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Critique

« Black Phone », un film de Scott Derrickson (2021)

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Dans une banlieue américaine de la fin des années 1970, des ados disparaissent les uns après les autres. Ainé d’une famille à problèmes, Finney se fait kidnapper à son tour et se retrouve séquestré dans un sous-sol insonorisé par un être masqué. À la nuit tombée, le vieux téléphone mural se met à sonner !

Sommaire

Tendre banlieue

1978, l’hiver tire à sa fin dans cette banlieue de l’État de Colorado comme les autres. Les gamins vont en cours, font du sport (du baseball), trainent entre potes et copines, puis finissent par rentrer à la maison. Pour Finney Shaw (très bon Mason Thames) , un gamin gracile mais décidé de 13 ans, la vie n’est pas aussi insouciante et « cool » qu’elle devrait être. Pris entre les passages à tabac réguliers des trois petites terreurs du lycée qui l’ont ajouté à leur tableau de chasse, et les coups de ceinture d’un père (le revenant Jeremy Davies) qui noie son désœuvrement (sa femme s’est donnée la mort) dans l’alcool et les jérémiades éplorées, Finn’ essaie de se rendre la vie plus facile. Lui et sa sœur Gwen (incroyable Madeleine McGraw) partagent une très forte complicité (et un même attachement à leur mère disparue), et Finn' sait en outre se faire apprécier des gens de son âge et tente d’attirer l’attention de l’une de ses copines de classe. Or, dans les dernières semaines, plusieurs jeunes gens ont soudainement disparu, même son copain « protecteur » pourtant balèze en karaté, semble s’être évaporé, et leurs portraits tapissent maintenant rues et quartiers, entretenant un profond sentiment de malaise et de peur. La rumeur court qu’on aurait aperçu une fourgonnette noire parcourant le quartier ainsi que ci et là, d’étranges grappes de ballons sombres et sans marquage. Ce Véhicule, Finn' le voit arrêté sur le bord d’un chemin, un mystérieux personnage masqué se proclamant artiste de spectacle lui quémandant son aide dans un numéro de présentation chaotique…

The green Room

Et Finn' de se réveiller dans le sous-seul insonorisé et désolé d’une maisonnée. Une cave sous-terraine séparée du reste de l’habitation par une porte blindée, presque vide de tout, à l’exception d’un vieux WC dans un recoin attenant, d’un matelas frustre et d’un vieux téléphone même pas branché. Son kidnappeur, toujours affublé d’un masque de démon souriant lui rend de rares visites en soufflant le chaud et le froid. À la nuit tombée, et alors que son ravisseur semble avoir oublié de verrouiller la serrure de porte métallique, l'antique sonnerie de l’appareil retentit…

Au-dehors, la police complètement enlisée dans son enquête et en vient à consulter Gwen dont les rêves prémonitoires semblent recéler quelques indices troublants. Et le temps presse !

Eux et nous !

Natif de Denver, la carrière de Scott Derrickson est toute entière liée à l’univers du fantastique et de l’horreur. Le succès de deux de ses précédents films - L'Exorcisme d'Emily Rose (2005) et Sinister (2012) ont convaincu La Marvel de lui confier la réalisation du premier Doctor Strange (2016).

Black Phone est également l’adaptation d’une nouvelle de Joe Hill (Le téléphone noir) qui n’est d’autres que le fils de Stephen King (par ailleurs très critiqué pour ses qualités littéraires) dont l’influence sur ce film est plus que prégnante, mais parfaitement assumée. L’une des dernières scènes de Black Phone fait explicitement référence dans ses habillages vestimentaires et sa météo à un moment clé du film/livre It (ÇA). On y retrouve les mêmes histoires de pré-ados de banlieues anonymes (et pas fortunées) devant faire face à leurs plus profondes terreurs, et/ou affronter le croquemitaine, en ne pouvant compter que sur eux-mêmes. Vivant au sein de familles éclatées ou sous l’autorité de parents démissionnaires et/ou absents, ces enfants d’une Amérique post guerre du Vietnam middle-class et désenchantée, offrant bien peu de perspectives d’avenir, sont des survivants qui côtoient la mort de près et doivent leur salut au fait d’avoir su, à un moment, tisser des alliances et affronter le « mal ». Autre illustration de cet ordinaire insidieusement oppressif ; en première partie de film, les chemins pédestres qui conduisent au bahut ,serpentent entre les propriétés grillagées font ressembler ses jeunes emprunteurs à des prisonniers en sursis parcourant un dédale pénitentiaire. On pense même aux « enfants » de la saison 3 de the Walking Dead (dont Carl), se croyant à l’abri des périls extérieurs (zombies comme humains) derrières les clôtures métallisées de la prison de Woodburry.

