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Critique

CALLE SANTA FE

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La Calle Santa Fe, de Carmen Castillo, est un document sur le souvenir, sur l’impossibilité du souvenir. En 1974, Carmen Castillo doit fuir le Chili. Son compagnon, Miguel Enriquez, chef de la résistance au régime dictatorial de Pinochet, vient de […]

Calle Santa FeLa Calle Santa Fe, de Carmen Castillo, est un document sur le souvenir, sur l’impossibilité du souvenir. En 1974, Carmen Castillo doit fuir le Chili. Son compagnon, Miguel Enriquez, chef de la résistance au régime dictatorial de Pinochet, vient de trouver la mort dans une descente de la Dina, la police secrète, la « gestapo de Pinochet ». Elle-même n’a pu leur échapper que de justesse, se réfugiant, blessée, dans un hôpital qui refusera de la livrer aux autorités. Elle est extradée dès sa guérison et vivra ensuite en Europe, jusqu’à ce que, bien des années plus tard, la situation lui permette de retourner au Chili. Ce retour sera l’occasion de retrouver des anciens compagnons d’armes, ainsi que des témoins de l’attaque, rue Santa Fe, qui coûta la vie à Enriquez et failli lui coûter la sienne. L'opportunité de retrouver le Chili et de constater l’héritage de vingt-cinq années de dictature. Certains de ces anciens du MIR, le mouvement que dirigeait Enriquez, sont restés au Chili, ou rentrés lors d’un programme du parti organisant le retour des exilés à la lutte dans la clandestinité. Castillo, elle, fut alors considérée trop émotionnellement instable pour rentrer. C’est donc d’Europe, de Paris, qu’elle suivra les dernières années de la dictature, la reformation de la résistance, les nouveaux combats, et plus tard, la fin du régime.

Et de fait, le point de vue qu’elle développe dans son film est très européen, très en retrait, expatrié. Critique ou autocritique, il est rempli de doutes et de prises de recul. Castillo s’interroge sur la nécessité de « tout ça », la poursuite de la lutte, la militarisation du MIR, la clandestinité. Elle met en balance les victimes de la dictature, les exils forcés, les enfants séparés de leurs parents par un départ, ou par un retour clandestin au pays. Elle se demande si « tout ça » valait la peine, si Enriquez lui-même n’est pas mort pour rien. Le pays qu’elle retrouve n’a qu’une vague ressemblance avec ses souvenirs, il a changé, bien sûr, mais surtout et elle s’en rend compte, son exil les a fait évoluer séparément. On lui fait même remarquer qu’elle ressasse sur le Chili les idées fausses qui ont court à l’étranger, en Europe, qu’elle ne peut pas comprendre. Comment pourrait-elle comprendre, elle, la nécessité du combat, du fond de son déracinement? Comment pourrait-elle comprendre la dureté de la dictature et le devoir de s’y opposer, par la force, au risque de sa vie ? C’est pourquoi elle préfère donner la parole aux militants, aux parents de militants tombés au combat, ou de « disparus » escamotés par la Dina. Et c’est alors un discours qu’elle a du mal à admettre, celui du sacrifice nécessaire, accepté, celui des morts dont on est fier. C’est celui de la glorification des héros morts, comme Miguel Enriquez, canonisé dans l’imaginaire révolutionnaire, et dont la représentation est omniprésente dans les milieux de gauche chilien.

 

Carmen CastilloLe film au fond ne parle que de cela, la confrontation entre sa réalité, ses souvenirs, et la légende. Il est une lutte perpétuelle, irréconciliée, entre l’histoire personnelle et l’histoire collective. La lutte a besoin de héros et de figures justifiant le sacrifice. Carmen Castillo, elle, se confronte à son propre poster révolutionnaire et n’y retrouve que des doutes. Elle n’y retrouve qu’un combat inachevé, une lutte entamée en 1973 qu’elle n’a pu terminer alors et qu’elle ne pourra jamais terminer. Ce sont les autres qui ont eu cette chance, les morts comme les vivants. Elle sait, en retournant au pays, qu’elle ne retrouvera jamais sa place dans cette histoire-là.

BD

 

 

Selec

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