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Des révoltes qui font date #06

11 avril 1981 // Brixton Riots - émeutes à Brixton

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La liste des émeutes ayant secoué la ville de Londres est longue et ancienne. Les « London Riots » varient grandement en ampleur et en importance. Une constante durant le 20ème siècle a été son contenu à la fois politique et racial. Alors que l’image qu’on en a aujourd’hui est celle de soulèvements populaires dans les quartiers immigrés, plusieurs d’entre elles, comme les émeutes de Notting Hill en 1958, par exemple, étaient des attaques racistes organisées par des bandes d’extrémistes blancs. D’autres ont été déclenchées en réaction à des défilés et des protestations néo-nazies.

Un trait commun à la plupart de ces émeutes est d’avoir eu pour point de départ la dénonciation des abus et des violences attribués à la police britannique. Beaucoup ont fait suite à une « bavure » ou à l’usage excessif et sélectif des contrôles de routine, frappant de manière disproportionnée la population noire. Cette politique répressive, lancée par Margaret Thatcher sous le nom de Operation Swamp 81, a contribué aux tensions qui ont éclaté à Brixton en 1981. Entre le 10 et le 12 avril, un malentendu a déclenché des affrontements violents entre la police et plusieurs centaines de jeunes du quartier.

Lorsqu’il publie son premier album en 1978, Linton Kwesi Johnson est déjà un écrivain et un journaliste confirmé. Il s’est construit un style percutant, mêlant l’usage du patois jamaïcain et un regard très critique sur les relations entre les communautés dans l’Angleterre thatchérienne. Lui aussi accusera la police, et traitera notamment d’assassins le tristement célèbre « Special Patrol Group » mis sur pied par la Metropolitan Police de Londres pour maintenir l’ordre dans les quartiers pauvres et immigrés. Les textes de LKJ, mis en musique par le producteur Denis Bovell, font écho à ses articles et à ses poèmes, et sont des dénonciations des injustices et du racisme ordinaire du pays.

D'album en album, il aborde de front des cas comme celui de George Lindo, ouvrier jamaïcain accusé à tort d’un cambriolage (« It Dread Inna England – for George Lindo »), du massacre de New Cross, des troubles du Carnaval de Notting Hill en 1976, de l’emprisonnement de son collègue de Race Today, Darkus Howe, ou encore de l’assassinat du militant antiraciste Clement Blair Peach. On considère généralement que le morceau « All Wi Doin’ Is Defendin' » de son premier disque Dread Beat and Blood, prophétise, trois ans à l’avance, les émeutes de Brixton. Mais ce n’est qu’en 1983 qu’il écrira une chanson traitant directement du sujet: « Di Great Insohreckshan », sur son album Making History.

Dès les premières phrases, sa position est claire, le harcèlement constant de la police a créé une situation de tension explosive qui ne pouvait qu’éclater :

Linton Kwesi Johnson - Di Great Insohreckshan

It woz in April nineteen eighty-wan
Doun inna di ghetto af Brixtan
Dat di babylan dem cause such a frickshan
An it bring about a great insohreckshan
An it spread all ovah di naeshan
It woz a truly an histarical okayjan


It woz event af di year
An I wish I ad been dere
Wen wi run riot all ovah Brixtan
Wen wi mash-up plenty police van
Wen wi mash-up di wicked wan plan
Wen wi mash-up di Swamp Eighty-wan
Fi wha?
Fi mek di rulah dem andahstan
Dat wi naw tek noh more a dem oppreshan


An wen mi ckeck out
Di ghetto grapevine
Fi fine out all I coulda fine
Evry rebel jussa revel in dem story
Dem a taak bout di powah an di glory
Dem a taak bout di burnin an di lootin
Dem a taak bout smashin an di grabbin
Dem a tell mi bout di vanquish an di victri


Dem seh: di babylan dem went too far
Soh wha?
Wi ad woz fi bun two kyar
An wan an two innocent ge mar
But wha?
Noh soh it goh sometime inna war
Een star
Noh soh it goh sometime inna war


