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Critique

« Avec amour et acharnement » de Claire Denis

Avec amour et acharnement (c)Curiosa Films.png
Les protagonistes de cette adaptation d’un récit de Christine Angot s'engagent corps et âme dans ce qui n'en demeure pas moins une piètre réflexion sur l'amour.

Une histoire qui commence sur une vision du bonheur, c’est l'histoire d'un bonheur qui ne peut pas durer. Voilà ce que l'on se dit en regardant Sarah et Jean (Juliette Binoche et Vincent Lindon) dans une scène d’ouverture qui voit l'amour en bleu. Leurs rires coupés de baisers, l’eau qui dégouline de leurs visages radieux – quoique marqués, sévères, inquiets – et la mer tout autour, bain de jouvence, promesse d’éternité, profondeur dont la menace s’oublie dès qu’on croit savoir nager. Pour usée qu’elle soit, la mer comme métaphore d’un amour, infini parce que dans le refus des limites, constitue le prologue assez exact d'un récit qui se laisse conduire par l’émotion.

De retour à Paris, le couple apparaît déjà sous un jour nettement plus sombre. Sorti de prison depuis peu, Jean n’a pas encore retrouvé du travail. En attendant de pouvoir monter sa propre affaire, il vit aux crochets de Sarah, journaliste à RFI. Ils sont tous deux divorcés et parents d’adolescents qui vivent leur vie ailleurs. Au fil de ses galères administratives, Jean reprend contact avec François, un ancien associé (Grégoire Colin). Dans le milieu trouble du sport de compétition, cet homme, prototype du « beau ténébreux », exerce le métier de recruteur. Il est aussi l’ex-mari et le grand amour de Sarah.

Moyennant d'importantes modifications d’identité, le film reprend tous les éléments du classique trio amoureux relaté dans Un tournant de vie Christine Angot, une évocation à peine masquée de son histoire d’amour avec Vincent (en vrai Doc Gynéco), et Alex (Charly Clovis, ami et collaborateur du musicien et compagnon actuel de l’écrivaine).

D’un laconisme calculé, l’écriture chez Christine Angot donne forme à un état de tension et de colère. A travers les deux extrêmes que sont l’abus et la fidélité se pose de façon récurrente la question du lien amoureux.

On pourrait en dire autant du cinéma de Claire Denis, cinéaste qui privilégie les collaborations. Ainsi, sans vraiment l’éloigner de son propre vécu, celles-ci constituent un point de vue autre sur des récits qui ne la touchent pas moins de près. Les affinités avec l’autrice de L’Inceste (par ailleurs coscénariste d’Un beau soleil intérieur) portent donc moins sur l’autofiction proprement dite que sur l’équilibre fragile entre le dit et le non-dit que ce genre appelle.

A l’instar de l'écrivaine, Claire Denis est une adepte des mises en scène tendues à l’extrême où la vérité des êtres et des situations se cherche dans les paroxysmes qui ne laissent pas beaucoup de place au commentaire. Tout se passe sur le plan des gestes et des déplacements que l’image consigne avec une grande précision, puisqu’il s’agit de montrer ce qui excède le langage.

Mais ce qui est vrai pour la plupart des films de Claire Denis ne l’est plus ici. Peut-être sous l’effet de la rencontre entre deux acteurs sanguins, Binoche et Lindon, les digues semblent avoir lâché. Cette fois les mots envahissent tout l’espace du plan, intérieur et extérieur, jetant leur poids de poncifs et de confusion sur une scène de ménage qui, avec tant de beau monde, aurait mérité un plus subtil éclairage.

A l'origine du film, il y a la pandémie. Empêchée de se lancer dans un projet aussi ambitieux que High Life, la cinéaste s'est vue forcée de se rabattre sur un terrain plus confidentiel. En tant que fruit du confinement, Avec amour et acharnement n’en témoigne pas moins de sa capacité à tirer le meilleur d’un cahier des charges très contraignant. Par l'habileté des mouvements de caméra au plus près de la peau, elle réussit à établir cette continuité gênante qui, parfois, au sein d’un même élan passionnel, lie l’amour à la violence. Les personnages sont aussi beaux qu’exaspérants, ce dernier aspect finissant par triompher de leurs qualités.

L’unique impression que nous laisse ce couple est qu’il n’existe pas grand-chose en dehors de leurs problèmes. Tandis que le monde se rappelle sans cesse à eux (via les interviews que Sarah conduit pour sa chaîne de radio, via la situation familiale de Jean dont le fils est en situation de décrochage scolaire, via le port du masque qui rappelle que l’humanité est en arrêt maladie), ils se montrent incapables de prendre du recul par rapport à une crise qui ressemble furieusement à une crise d’adolescence.

Or le drame des êtres qui se déchirent n’a plus tant d’intérêt dès lors que leur comportement ne fait que reproduire des schémas éculés auxquels la mise en scène ne propose aucune issue, tant au regard de la société qu'ils prennent à témoin que des rapports conjugaux dont ils tirent le motif de leur fureur.


Avec amour et acharnement - Claire Denis

France - 2021 - 1h56


Texte : Catherine De Poortere

Crédit images : © Curiosa Films et ©Cherry Pickers

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Cherry Pickers Avec Amour et Acharnenement affiche.jpg

Agenda des projections

Sortie en Belgique le 31 août 2022

Distribution : Cherry Pickers

Le film est diffusé dans la plupart des salles en Belgique.

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