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Critique

« Belle » : le virtuel sauvera le monde

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D'une grande sophistication, ce film d'animation signé Mamoru Hosoda opère une synthèse intelligente entre l’univers des contes et les mondes virtuels connectés, creusant par ce biais une issue lumineuse et progressiste aux troubles adolescents contemporains.
Pour nous adultes, internet n’est pas le monde réel. Mais pour les jeunes, c’est un autre espace, aussi réel et valable que celui dans lequel ils sont nés. La manière dont ils s’y comportent, c’est du réel. Ils se retrouvent dans un monde nouveau et toute la question pour eux est de participer à la création de ce monde pour qu'il leur corresponde. — Mamoru Hosoda, The Guardian 04/02/22*

Les adolescents d’aujourd’hui ne sont pas ceux d’hier. Quoi qu'on en pense, ce constat ne porte pas sur la nature des expédients qui s’offrent à eux comme autant de voies de salut ou de perdition. Internet, les applis de rencontre, le sexe brutal et les drogues de synthèse ne sont que quelques dérivatifs récents venus s’ajouter à une liste déjà longue : jeux vidéo, musique intense, breuvages alcoolisés, psychotropes, conduites sexuelles à risque et compulsions en tous genres. Ce qui change, c’est que ces arrière-mondes ne sont plus là pour dévorer l’innocence d’une vie vierge de tout vécu. Voyez Euphoria, la série phare d'HBO : on nous présente des êtres ultraconscients qui non seulement savent qu’ils n’ont rien à espérer d’un monde dévasté mais qui, dans leur chair, sont déjà marqués par des traumas agissant comme des curseurs d'intensité.

Ces traumas ont tout à voir avec des parents absents ou démissionnaires. Très jeune, Suzu, l’héroïne de Belle, a vu sa mère se noyer, comme Anne Dufourmantelle, en sauvant la vie d’un autre enfant. Une perte équivalant à un abandon pour la petite fille qui par la suite a cessé de faire de la musique et de chanter, ne mangeant guère et parlant peu. Restée seule auprès de son père, voici qu’à 17 ans elle offre l’apparence effarée de la peine et de l’envie, comme si rien de ce qui mettait ses camarades en joie ne pouvait la concerner.

Les adolescents font corps avec leurs problèmes, tendance que renforce l'absence de figures parentales également défaillantes et immatures. Face au vide, les adolescents ne parviennent plus à se constituer en un groupe solidaire mobilisé par un projet commun d’émancipation. Par défaut, les rapports d’opposition qui leur permettent de se construire se retournent contre eux ou leurs semblables. Puisque le monde des adultes en tant que principe de réalité se dérobe, le combat se livrera sur un territoire de fantasmes et de délire. Les réseaux sociaux sont ce vaste champ de bataille.

Un environnement complexe s’ouvre devant Suzu lorsque son unique amie, lasse de la voir se morfondre, l’inscrit de force sur U, une communauté virtuelle fondée sur les données biométriques de ses adhérents. Dans le monde de U, Suzu se métamorphose en Belle. Le rose de sa chevelure, le prodigieux éclat de ses robes, son maquillage élaboré et sa voix enchanteresse composent un personnage pas si éloigné d’elle. Grâce à une technologie prenant au mot les promesses du développement personnel, chacun peut se voir et de se faire voir sous son jour le plus accompli. Belle, c’est Suzu sans la tristesse et les inhibitions.

Là où l’esthétique tient pour de l’émotion, le désir est roi. C’est un autre point commun avec Euphoria dont l’univers mental et sensoriel se déverse en torrents de lumières et musiques atmosphériques. L’ivresse des passions exacerbe nécessairement la violence.

Dans l’élaboration de cette architecture à la fois kitsch et moderniste, Hosoda (dont le studio Chizu fête ses 10 ans) s’est adjoint la collaboration de Jin Kim (La Reine des Neiges, Raiponce ou encore Vaiana), Cartoon Saloon (Le Peuple Loup) ainsi que celle de Tomm Moore et Ross Stewart. Entre ces mains expertes, U n’a pas la vocation de proposer une critique du cyberespace. On ne trouvera pas moins technophobe que Hosoda. De même que certains reprochent à Sam Levinson, le créateur d’Euphoria , de ne pas prendre assez fermement parti contre les paradis artificiels qu’il met en scène, Hosoda illustre le versant salvateur des mondes virtuels dans un travail qui, comme ses précédents films Ame & Yuki, Miraï ma petite sœur notamment, porte de fortes connotations autobiographiques.

Là où les conflits peuvent éclater à leur juste démesure, ils peuvent aussi se résoudre véritablement. À condition que les mondes ne soient pas étanches, ce qui ne semble pas près d’arriver, une résolution dans l’espace virtuel peut amener des changements positifs dans le réel. L’essence de U est la communauté. N’en voir que la violence et l’intensité des conflits, c’est oblitérer cette profusion de liens qui, empêchés dans la vraie vie, viennent à naître sur la toile.

Mieux affirme Hosoda, les vieux schémas relationnels peuvent être dépassés. Ainsi, le motif de la Belle et la Bête dérivé du conte de Gabrielle-Suzanne de Villeneuve publié en 1740, modifié par Jeanne-Marie Leprince de Beaumont en 1756 et adapté au cinéma par Jean Cocteau, Disney et Christophe Gans ne représente qu’une étape dans le cheminement de l’héroïne. L’amitié n’y fait pas figure de parent pauvre de l’amour.

Des rapports moins autocentrés et réparateurs que fluides et égalitaires constituent le socle de cette communauté nouvelle que Hosoda nous fait entrevoir par les yeux de son héroïne enfin réconciliée. Une communauté donc nécessairement conflictuelle, mais dépourvues de frontières, tendue entre le réel et le virtuel, forte d’imaginaires variés autant que disposée à des actions concrètes.


Texte : Catherine De Poortere

Crédits images : © Cinéart

Les films de Mamoru Hosoda à PointCulture

* Us grownups see the internet and we think, ‘This is reality, and that’s not reality,’ but for young people it’s more: ‘This is the real world and that’s another world.’ It’s just as real and just as valuable, and how you behave in that online world is also part of reality. This is the new world they find themselves in, and it’s all about how they create that world for themselves.

Mamoru Hosoda, The Guardian 04/02/22


Agenda des projections

Sortie en Belgique le 16 février 2022.

Distributeur : Cinéart

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En Belgique francophone le film sera projeté dans les salles suivantes :

Bruxelles : Galeries, Kinepolis, Stockel, UGC De Brouckère, UGC Toison d'Or, White

Wallonie : Ath Ecran (apd. 23.02), Braine Kinepolis, Charleroi Quai 10, Charleroi Pathé, Gedinne Ciné, Habay-la-Vieille Le Foyer, Huy Imagix, Jodoigne L'Etoile, La Louvière Le Stuart, Liège Les Grignoux, Liège Kinepolis Rocourt, Louvain-La-Neuve Cinéscope, Malmedy MovieMills, Marche-en-Famenne Cinémarche, Mons Imagix, Mons Plaza-Art (apd. 23.02), Mouscron For&Ver, Namur Acinapolis, Namur Caméo, Nismes Chaplin (apd. 23.02), Nivelles Cine4, Rixensart CinéCentre, Saint-Mard Nos Loisirs, Stavelot Versailles, Tamines Cameo, Tournai Imagix, Virton Patria, Waterloo Wellington