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Critique

A l'ombre des garçons en fleurs, « Close » de Lukas Dhont

Photo_1_CLOSE©Kris DEWITTE_Menuet.jpg

adolescence, cinéma belge, Lukas Dhont, romance, cinéma en salles, LGBTQI+, Eden Dambrine, Gustav De Waele, drame

publié le par Catherine De Poortere

En l’espace de deux films, le réalisateur belge de 31 ans est devenu la voix d’expériences singulières qui racontent la difficulté de grandir en dehors des sentiers balisés du genre.

Sommaire

À la campagne parmi les fleurs, Léo et Rémi passent des vacances de rêve. Inséparables, ils se connaissent depuis toujours. Leurs jeux ne ressemblent pas à ceux des autres garçons. Léo dessine, invente des histoires, Rémi joue du violon. La compétition, les défis qu’on se lance pour dire qui est le plus fort, ça ne les intéresse pas. Ce qu’ils aiment, dans les aventures qu’ils imaginent, c’est à se soutenir, s’encourager, traverser les épreuves ensemble.

Ils ont douze ans. Leur amitié doit encore tout à l'enfance. Elle est d'une intensité qui n'a rien de conscient, d'une tendresse qui n'a rien de sexuel, n’ayant pour objet que la réitération, infiniment nécessaire, d’un attachement qui, lui, est vital.

A la rentrée, dans une nouvelle école, un tel rapport de familiarité entre les garçons ne passe pas inaperçu. Pendant la pause, allongés dans l’herbe, la tête de Remi repose sur le ventre de Léo. Les autres s’interrogent. Vous êtes ensemble ? En couple ? Meilleurs amis ++ ? Rien de bien méchant, juste des petites remarques, l'habituelle curiosité des milieux où l'on se surveille. Sur le coup, Léo répond, il n’y a rien d’anormal, ils sont amis, voilà tout. Mais son attitude change. Il se met à éviter Rémi, rentre seul chez lui le soir, n’attend plus son ami le matin, s’inscrit à un cours de hockey sans le lui dire montrant, par là et de mille manières insidieuses, que désormais il lui préfère la compagnie des autres.

Jeunesse de la lumière

L'histoire de Rémi et Léo se raconte aussi par les paysages qu'ils traversent. Le tableau idyllique d’un été ensoleillé auquel succède la terre laissée nue pour l’hiver, la froideur grise d'une cour d'école et enfin la surface lisse et glacée d'un terrain de hockey sont du papier scolaire où l'on tente de saisir sous une lumière juvénile, douce et légère, des émotions fortes, et vieilles, et lourdes.

Dans la continuité de Girl (Caméra d’Or à Cannes en 2018), qui décrivait le parcours de Lara, 15 ans, née garçon aspirant à devenir danseuse étoile, Close se saisit de l’adolescence comme d’un point de fracture où le corps, en parlant davantage au monde extérieur qu’à soi-même, joue le rôle du traitre.

La véritable violence dont parle Lukas Dhont, dans Girl comme dans Close, jaillit d’un conflit intérieur. Bien que sa source soit les jugements et les on dit autour de de la sexualité qui fusent à l’adolescence, le conflit se dérobe aux regards. Par une approche plus sensible que psychologique, Lukas Dhont évacue de son scénario tout ce qui de près ou de loin pourrait donner du grain à moudre au débat sociétal. Son sujet est l’angoisse propre à l’éveil du désir chez ceux qui vivent une histoire d’amour autant que chez ceux qui n’en sont que les témoins. S’en sortir implique une forme d’affirmation qui va, dans le film, se chercher du côté des codes masculins. Le hockey, pour Léo, va ainsi incarner la possibilité de revêtir une armure, de se couler dans des gestes qui imitent la puissance et l’assurance. On s’en doute, ce ne sera pas la voie que se choisira Remi.

Ce qui ne se voit pas

L’attitude compréhensive des parents, que ce soit le père de Lara ou ceux de Remi et Léo, donne une idée juste de la position de réserve et d’empathie que le cinéaste entend tenir à l’égard du drame qu’il met en scène.

Dès lors, même si le film trouve sa forme dans un classicisme taillé pour les larmes, l’intimité entre deux garçons, le malaise et la distance qui s’installe brutalement entre eux sont des contenus qui eux n’appartiennent pas aux schémas narratifs habituels. En filmant les corps, leur façon de se mouvoir, d’occuper l’espace, Lukas Dhont habille le récit de données sensibles et concrètes qui, pour des garçons de 13 ans, produisent des images rares.

Ce choix de montrer ce que d’habitude on ne montre pas, le cinéaste le doit à Céline Sciamma. A cet égard, la réalisatrice du Portrait de la jeune fille en feu représente une influence majeure pour son travail sur les « oublis » qui jalonnent l'histoire des représentations dans l'iconographie occidentale.

La honte

Le film ne se contente pas de prendre acte de l'échec d'une relation au cap de la puberté, il en raconte longuement l'impossible dépassement. L'ambivalence du titre n'est pas fortuite. Le rapport d'intimité (close / proche) dont le prologue estival dresse le portrait paradisiaque se referme (close / fermer) dans sa confrontation avec l'environnement scolaire.

Quoique fort proche pour son côté romance d'apprentissage de Call Me by Your Name de Luca Guandanino, œuvre désormais culte qui explorait à part égale adolescence et homosexualité, le film de Lukas Dhont sort ses personnages de l'espace domestique et des plaines fleuries de l'été. Le moment où l'individu s'ouvre au monde signe ici la fin de l'amour fusionnel. Un phénomène inverse peut se produire dans les conditions de captivité : "Que reste-t-il à l'individu incarcéré, sinon les relations sentimentales et charnelles qu'il tisse avec ceux qui constituent désormais l'horizon indépassable de son nouvel environnement ? " se demandait-on dans un article précédemment publié dans ces pages ?

De ce point de vue, force est de reconnaître que le devenir des sentiments dépend aussi du cadre dans lequel ils se déploient. Là réside sans doute le sous-texte politique de Close : à l'origine de la rupture entre Rémi et Léo, il y a la honte. Celle-ci naissant de la compréhension instinctive, devant les remarques insidieuses, de ce qu'il y a d'inconvenant, pour deux garçons, à entretenir une intimité. La vie sentimentale qui vous met dans des cases, avant même de savoir qui on est, ce qu'on veut, de connaître son propre désir. A cet égard, le milieu scolaire n'est que le reflet de la société.


Close - Lukas Dhont

Belgique, France - 2022 - 1h45

Distribué en Belgique par Lumière

Grand Prix du Festival de Cannes 2022


Texte : Catherine De Poortere

Crédits images : © Lumière


Sortie en salles en Belgique le 02 novembre 2022

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