 25 mineurs sont encerclés par 150 policiers. Sutcliffe descend des barricades pour tenter de discuter avec le capitaine, la police charge, le plaque au sol. Il tente de résister et les agents le tirent par les pieds, par les cheveux, dans la boue, lui brisent les doigts, le rouent de coups, avant de le jeter dans un fourgon. La musique et le texte sont aussi bruts que la situation est brutale. Les mots sont simples, factuels, scandés dans une escalade de violence. La description de l’arrestation se fond dans celle de l’interrogatoire. La voix de Sutcliffe est couverte par celle des policiers qui le secouent, le gardent cinq heures au cachot puis le rejettent à la rue. Le morceau se termine là, Sutcliffe est devant le poste de police, il rage contre « ces salauds de flics. Qu’est ce qui leur donne le droit de me traiter comme ça ! » et il ajoute « Le combat continue ». The fight goes on.

Benoit Deuxant

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Alan Sutcliffe avec Graham Cunnington de Test Department en 2014
(extrait du blog de
Mark Fisher: Markspectre)


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Un livre sur l'histoire de Test Department, Test Dept Total State Machine, a été publié par Alexei Monroe et Peter Webb, aux éditions PC Press.

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