Dem seh: win bun dung di George
Wi coulda bin di lanlaad
Wi bun dung di George
Wi nevah bun di lanlaad
Wen wi run riot all ovah Brixtan
Wen wi mash-up plenty police van
Wen wi mash-up di wicked wan plan
Wen wi mash-up di Swamp Eighty-wan

Dem seh: wi commandeer kyar
An wi ghaddah aminishan
Wi buil wi barricade
An di wicked ketch afraid
Wi sen out wi scout
Fi goh fine dem whereabout
Sen wi faam-up wi passi
An wi mek wi raid


Ow dem run gaan
Goh plancountah-hackshan
But di plastic bullit
An di waatah canon
Will bring a blam-blam
Will bring a blam-blam
Nevah mine Scarman
Will bring a blam-blam

Pour lui, il s’agissait d’une « occasion historique » pour faire comprendre aux autorités que la population ne pouvait plus supporter l’oppression dont elle était victime. Il célèbre l’enthousiasme des émeutiers et contraste le portrait qui est fait d’eux par la police et la presse avec la juste colère de leur rébellion. Comme lors de toutes les émeutes, le quartier a été le théâtre de scènes de pillage, de violence et de dégradation. Outre les dommages humains, 299 policiers et 65 civils blessés, les dégâts matériels ont été très lourds : 117 véhicules incendiés, dont 56 voitures de police, 145 établissements commerciaux endommagés, dont 28 incendiés. S’il ne cautionne pas ces destructions, LKJ refuse de mettre cette violence sur un même plan que les abus à l’origine des tensions. Pour lui le pire a été évité : il n’y a pas eu de morts. La situation avait débordé en un état de guerre dans lequel ces dommages étaient inévitables. La confrontation violente était nécessaire pour demander, ou plutôt réclamer, la fin du racisme institutionnalisé de la police, et le harcèlement constant de la population noire.

Ce combat, et la lutte contre la ségrégation et l’inégalité sociale qui l’accompagne, ne s’est pas arrêté là et les réponses qui ont été données par la suite n’ont toujours pas satisfait les revendications de cette époque. Aux années d’oppression thatchérienne et aux menaces du National Front, ont succédé la politique insidieuse et destructrice d’« environnement hostile » lancée par Theresa May. Le rapport de Lord Scarman, commandité en 1981 par le gouvernement, reconnaissait les excès de la politique de contrôles de routine ; notamment la procédure de « stop and search » – qui permettait à la police d’interpeler en rue et de fouiller toute personne qu’elle trouvait suspecte –, accusée d’être appliquée « au faciès ». Lord Scarman a toutefois refusé de conclure à un racisme inhérent à la police et aux institutions britanniques. Il choisissait de pointer du doigt avant tout et uniquement les inégalités sociales. Margaret Thatcher balaiera même cette explication, considérant que « rien ne pouvait justifier le désordre ».

En 1999, un rapport différent, le Macpherson Report, rédigé à la suite d’une autre émeute, déclenchée cette année-là par l’assassinat raciste de Stephen Lawrence, contredira les conclusions de Lord Scarman, montrant l’existence d’un fond raciste au sein de la police et soulignant l’absence de progrès faits depuis 1981. Même les timides recommandations du rapport Scarman n’avaient pas été mises en application. Aujourd’hui, la question est à nouveau portée à l’avant-plan par les retombées en Angleterre du mouvement Black Lives Matter, mais le gouvernement conservateur a choisi de poursuivre dans la voie du déni. La ministre de l’Intérieur Priti Patel a publiquement nié toute trace de racisme systémique dans la police, ou de racisme institutionnalisé dans le pays, en donnant pour preuve son propre trajet d’enfant d’émigrés indo-ougandais.

C'est à la lumière de tout cela que le texte de Linton Kwesi Johnson est important. Il refuse la vision des Brixton Riots comme étant juste une émeute, un débordement incontrôlé. Il refuse la vision d’une foule en désordre provoquant des dégâts matériels. Le choix des termes est politique et, s’il décrit les événements comme une insurrection, c’est pour souligner qu’ils étaient avant tout une réponse à une situation d’oppression politique, économique, sociale et raciste.

Benoit Deuxant



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