Compte Search Menu

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l’utilisation de cookies permettant d’améliorer le contenu de notre site, la réalisation de statistiques de visites, le choix de vos préférences et/ou la gestion de votre compte utilisateur. En savoir plus

Accepter
Critique

INSIDE JOB - Blu-Ray

publié le

Scénarisé et à la manière d’un hold-up permanent, Inside Job revient sur les lieux, faits, acteurs, et sur le comment de la crise financière mondiale de 2008. Moralité : très bien connus des services, les malfaiteurs courent toujours et opèrent en […]

 

 

Scénarisé et à la manière d’un hold-up permanent, Inside Job revient sur les lieux, faits, acteurs, et sur le comment de la crise financière mondiale de 2008. Moralité : très bien connus des services, les malfaiteurs courent toujours et opèrent en toute impunité, feignant parfois la discrétion, minimisant leurs responsabilités ou plaidant leur innocence, tout en laissant de temps à autre paraître l’esquisse d’un regret. Pour mieux palper l’écume de la prochaine bulle spéculative anticipant la très probable récession programmée de l’économie mondiale ?

Et, parce que la sinistre farce pourrait passer pour plus énorme encore qu’elle ne l’est, Charles Ferguson, réalisateur du documentaire, part de l’exemple islandais. Un pays qui, à l’aube du présent millénaire, présente un bilan économique, social et environnemental excellent sous tous rapports: niveau de vie élevé, chômage faible, dette publique insignifiante, industrie performante et peu polluante, environnement préservé… Puis avec l’aval des autorités publiques locales qui vont organiser leur dérégulation, les principales banques islandaises vont avidement se lancer à l’assaut des parts exponentielles du gâteau promis par une spéculation financière revigorée et dopée, à la fois par l’apparition et le développement d’une série de produits financiers nouveaux ainsi que sous l’action soutenue d’une ribambelle d’intervenants et d’intermédiaires ayant un pouvoir de décision (et de prescription) inouï, dans un espace de jeu économique « presque » libéré de toute entrave ! Résultat : en 2008, l’État islandais se voit contraint de reprendre le contrôle de « ses » banques dont l’endettement dépasse de plusieurs fois le PIB du pays…

Filmé au pas de course et composé d’une alternance serrée d’interviews (parfois sinistrement drôles), de séquences d’archives et d’actualités et de schémas explicatifs (le complexe ordonnancement des nouvelles chaînes spéculatives) Inside Job, dont la narration est assurée par Matt Damon (le doc ne propose pas de version française) se visionne comme le film d’une catastrophe annoncée, comme un thriller où les « méchants » gagnent à la fin et où les gentils (un ouvrier chinois sans emploi, un travailleur américain vivant depuis peu dans un camp de toile, des expropriés latinos…) n’ont plus que leurs larmes pour pleurer !

ij

Pour les besoins de sa démonstration, Ferguson remonte aux racines du mal, la crise de 1929, et aux remèdes appliqués qui prévinrent, quelques décennies durant, le monde du danger d’une récession majeure et maintinrent les bourses dans leur rôle d’origine; à savoir répondre aux besoins de financement de l’économie. L’étanchéité entre banques de dépôt et d’affaires fut instaurée comme une loi inviolable et le système encadré par la création (ou la réaffirmation) d’instances de régulation et la mise en place d’une plus grande réglementation des marchés.

Mais dès les années 1980, l’arrivée au pouvoir de Ronald Reagan (républicain, US) et de Margaret Thatcher (conservateur, GB), qui mirent en œuvre les préceptes du monétarisme de Friedman et de l’école Chicago, fit de la déréglementation l’un des chevaux de bataille de leur politique économique. Banques et assurances purent à nouveau se confondre, les limitations entre banques de dépôt et d’affaires s’estomperont une à une tandis qu’elles croissent rapidement en taille et en volume. Spéculation et couverture du risque (de change ou du crédit) deviennent les activités principales d’un secteur bancaire à la fois innovant et imaginatif – et s’appuyant largement sur les opportunités offertes par les derniers développements technologiques, mathématiques et informatiques –  par ailleurs entraîné dans un mouvement de concentration sans précédent, et caractérisé par de nouveaux us et coutumes. On commence à évoquer les rémunérations des hauts cadres en termes de « bonus » et à inventorier un glossaire d’acronymes et de néologismes financiers promis à un beau développement. L’un des plus célèbres d’entre eux, Hedge Fund (traduction complexe de « fond de couverture ») date de cette époque.