Le téléphone sonne toujours cinq fois !

À mi-chemin des films d’enfermement (s’évader pour ne pas mourir) et des histoires horrifiques d’ado cherchant à échapper au "monstre", Black Phone tient du bon (petit) film qui sans rien révolutionner, remplit plus que convenablement son cahier de charges en matière de timing contrôlé, surprises, voies de garage et sueurs froides. On constate à nouveau cette inclinaison récente ( X, sorti début mai) du cinéma d’horreur de l'ère post-Covid à revisiter cette période charnière des années 1970 et à tirer ses références de son incunable absolu : The Texas Chain Saw Massacre (Massacre à la tronçonneuse en VF). Sans doute parce que plus que tout autre, ce « sous-genre » (pour ses détracteurs) charriaient les peurs et angoisses profondes d’une époque finalement pas si différente de la nôtre dans son niveau de désenchantement. Et les enfants de cette décennie sont aussi à peu de chose près, les adultes qui réalisent les films d’aujourd’hui.

Mais bien plus que la gestion de son procédé « malin » annoncé très tôt dans le film – ce sont les voix des précédentes victimes du tueur masqué qui appellent Finn à tour de rôle pour l’avertir des dangers qui le menacent et l’aider à augmenter ses chances de survie– c’est dans la description plus que convaincante de deux jeunes « résilients » que se situent les points forts de Black Phone. Uni face à l’adversité du monde, la violence désespérée du père et dans le souvenir de leur mère trop tôt disparue, Gwen et Finn partagent un lien si fort qu’il en dépasse les frontières physiques. Convoquée dans le bureau des responsables de son école, la jeune sœur - par ailleurs très croyante - fait montre d’une impertinence folle (sa marque), cachant en réalité son angoisse face aux flashs prémonitoires qui traversent ponctuellement ses rêves. Une sorte d’acuité extra-sensorielle intermittente qui deviendra rapidement l’unique piste tangible pour les deux inspecteurs chargés de l’enquête et totalement dépassés par les faits. Au passage, l’ultime « flash » extra-lucide de Gwen survient après qu’elle ait mis sérieusement en doute les fondements de sa foi en Jésus.

Quand à Finn, tel un roseau qui plie sans se rompre dans la tempête, c’est dans sa capacité à encaisser que réside son possible salut et dans son acceptation progressive des conseils de ses mystérieux interlocuteurs. Il gagne ainsi des points-vie (et du temps précieux) en évitant les pièges trop évident tendus par son ravisseur et ne se décourage, bien au contraire – au premier échec venu. La proie peut aussi se muer en chasseur…

Ethan Hawke dont on ne verra quasi jamais le visage est parfait dans son rôle de sérial killer de carnaval tragique, tour à tour enjôleur et froid, mais toujours malsain.

Le film s'amuse subtilement à déjouer les attentes des spectateurs et le « coup des sonneries » ne se mue jamais en artifice scénaristique facile, annonciateur d’un déchainement horrifique immédiat, et Black Phone maintient sa ligne de tension constante d’un bout à l’autre, bien aidé d'un montage friand de coupures sèches (et noires), serti d’une image granuleuse à souhait et lovée dans une lumière hivernale qui en accentue ombres et contrastes…


Black Phone, un film de Scott Derrickson

USA, 2022, 1h43

Texte: Yannick Hustache

Crédits photos: Sony Picture & Allociné

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Agenda des projections:

Sortie en Belgique le 22 juin 2022 via Sony Pictures

Le film est programmé dans la plupart des salles en Belgique.

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