Mais, ni les changements de majorité à la Maison Blanche (les démocrates sous Bill Clinton ont dérégulé avec le même allant) ni les crises financières successives (1987, 2000/2001, résultantes de l’éclatement de la bulle Internet) n’ont infléchi le mouvement. En quelques années c’est un florilège de produits financiers dérivés (peu ou pas soumis à réglementation) d’une extraordinaire complexité qui est devenu le moteur d’une économie financière où la spéculation est une pratique quasi normative. Au rang de ces « néo-barbarismes », fruits d’une ingénierie économique presque incompréhensible au commun des mortels; Subprimes (prêts à risque), CDS (credit default swap ou couverture de défaillance), CDO (collaterized debt obligation ou obligation adossée à des actifs) ou ventes à découvert… vont nourrir une bulle spéculative sans précédent qui éclatera en octobre 2008, avec en point d’orgue la faillite de la banque d’affaires Lehman Brothers que l’État américain refusera de renflouer.

Et c’est tout un système de collusion/relais/impunité de proverbiale avidité qu’ausculte Inside Job. Comment un système échappant à tout contrôle, mais soumis à une obligation de croissance illimitée et fondé sur une utilisation et circulation quasi mathématique (recours fréquents aux chaînes de Ponzi) du crédit (ex: un prêt hypothécaire sera dû aux multiples maillons d’une longue chaîne de crédits…), organise, sans l’ombre d’une quelconque « raideur moral e», sa propre et effrénée expansion au bénéfice de quelques-uns (bonus pour les gagnants, parachutes « dorés » pour les… malchanceux) et aux coûts supportés par la collectivité. Qu’on se rappelle que, dans la foulée du krach, chaque pays occidental ou presque y est allé de son propre plan de sauvetage de banque… Avant de devoir faire face aux conséquences « concrètes » de la crise économique qui a inévitablement suivi dans la foulée.

Un système où les principaux protagonistes n’ont cessé de faire la navette entre les très confortables sièges des conseils d’administration de ces élèves zélés de la nouvelle économie financière et les cabinets des plus hautes instances politiques d’où ils vont vaillamment batailler pour que le petit jeu à sommes positives perdure le plus longtemps possible. Un jeu de bonimenteurs aussi : des agences de notation (tiens tiens!) attribuent un triple A à des crédits qu’elles n’ignorent pas être toxiques ou encore, les cadres d’une banque d’affaires qui jouent (parient) sur l’effondrement programmé de la machinerie qui les nourrit… Et, outre la puissance du lobbying de Wall Street (qui se chiffre en milliards de dollars), cette spéculation du millénaire naissant aura pu s’appuyer sur la caution intellectuelle et les conseils avisés offerts par quelques sommités universitaires dans les domaines correspondants. Tandis que tous les organismes comme la S.EC. (Securities and Exchange Commission) censés contrôler, maintenir une certaine régulation et garantir les conditions d’une vraie concurrence (comme empêcher la constitution de monopoles) du système ont fait preuve d’une inquiétante apathie, voire parfois de somnolence.

Inside Job prend presque une tournure comique lorsque Ferguson tente de placer les intervenants face à leurs propres contradictions après la débandade boursière de 2008. Les réactions partent dans tous les sens; depuis les trous de mémoire et bégaiements de Frederic Mishkin, conseiller à la Réserve Fédérale en 2008, qui réintègre promptement la business school de Columbia pour superviser les modifications d’un manuel scolaire, ou encore Glenn Hubbard, éminence grise de la politique économique de Bush père et fils qui très tôt dans l’interview, coupe court à l’entretien…

On (ré)entendra aussi la voix des rares économistes qui prophétisèrent la catastrophe et furent jugés tels des Cassandre pisse-froid, on jaugera avec recul les bonnes intentions européennes pas toujours suivies d’effets et les discours ambivalents des représentants des grands organismes internationaux (C. Lagarde pour la France, D.S.K. pour le F.M.I.) et le peu d’avancées concrètes de l’administration Obama dans les réformes promises du système financier, confiées à quelques anciens et ardents supporters (Bernanke, Geithner..) du marmoréen mécanisme ici décrié !

Une indignation qui confine parfois à des considérations morales un peu étranges tant Ferguson semble condamner avec une même force la cupidité intrinsèque d’un modèle économique qui a encore de beaux jours devant lui, que le recours ponctuel à des services de prostitution ou à la prise régulière de cocaïne par certains de ses acteurs (!). Tout ceci pour terminer son film sur une bien curieuse maxime placée à la suite d’un (très) rapide panorama des vrais perdants du système (expulsés, chômeurs…) : « Il y a des choses qui valent une bataille ». Un ultime paradoxe ? Un de plus !

Yannick Hustache

 

index

 

Classé dans